Par Hachim FADILI Avocat au barreau de Paris
Le Haut-Commissariat au Plan vient de publier ses résultats des enquêtes trimestrielles de conjoncture auprès des entreprises, 3ème trimestre 2024.
Dès les premières lignes, un doute nous envahit : un encart indique que « la présente note relate les principales appréciations des chefs d’entreprises telles qu’elles ressortent des enquêtes de conjoncture réalisées par le HCP au titre du 3ème trimestre 2024 auprès des entreprises opérant dans les secteurs des industries manufacturières, de l’extraction, de l’énergie, de l’environnement ainsi que dans celui de la construction. »
Ainsi, de manière non exhaustive, nous apprenons qu’au « 2ème trimestre 2024, la production de l’industrie manufacturière aurait connu une légère augmentation. »
S’agissant de l’emploi, il « aurait connu une stabilité. Globalement, le taux d’utilisation des capacités de production (TUC) dans l’industrie manufacturière se serait établi à 76%. »
Mais aussitôt, il est indiqué qu’au « 2ème trimestre 2024, 36% des entreprises de l’industrie manufacturière auraient rencontré des difficultés d’approvisionnement en matières premières, principalement celles d’origine étrangère.
Les stocks de matières premières durant ce trimestre se seraient situés à un niveau normal et la trésorerie aurait été jugée « difficile » selon 23% des patrons », le terme difficile entouré de guillemets, laisse planer une ombre sur son sens.
En son discours du 8 octobre 2021 au Parlement, à l’occasion de l’ouverture de la 1ère session de la 1ère année législative de la 11ème législature, Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait appelé « à une refonte substantielle du Haut-Commissariat au Plan dans la perspective d’en faire un mécanisme d’aide à la coordination stratégique des politiques de développement et d’accompagnement de la mise en œuvre du modèle de développement.
Pour cela, l’action de cette institution doit être adossée à des normes rigoureuses et à des outils modernes de suivi et d’évaluation. »
Aussi, des appréciations (lesquelles) de chefs (anonymes) d’entreprises (sans catégorie en termes de masse salariale et/ou de chiffre d’affaires) telles qu’elles ressortent d’enquêtes de conjoncture (lesquelles), constituent-elles une aide à la coordination stratégique des politiques de développement et d’accompagnement de la mise en œuvre du modèle de développement ?
De plus, l’usage systématique du conditionnel (aurait, serait), lequel par définition présente l’action comme une éventualité ou comme la conséquence d’une hypothèse, permet-il d'éclairer les choix des pouvoirs publics marocains au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels ?
La réponse est négative, non d’un point de vie personnel, mais au regard des dernières études économiques sur le Maroc, de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), publiées en septembre 2024.
Etant précisé que les données utilisées dans le rapport sont au 30 juin 2024, et que la situation et les politiques économiques du Maroc ont été examinées par le Comité d’examen des situations économiques et des problèmes de développement (Comité EDR) de l’OCDE, chargé d’examiner la situation économique des pays membres, le 9 juillet 2024.
En page 54 de l’étude, la conclusion est formelle :
Le manque de statistiques et de données exhaustives, au temps opportun et de qualité constitue un obstacle majeur à l’efficacité de l’élaboration des politiques publiques au Maroc.
Des indicateurs fondamentaux de comptabilité nationale et un large éventail de statistiques sont publiés.
Ces informations présentent cependant de nombreuses lacunes en termes de couverture et d’actualité.
Il manque souvent des informations méthodologiques.
Les informations statistiques sont publiées par divers organismes publics et il n’existe pas de plateforme en ligne unique de diffusion des données.
Certains types de données qui pourraient être utiles pour analyser l’économie marocaine et réaliser des comparaisons internationales ne sont pas disponibles, tels que des comptes publics fondés sur la méthodologie de la comptabilité nationale, des données agrégées sur l’investissement comparables aux données budgétaires sur l’investissement, et des données ventilées entre investissement immobilier et investissement en infrastructures, pour n’en citer que quelques-uns au niveau national.
D’autres catégories de données étaient auparavant disponibles, mais elles ne sont plus produites depuis quelques années, alors qu’elles seraient essentielles à l’analyse de certaines questions économiques majeures.
Sont citées à cet égard les enquêtes sur l’économie informelle, dont la dernière remonte à 2014.
Et l’OCDE de pointer le Haut-Commissariat au Plan, organisme statistique indépendant, qui n’a pas effectué d’enquête auprès des ménages, de recensement économique, ni d’enquête sur l’investissement public depuis la même année, bien que le recensement de la population soit en cours comme prévu.
En outre, les résultats de nombre de ces enquêtes n’ont été diffusés que quatre à cinq ans après leur réalisation, ce qui a réduit leur utilité et leur intérêt global.
Enfin, l’accès aux microdonnées sur les entreprises et les ménages est problématique.
En considération de ce qui précède, un sursaut s’impose.
Et ce d’autant plus que le Royaume continue d’enregistrer une bonne reprise post Covid-19, malgré la crise énergétique, le séisme d’El Haouz de septembre 2023 et l’importance du stress hydrique.
Depuis 25 ans, le Maroc a engagé des réformes majeures pour encourager l’investissement et améliorer la protection sociale.
De manière non exhaustive, l’inflation a reflué après avoir atteint un pic au début de 2023, le stock d’investissement direct étranger et les envois de fonds des Marocains du monde ont augmenté, le système financier est solide, les grandes entreprises tendent à être plus productives et les taux d’alphabétisation se sont améliorés.
Cependant, le Royaume s’est fixé d’ambitieuses échéances dont la stratégie nationale de l’efficacité énergétique (Objectifs de Développement Durable - ODD) à l’horizon 2030 et la vision exprimée dans son Nouveau modèle de développement avec ses leviers de changements que sont le numérique, l’appareil administratif, les Marocains du monde et les partenariats internationaux.
Héritier de l’action empirique, souple et non autoritaire de Jean Monnet et de son équipe de 1946 à 1953, le Plan qui avaient trois fonctions principales - coordination, impulsion et animation, est devenu une discipline pointue avec une méthodologie aussi stricte que lisible.
Dans ce contexte, suivre les recommandations de l’OCDE est un impératif afin de donner un nouvel élan au Haut-Commissariat au Plan.
Dans un monde en pleine mutation devenu multipolaire où les influences se multiplient, le rayonnement du Maroc au sein de la Zone de libre-échange continentale africaine, ses partenariats stratégiques tant avec le continent américain, l’Union européenne, que le Conseil de Coopération du Golfe, exige que l’action du Haut-Commissariat au Plan soit « adossée à des normes rigoureuses et à des outils modernes de suivi et d’évaluation », comme l’a indiqué le Souverain Chérifien il y a trois ans.
Eclairer le débat public en partageant des diagnostics, proposer des plans d’opération sur le moyen et long terme, accompagner les pouvoirs publics et la société dans son ensemble pour faire face aux enjeux démographiques, économiques, énergétiques et sociaux, sont des actions non pas figées dans le temps et l’espace, mais évoluant à grande vitesse avec les avancées technologiques.
Interconnectés, les systèmes d'information de gestion économique, d’information pour la Planification, de gestion intégrée (ERP), les outils de gestion de projet et de suivi des politiques publiques, de visualisation des données et tableaux de bord, d'analyse statistique et de modélisation économique, de suivi des objectifs de développement durable (ODD), d’évaluation d’impact, de gestion des risques et d’anticipation, de collecte de données sur le terrain, de collaboration et de gestion documentaire, se sont démultipliés ces dernières années.
Se dessine alors un Plan d’une évidence certaine : former massivement au numérique, donner le leadership à la jeunesse et favoriser les dialogues intergénérationnels pour façonner l’avenir du Maroc.
Il s’agit d’une trajectoire à forte convergence aux effets concrets à court terme.
Hachim FADILI
Avocat au barreau de Paris
Dès les premières lignes, un doute nous envahit : un encart indique que « la présente note relate les principales appréciations des chefs d’entreprises telles qu’elles ressortent des enquêtes de conjoncture réalisées par le HCP au titre du 3ème trimestre 2024 auprès des entreprises opérant dans les secteurs des industries manufacturières, de l’extraction, de l’énergie, de l’environnement ainsi que dans celui de la construction. »
Ainsi, de manière non exhaustive, nous apprenons qu’au « 2ème trimestre 2024, la production de l’industrie manufacturière aurait connu une légère augmentation. »
S’agissant de l’emploi, il « aurait connu une stabilité. Globalement, le taux d’utilisation des capacités de production (TUC) dans l’industrie manufacturière se serait établi à 76%. »
Mais aussitôt, il est indiqué qu’au « 2ème trimestre 2024, 36% des entreprises de l’industrie manufacturière auraient rencontré des difficultés d’approvisionnement en matières premières, principalement celles d’origine étrangère.
Les stocks de matières premières durant ce trimestre se seraient situés à un niveau normal et la trésorerie aurait été jugée « difficile » selon 23% des patrons », le terme difficile entouré de guillemets, laisse planer une ombre sur son sens.
En son discours du 8 octobre 2021 au Parlement, à l’occasion de l’ouverture de la 1ère session de la 1ère année législative de la 11ème législature, Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait appelé « à une refonte substantielle du Haut-Commissariat au Plan dans la perspective d’en faire un mécanisme d’aide à la coordination stratégique des politiques de développement et d’accompagnement de la mise en œuvre du modèle de développement.
Pour cela, l’action de cette institution doit être adossée à des normes rigoureuses et à des outils modernes de suivi et d’évaluation. »
Aussi, des appréciations (lesquelles) de chefs (anonymes) d’entreprises (sans catégorie en termes de masse salariale et/ou de chiffre d’affaires) telles qu’elles ressortent d’enquêtes de conjoncture (lesquelles), constituent-elles une aide à la coordination stratégique des politiques de développement et d’accompagnement de la mise en œuvre du modèle de développement ?
De plus, l’usage systématique du conditionnel (aurait, serait), lequel par définition présente l’action comme une éventualité ou comme la conséquence d’une hypothèse, permet-il d'éclairer les choix des pouvoirs publics marocains au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels ?
La réponse est négative, non d’un point de vie personnel, mais au regard des dernières études économiques sur le Maroc, de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), publiées en septembre 2024.
Etant précisé que les données utilisées dans le rapport sont au 30 juin 2024, et que la situation et les politiques économiques du Maroc ont été examinées par le Comité d’examen des situations économiques et des problèmes de développement (Comité EDR) de l’OCDE, chargé d’examiner la situation économique des pays membres, le 9 juillet 2024.
En page 54 de l’étude, la conclusion est formelle :
Le manque de statistiques et de données exhaustives, au temps opportun et de qualité constitue un obstacle majeur à l’efficacité de l’élaboration des politiques publiques au Maroc.
Des indicateurs fondamentaux de comptabilité nationale et un large éventail de statistiques sont publiés.
Ces informations présentent cependant de nombreuses lacunes en termes de couverture et d’actualité.
Il manque souvent des informations méthodologiques.
Les informations statistiques sont publiées par divers organismes publics et il n’existe pas de plateforme en ligne unique de diffusion des données.
Certains types de données qui pourraient être utiles pour analyser l’économie marocaine et réaliser des comparaisons internationales ne sont pas disponibles, tels que des comptes publics fondés sur la méthodologie de la comptabilité nationale, des données agrégées sur l’investissement comparables aux données budgétaires sur l’investissement, et des données ventilées entre investissement immobilier et investissement en infrastructures, pour n’en citer que quelques-uns au niveau national.
D’autres catégories de données étaient auparavant disponibles, mais elles ne sont plus produites depuis quelques années, alors qu’elles seraient essentielles à l’analyse de certaines questions économiques majeures.
Sont citées à cet égard les enquêtes sur l’économie informelle, dont la dernière remonte à 2014.
Et l’OCDE de pointer le Haut-Commissariat au Plan, organisme statistique indépendant, qui n’a pas effectué d’enquête auprès des ménages, de recensement économique, ni d’enquête sur l’investissement public depuis la même année, bien que le recensement de la population soit en cours comme prévu.
En outre, les résultats de nombre de ces enquêtes n’ont été diffusés que quatre à cinq ans après leur réalisation, ce qui a réduit leur utilité et leur intérêt global.
Enfin, l’accès aux microdonnées sur les entreprises et les ménages est problématique.
En considération de ce qui précède, un sursaut s’impose.
Et ce d’autant plus que le Royaume continue d’enregistrer une bonne reprise post Covid-19, malgré la crise énergétique, le séisme d’El Haouz de septembre 2023 et l’importance du stress hydrique.
Depuis 25 ans, le Maroc a engagé des réformes majeures pour encourager l’investissement et améliorer la protection sociale.
De manière non exhaustive, l’inflation a reflué après avoir atteint un pic au début de 2023, le stock d’investissement direct étranger et les envois de fonds des Marocains du monde ont augmenté, le système financier est solide, les grandes entreprises tendent à être plus productives et les taux d’alphabétisation se sont améliorés.
Cependant, le Royaume s’est fixé d’ambitieuses échéances dont la stratégie nationale de l’efficacité énergétique (Objectifs de Développement Durable - ODD) à l’horizon 2030 et la vision exprimée dans son Nouveau modèle de développement avec ses leviers de changements que sont le numérique, l’appareil administratif, les Marocains du monde et les partenariats internationaux.
Héritier de l’action empirique, souple et non autoritaire de Jean Monnet et de son équipe de 1946 à 1953, le Plan qui avaient trois fonctions principales - coordination, impulsion et animation, est devenu une discipline pointue avec une méthodologie aussi stricte que lisible.
Dans ce contexte, suivre les recommandations de l’OCDE est un impératif afin de donner un nouvel élan au Haut-Commissariat au Plan.
Dans un monde en pleine mutation devenu multipolaire où les influences se multiplient, le rayonnement du Maroc au sein de la Zone de libre-échange continentale africaine, ses partenariats stratégiques tant avec le continent américain, l’Union européenne, que le Conseil de Coopération du Golfe, exige que l’action du Haut-Commissariat au Plan soit « adossée à des normes rigoureuses et à des outils modernes de suivi et d’évaluation », comme l’a indiqué le Souverain Chérifien il y a trois ans.
Eclairer le débat public en partageant des diagnostics, proposer des plans d’opération sur le moyen et long terme, accompagner les pouvoirs publics et la société dans son ensemble pour faire face aux enjeux démographiques, économiques, énergétiques et sociaux, sont des actions non pas figées dans le temps et l’espace, mais évoluant à grande vitesse avec les avancées technologiques.
Interconnectés, les systèmes d'information de gestion économique, d’information pour la Planification, de gestion intégrée (ERP), les outils de gestion de projet et de suivi des politiques publiques, de visualisation des données et tableaux de bord, d'analyse statistique et de modélisation économique, de suivi des objectifs de développement durable (ODD), d’évaluation d’impact, de gestion des risques et d’anticipation, de collecte de données sur le terrain, de collaboration et de gestion documentaire, se sont démultipliés ces dernières années.
Se dessine alors un Plan d’une évidence certaine : former massivement au numérique, donner le leadership à la jeunesse et favoriser les dialogues intergénérationnels pour façonner l’avenir du Maroc.
Il s’agit d’une trajectoire à forte convergence aux effets concrets à court terme.
Hachim FADILI
Avocat au barreau de Paris