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Celles et ceux qui travaillent avec lui vous diront que Nasser Bourita, parmi les diverses choses qu’il maîtrise, sait très bien gérer ses colères. Les gérer et surtout les doser et les instrumentaliser. Dernier courroux en date, celui exprimé par écrit contre l’Allemagne. Le ministre des Affaires étrangères a en effet rédigé une note gouvernementale interne…
… Que dit cette note ? Elle demande aux ministres, chef du gouvernement compris, « de bien vouloir suspendre tout contact, interaction ou action de coopération, en aucun cas ou sous aucune forme, aussi bien avec l’Ambassade d’Allemagne au Maroc qu’avec les organismes de coopération et les fondations politiques allemandes qui lui sont liés ». La note ajoute, pour être bien comprise et assimilée par ses ministres destinataires, chef du gouvernement toujours compris, que toute dérogation ne pourrait se faire que sur la base d’un accord préalable de M. Bourita, qui a indiqué que son ministère a déjà suspendu tout contact avec ladite ambassade.
Alors, que se passe-t-il avec l’Allemagne ? M. Bourita ne nous ayant pas fait la faveur d’expliquer sa décision (ou la décision qu’il a dit avoir prise), essayons de revenir sur les derniers éléments en date, marquant les relations maroco-allemandes, et commençons par souligner que pour l’affaire du Sahara, Berlin n’a jamais compté parmi les amis les plus loyaux du Maroc, ni parmi ses adversaires les plus vindicatifs.
Mais Rabat n’oublie pas d’avoir été écarté de la Conférence de Berlin tenue en janvier 2020 sur la crise libyenne, et Nasser Bourita en avait fait une affaire quasi personnelle, y allant de déclarations incendiaires. C’était le départ de feu… Plusieurs mois plus tard, quand Donald Trump a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara, les Allemands n’avaient pas apprécié et avaient réclamé la tenue d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour discuter de la chose, ce qui est – on en convient – une ingérence dans les affaires intérieures du Maroc et des Etats-Unis. Or, puisque l’accord de reconnaissance était lié à une reprise des relations entre Rabat et Tel Aviv, et eu égard à l’histoire allemande avec les Juifs, on aurait pu attendre une autre réaction de Berlin…
Voici un mois, une émission de Deutsche Welle (service public) – qui avait longuement reçu en décembre 2019 Dame Aminatou Haïdar – avait abondamment parlé du « pillage du Sahara par le Maroc », et quelques jours plus tard, l’ambassadeur allemand à Rabat a évoqué une solution qui serait « que le Maroc offre quelque chose au Polisario, une solution qui serait un suffrage, un référendum… ». Le mot est lâché, et Nasser Bourita s’est aussi lâché.
Résumons : fin décembre 2019, DW reçoit longuement Dame Aminatou Haidar et un mois après, Berlin organise sa conférence libyenne en excluant le Maroc. Puis Covid… en décembre 2020, réaction inamicale de Berlin à l’ONU et un mois après, la très maladroite saillie de l’ambassadeur. Et, le parlement de Brême qui hisse le drapeau du Polisario devant son bâtiment… Cela explique amplement l’ire de Rabat. Et comme le dit si bien un proverbe allemand : « Mieux vaut siffler certaines choses que de les dire ».
Mais, au-delà de cela, il semblerait que le même ministre Bourita qui avait appelé l’Europe à sortir de sa zone de confort et alors que la décision de reconnaissance américaine prise par M. Trump semble se confirmer avec M. Biden, Rabat pourrait avoir voulu à travers sa réaction avec les Allemands envoyer un signal aux autres pays européens, essentiellement France et Espagne, de moins en moins amicaux, de plus en plus inamicaux, voire déloyaux, pour ne pas dire fourbes !
Il est donc temps que le Maroc repense ses partenariats (discours royal à Riyad en 2016) dans une perspective d’équilibre… Le royaume ne devrait plus tolérer de faire la besogne pour l’Europe au 21ème siècle (migrations, sécurité…), laquelle Europe manifeste une envie de maintenir les relations du 20ème siècle… Le Maroc grandit en Afrique et s’alourdit de nouveaux partenaires, alors que l’Europe amputée menace d’éclater.
Il semble être là, le message de Nasser Bourita ou, plus fort encore, le message qu’il a transmis : C’est désormais du gagnant-gagnant, dans le respect mutuel, ou un éloignement progressif des deux parties, marocaine ou européenne ! Et si telle option est certes difficile dans l’immédiat, elle n’est pas impossible dans le temps.
Publié par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com