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Mais cet objectif, qui date des temps de la guerre froide, ne peut se concrétiser que via un leadership américain renouvelé basé d’une part, sur le renforcement des alliances contre les autoritarismes, les populismes, les tendances hégémoniques russe, chinoise, iranienne ou autre, et d’autre part sur la science et le financement, susceptibles d’aider dans la lutte contre la pandémie de la Covid-19, la pauvreté et les effets dévastateurs des changements climatiques. L’Amérique ne s’engagera pas dans des guerres inutiles et coûteuses, mais n’hésitera pas à utiliser ses forces spéciales et ses diverses agences d’espionnage et de collecte d’informations quand nécessaire pour combattre le crime organisé, le terrorisme et l’expansionnisme des régimes autoritaires (idem).
Le multilatéralisme, tant bafoué par son prédécesseur, est un élément important dans cette vision qui repose sur une croyance qui date de l’époque Woodrow Wislon, FDR et Eisenhower : plus d’implication dans les sujets d’ordre planétaire est la meilleure façon de promouvoir et de sauvegarder les intérêts américains. Les retours à la Convention de Paris sur les Changements Climatiques, à l’Organisation mondiale de la santé, au Conseil des droits de l’homme, et à l’accord nucléaire iranien sont quelques exemples d’un retour en force des USA en tant que leader et facilitateur de l’action concertée des nations. Selon cette vision, les USA ont la force morale, scientifique, militaire et les valeurs nécessaires pour faire prévaloir sa vision des choses. Un hégémonisme soft, basé sur le soft power, la supériorité scientifique et technologique et sur une culture dominante, admirée et adulée à l’échelle planétaire, véhiculé par Hollywood, les GAFAs, et des centaines de leaders mondiaux en technologie de la communication, en production culturelle et en business solutions. Les nations qui voyaient en Donald Trump une opportunité pour revenir sur les pratiques démocratiques et les valeurs de liberté, sont déçues de l‘arrivée de Joe Biden ; celui-ci croit que la promotion de la démocratie à travers le monde passe par un renforcement des institutions aux USA, fragilisées par un courant autoritaire et populiste au sein du Parti Républicain sous l’impulsion de Donald Trump. Il est certain que l’administration Biden va axer l’aide internationale américaine sur la promotion des valeurs de la liberté d’expression et de la pensée, la liberté religieuse et les droits des minorités et des groupes marginalisés ou opprimés.
Sur le plan interne, Biden va renforcer la démocratie, réformer l’éducation, la justice et les élections, lutter contre la corruption et les conflits d’intérêts, et maintenir des lignes de communication “honnêtes” avec le peuple américain (idem). Rétablir le leadership moral des USA impliquerait pour Biden l’abandon «des pratiques horrifiques de séparation des familles» aux frontières avec le Mexique, tout en veillant à la sécurité des frontières et à un meilleur traitement des dossiers de l’immigration, “mettre fin à l’interdiction de voyager contre les personnes originaires de pays à majorité musulmane » initiée par Trump, et adopter une politique d’asile en adéquation avec les besoins au niveau mondial ; il renversera également «la politique d’interdiction du financement des ONG qui font du plaidoyer pour l’abortion » (idem) et veillera à l’amélioration de la situation des femmes et des enfants en interne et à l’international.
Un sommet mondial sur la démocratie, la lutte contre l’utilisation des plateformes digitales pour des fins de surveillance par la Chine, la Russie et d’autres pays totalitaires, l’engagement des alliés pour plus de transparence politique et électorale, et la lutte contre les fakenews et les contre-vérités, sont des pistes qui guideront l’engagement de Biden au niveau international en faveur de la démocratie (idem). Cette orientation est diamétralement opposée à la politique transactionnelle, protectionniste, pro-autoritaire, nationaliste, et unilatéraliste de Donald Trump. Pour Biden, les Etats-Unis vont mener par l’exemple, servant en tant que modèle, un phare d’un néo-humanisme qui croit que les peuples de la terre ont plus de choses qui les unissent que celles qui les séparent et que les différences sont une richesse qu’il faut célébrer au lieu de vouloir l’anéantir. De plus, ces valeurs universelles coïncident avec les valeurs fondatrices de la nation américaine, d’où la notion de ce qui est «bien pour l’Oncle Sam est bien pour le monde et vice versa», sous-jacente à la vision de Biden.
Sur le plan économique, l’agenda Biden comprend, mais ne se limite pas à la reconstruction de la classe moyenne, l’adéquation des skills aux besoins de la quatrième et cinquième révolutions industrielles, «l’investissement R&D dans les domaines de l’énergie propre, l’informatique quantique, l’IA, la 5G, les TGV » (idem). Néanmoins, la Chine demeure «la plus grande menace pour les intérêts américains». Biden a sévèrement critiqué la Chine pour son «vol de la technologie des firmes américaines et de la propriété intellectuelle et pour avoir donné à ses entreprises publiques un avantage injuste grâce à des subventions étatiques» (Tracy McNicoll, “Back at the Head of the Table : A Look at Biden’s Foreign Policy Agenda,” France 24, 10 Novembre 2020”). Biden va supprimer les tarifs contre les produits européens et canadiens (idem), mais pourrait maintenir ceux à l’encontre de la Chine. L’idée est de renforcer l’alliance occidentale, et avec les pays amis et alliés en Amérique Latine, en Asie (Japon, Corée du Sud), et en Océanie (Australie et Nouvelle Zélande) pour contenir la Chine et contrecarrer le RCEP (The Regional Comprehensive Economic Partnership signé au Vietnam le 15 Novembre 2020) et qui donne un rôle important au leadership chinois. Cette politique rappelle la notion de « containement » adoptée dans les années 40 et 50 du siècle dernier contre l’Union Soviétique, sauf que celle-ci est beaucoup plus économique que militaire.
Mais même militairement, Biden compte renforcer les capacités de l’OTAN, se retirer de l’Afghanistan et du Yémen et bâtir la capacité de l’armée américaine pour faire face à « de nouvelles menaces non traditionnelles telles que la corruption militarisée, le cyber-vol et les nouveaux défis dans l’espace et en haute mer» («The Power of America’s Example,» cité ci-dessus). L’engagement militaire au Moyen Orient sera plus ciblé (visant Daesh et Al Qaïda) et sera assorti d’un effort en faveur de la solution des deux Etats (Palestine et Israël), la poursuite de la politique de soutien à la «sécurité d’Israël», et de l’aide en faveur de la démocratie, des droits de l’homme, de la lutte contre la pauvreté, du soutien à la société civile et de la promotion du secteur privé.
Étant un allié historique des USA, le Maroc bénéficiera d’un soutien politique dans l’affaire du Sahara, surtout que la reconnaissance par Trump de la souveraineté du Maroc sur le territoire a libéré les américains d’un obstacle qui, auparavant, rendait difficile toute approche de coopération avec le Maroc dans le contexte de la paix et la sécurité au Sahel et à l’Ouest-africain. L’administration Biden va renforcer la coopération militaire et sécuritaire avec le Maroc et va donner plus de sens au dialogue stratégique politique entamé depuis le premier mandat d’Obama. L’aide au développement va certainement se poursuivre à travers la Stratégie Pays de l’USAID Maroc qui vise l’employabilité des jeunes, la participation citoyenne et l’amélioration du niveau d’éducation des enfants du primaire (Site USAID Maroc). Idem pour le Millenium Challenge Corporation Morocco Compact qui vise l’employabilité des jeunes et la productivité du foncier. The MEPI (Middle East Partnership Initiative), qui travaille déjà au Sahara, va certainement continuer son travail sur le renforcement des compétences d’employabilité impulsée par la demande du marché. Par ailleurs, il n’est pas exclu que les IDE provenant des USA et encouragés par le gouvernement américain connaissent un essor important dans l’avenir proche.
Les Américains vont mettre l’accent sur la coopération militaire et en matière de sécurité et vont orienter l’aide vers l’employabilité et les partenariats avec le secteur privé. Au niveau de la gouvernance, ils vont pousser vers plus de démocratisation, une meilleure gouvernance de la chose publique, une nette amélioration de la liberté d’expression et plus de demande de redevabilité de la part des citoyens. De leur part, les Marocains pourraient insister sur un rôle plus prononcé des Américains dans l’achèvement de l’intégrité territoriale marocaine, la promotion des investissements américains au Maroc surtout en matière de technologie, d’industrie, des énergies renouvelables et de R&D. L’écart entre les attentes américaines et marocaines doit inciter les deux parties à améliorer la qualité du dialogue stratégique politique et les Marocains à faire plus d’effort pour mobiliser l’opinion publique internationale en faveur de la question du Sahara, pour faciliter la tâche aux Américains. La balle est dans les deux camps, mais les Marocains doivent doubler leurs efforts pour ne pas laisser l’opportunité passer sans tourner irréversiblement les choses en leur faveur.
Leadership renouvelé et alliances reconstruites, pour faire face aux défis de l’insécurité, de l’autoritarisme et des changements climatiques.
Par Lahcen Haddad, ex-ministre, député du Parti de l’Istiqlal.