Le Conseil de la concurrence jette un pavé dans la mare… de gasoil


L’avis du Conseil de la Concurrence n’était pas vraiment attendu par l’opinion publique qui n’a d’yeux, elle, que pour les prix des carburants, mais la publication dudit avis a dû donner des sueurs froides et/ou occasionner des nuits blanches aux responsables énergétiques, privés et publics, du royaume.



Par Aziz Boucetta

D’abord, une précision utile… cet avis n’est pas celui que tout le monde attend depuis des années, en l’occurrence celui sur les ententes potentielles entre distributeurs d’hydrocarbures, mais il y répond aussi indirectement que brutalement, brassant large, très large même, dans une forme de désaveu de la politique énergétique menée depuis la libéralisation du secteur.


La lecture technique, financière et même énergétique sera faite plus tard par les experts, mais une lecture politique peut déjà être faite, en plusieurs points.

1/ Un dilettantisme politique passé et présent. Les marchés du gasoil et de l’essence des marchés « sont régis par un cadre légal et réglementaire très ancien, devenu obsolète ne tenant pas compte des grands changements tant au niveau national qu’international qu’a connu ce marché ». La loi date en effet de 1973, et même celle adoptée en 2015, précise le Conseil, n’est pas applicable, par défaut de décrets d’application.

A qui incombe la responsabilité morale, historique et même actuelle ? Aux anciens premiers ministres du pays depuis 1973, en particulier les hommes d’affaires d’entre eux qui savaient, ou savent... Ils ont pour nom Mohamed Karim Lamrani, Driss Jettou et Aziz Akhannouch, un peu plus directement concerné que ses lointains prédécesseurs.

2/ De lourds soupçons d’entente entre distributeurs. Voilà ce que dit l’avis du Conseil : « Les comportements passifs des opérateurs qui ont neutralisé toute concurrence par les prix de vente. (…)  il est permis de conclure que la concurrence par les prix sur ces marchés est quasi-inexistante, voire neutralisée ». Le terme « neutralisé » est très significatif, voire éloquent, car il sous-entend une action concertée et même préméditée, dans le cadre d’une démarche illicite.

3/ Une opacité gouvernementale sur le bien-fondé, ou non, d’une raffinerie.

Le Conseil ne peut se prononcer car il n’existe pas de données sur les coûts et marges d’une activité de raffinage, ce qui sous-entend que, pas plus les pouvoirs publics que les opérateurs n’ont jamais cherché à savoir pour les premiers et faire savoir pour les seconds.  Aussi, « le Conseil recommande au Gouvernement de diligenter, en urgence, une étude économique et technique approfondie susceptible d’apporter des éléments de réponse précis en intégrant les évolutions que connait cette activité sur le marché mondial ». Il faut retenir les expressions « en urgence » et « les évolutions de cette activité », qui laissent entendre une louable préoccupation pour la souveraineté énergétique et les stocks de sécurité, largement délaissés et en « insuffisance chronique ».

4/ L’idée de soutien aux populations vulnérables revient…

Supprimer la compensation et la remplacer par des aides directes aux populations vulnérables, identifiées comme telles. Cela signifie que l’Etat a pris du retard à venir en aide aux populations vulnérables, et depuis les années Benkirane, quand ce dernier et feu Mohamed Louafa en parlaient, butant sur le refus des ministres RNI de l’époque, qui craignaient que le PJD en tirât profit. Nul doute que cette recommandation sera aujourd’hui suivie d’effet, dans les plus brefs délais.

A partir de là, trois remarques :

1/ A quoi sert le Conseil de la concurrence quand ses conclusions et recommandations laissent planer le doute de comportements illicites, illégitimes et illégaux ? Quelle suite donner à des personnes morales milliardaires sur lesquelles pèsent de lourds soupçons d’entente au détriment de personnes physiques dont une grande partie est désargentée ?  

2/ A quoi sert ou servirait la réforme du Conseil de la concurrence puisqu’il vient de montrer, avec cet avis et d’autres, antérieurs, qu’il fonctionne convenablement s’il délibère sereinement…

3/ Le Conseil de la concurrence a épinglé bien des comportements de distributeurs depuis 2015. Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch est ministre depuis 2007 et bien que depuis cette date, il ait formellement démissionné de toute fonction au sein de l’entreprise familiale, il est difficile de croire qu’il n’était au courant de rien, ni mis au courant de rien. Au nom de la morale et de l’éthique politiques, il serait grandi en prouvant, ou simplement en réaffirmant, l’absence de tout conflit d’intérêt.


Dans l’intervalle, il est bon de reconnaître que les institutions de ce pays, quand elles le veulent, fonctionnent bien. Quand elles le veulent, et sans interférence…

Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost 


Mercredi 28 Septembre 2022

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