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Par Mustapha Sehimi
Le spectre mondial des groupes terroristes est plutôt large: Al-Qaïda et ses déclinaisons au Maghreb, en Irak, dans la péninsule arabique et en Asie centrale; les groupes Ansar Dine, Boko Haram ou le Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO); le Front Al Nosra, l′organisation Daech, etc. Autant de formations qui ont fait l’objet de résolutions de la haute instance onusienne, et qui sont connus pour avoir des liens multiformes avec des groupes criminels et des réseaux de trafiquants. Faut-il s’en étonner? Gangstérisation et terrorisme sont souvent associés, suivant des modalités particulières locales.
Le problème posé est celui-ci: les attaques terroristes ne sont-elles pas des menaces contre la paix? À l’origine, le Conseil de sécurité, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire de qualifier une situation de menace à la paix et à la sécurité internationales, n’avait pas décidé. Durant la Guerre froide, la menace avait un sens restrictif: elle était alors entendue comme une situation dans laquelle un conflit entre deux États risquait d’éclater. Il a fallu attendre les années 1980 pour qu’intervienne une certaine évolution. Elle sera liée à l’affaire du navire Achille Lauro (1985), détourné par des Palestiniens et son équipage pris en otage.
Après la fin de la Guerre froide, le Conseil de sécurité établit un lien indirect entre le terrorisme et la menace contre la paix, et ce, en cas de refus d’un État d’extrader des personnes soupçonnées d’être associées à un attentat terroriste. Tel fut le cas avec la résolution 748 du 31 mars 1992, décidant des mesures coercitives, dont un embargo, à l’encontre de la Libye, accusée d’avoir organisé l’attentat de Lockerbie en Écosse (1988) et celui contre l’avion DC-10 de la compagnie UTA au Niger (1989).
D’autres textes sont encore à noter: la résolution 1054, du 26 avril 1996, relative à l’extradition des suspects de la tentative d’assassinat du Président égyptien Hosni Moubarak à Addis Abeba; la résolution 1267, du 15 octobre 1999, sur les sanctions visant les personnes et entités liées à Al-Qaïda, à Oussama Ben Laden et aux talibans afghans, ces derniers refusant de livrer le chef d’Al Qaïda.
Avec les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis s’opère une véritable bascule dans ce domaine. Dans la résolution 1373 de 2001, qualifiée de «Code antiterroriste mondial», le Conseil de sécurité réaffirme «la nécessité de lutter par tous les moyens, conformément à la Charte des Nations unies, contre les menaces à la paix et à la sécurité internationales que font peser les actes de terrorisme». C’est la première résolution qui a pour objectif d’imposer aux États des obligations générales et illimitées dans le temps: elle marque le début d’une nouvelle ère. Le Conseil de sécurité prend dès lors le leadership dans la lutte contre le terrorisme. Par la suite, les résolutions adoptées visent tous les actes de terrorisme à venir en tant que menace à la paix, et non plus en tant que situation particulière.
«Le terrorisme reste un phénomène difficile à définir juridiquement sur le plan international. À la différence de la Société des Nations, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas créé d’organe pour en donner une définition précise.»
L’approche devient générale. C’est notamment le cas lorsque le Conseil de sécurité s’est saisi du problème de la prolifération des armes de destruction massive, biologiques, nucléaires et bactériologiques, pouvant tomber entre les mains de réseaux terroristes (la résolution 1540, du 28 avril 2004). Le curseur est encore déplacé avec la qualification à de nombreuses reprises du terrorisme comme «l’une des menaces les plus graves contre la paix et la sécurité internationales» (les résolutions 1535, du 26 mars 2004, et 1624, du 14 septembre 2005, à la suite des attentats de Londres).
Cela dit, le terrorisme reste un phénomène difficile à définir juridiquement sur le plan international. À la différence de la Société des Nations (SDN), au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui avait adopté deux conventions sur le terrorisme, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas créé d’organe pour en donner une définition précise. Avant les attentats du 11 septembre, le traitement de ce fléau passait par une approche conventionnelle sectorielle («Peacemeal approachy») et non générale ou globale. L’on ne compte alors pas moins de dix-huit conventions et protocoles universels portant sur des formes spécifiques du terrorisme (prévention et répression du financement du terrorisme, répression des attentats terroristes à l’explosif, actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, prises d’otages…).
Si ces résolutions ne donnent pas de définition du terrorisme, il reste néanmoins que des éléments descriptifs en ressortent. Ainsi, dans la résolution 1566 de 2006, le terrorisme recouvre «les actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves…». Dans la résolution 2347 de 2017, il est rappelé que «tout acte de terrorisme est criminel et injustifiable, quels qu’en point soient les motivations, le moment et les auteurs». Et pour éviter tout amalgame, il est précisé encore que le terrorisme ne doit être «rattaché à aucune religion, nationalité ou civilisation ni à aucun groupe en particulier».
Le Conseil de sécurité mesure de plus en plus l’«ère croissante de ganstérisation du monde». Il souligne dans cette même ligne les liens existant entre les groupes terroristes et la criminalité transnationale organisée (Résolution 2482, du 19 juillet 2019). Il engage à ce titre les États à utiliser au mieux les capacités de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) pour les combattre.
L’approche sécuritaire pilotée par le Conseil de sécurité est une approche universelle. L’ONU est une organisation mondiale: elle a pour vocation de réunir tous les États de la planète. La prévention de la violence terroriste s’apparente de plus en plus à un quatrième pilier de l’ONU, au côté de la préservation de la paix, des droits de l’Homme et du développement. Mais cette action supporte des critiques de deux ordres.
En premier lieu, la question des droits de l’Homme. Avec le prétexte de certaines législations nationales très répressives, des comportements non violents ont été criminalisés, des opposants politiques et non des terroristes ont été réprimés. En second lieu, comme le prévoit la Charte des Nations unies (chapitre VII), le Conseil de sécurité peut avoir constaté une menace à la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression armée, et autoriser le recours à la force armée. Il est donc en mesure d’habiliter les États à agir face à la menace terroriste. Mais dans d’autres cas, le Conseil de sécurité a eu plusieurs fois l’occasion de soutenir politiquement la lutte des États contre les groupes terroristes sans se référer expressément au Chapitre VII de la Charte. L’illustrent la résolution 2214, du 27 mars, relative à la lutte contre les groupes terroristes en Libye, et la résolution 2249, du 20 novembre 2015, adoptée après les attentats du Bataclan à Paris, en France. À noter enfin qu’il a également autorisé des organisations régionales à intervenir militairement dans des opérations de maintien de la paix contre l’avancée de groupes terroristes. Il en fut ainsi de la création, en 2012, de la Mission MISMA, devenue en 2013 Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MIN-USMA)
Rédigé par Mustapha Sehimi sur LE 360