La politique se meurt


Une curieuse scène politique que nous avons depuis un an et demi au Maroc. Le parlement est bondé de gens d’affaires qui s’essaient à la politique, devenus législateurs sans la formation et l’expérience qui vont ordinairement avec, et des ministres très bons techniciens mais piètres politiciens. Le pays avait certes besoin de technocrates, mais la politique a aussi du bon et il faudra bien qu’un jour, à notre, rythme, nous devenions une démocratie représentative. Or, la politique, chez nous, se meurt…



Écouter le podcast en entier :


Par Aziz Boucetta

Avec le PJD et qu’on entérine ou pas son idéologie et son positionnement, le Maroc avait eu une scène politique animée, antagonique, offensive et parfois même agressive, comme dans toute démocratie. Le public s’y retrouvait, animé par des courants et porté par ses passions, et il s’intéressait à la chose publique. Abdelilah Benkirane attaquait Ilyas el Omary qui s’en prenait à Hamid Chabat qui accablait Aziz Akhannouch qui ripostait, pendant que le pays avançait à sa vitesse et à sa manière. A l’international, le royaume envoyait une classe politique aguerrie et renvoyait l’image d’un pays qui s’essayait à la politique qui était culturellement la sienne.

Et plus haut encore dans l’histoire récente du pays, voici quelques décennies, le parlement ne servait certes à strictement rien, puisque le défunt Driss Basri faisait tout, mais il y avait de la politique. Les Bouabid et Youssoufi, Yata et Boucetta, et leurs seconds couteaux mettaient de la couleur dans ce parlement aujourd’hui éteint, sans lustre ni éclat. Il y avait de la contestation, de l’opposition et même des propositions (quelquefois des arrestations, mais cela est une autre histoire)… il y avait du verbe et de la passion, de l’enthousiasme et de grandes joutes et échanges entre adversaires et parfois même entre alliés.

En face, les hommes de feu Hassan II géraient tout cela, avec art et une certaine manière, chacun de sa position et dans son domaine, et la constitution, pâle document soigneusement rangé, était de temps en temps évoquée, de loin en loin convoquée, voire révoquée et amendée.

Aujourd’hui, rien de tel… Malgré pourtant une constitution qui ressemble à une constitution, un paysage politique morne, silencieux, et des personnages pâles, peu sûrs et encore moins assurés, clappant des mains à la demande, déclamant de longues phrases à la ronde, soporifiques, inutiles, peu convaincus et certainement pas convaincants. Le propos n’est pas, ici, de dire qu’avant c’était mieux, mais d’éviter qu’après ce soit pire.

Nous sommes...passés de l’envolée oratoire à l’invective, puis à l’insignifiance, puis à la vulgarité, et aujourd’hui, excepté quelques rares politiques survivant au parlement et au gouvernement, nous avons des créatures au langage technocratique que peu comprennent et que personne n’entend.

 

Quand Abdelilah Benkirane s’exprimait à la tribune de l’ONU, échangeait dans un forum à Davos ou s’enflammait dans l’hémicycle du parlement, il y avait du sens. C’était le chef du gouvernement désigné par l’élection, arrivé là avec le parti classé premier, ainsi que le veut la loi. Il riait, éructait, souriait, menaçait mais les gens l’écoutaient ; puis il fut remplacé par son éternel rival Saadeddine Elotmani, pas très bon orateur mais maîtrisant sa langue, jouant avec les mots et capable de réparties savantes, certes rarement réjouissants mais pertinentes.

Aujourd’hui, rien de tel… Le chef du gouvernement est silencieux, entouré de deux douzaines de ministres dont aucun ne s’exprime en dehors de son champ de compétence qui, généralement n’intéresse que très peu de gens. Un gouvernement de secrétaires généraux promus, fades et insipides, quadras clinquants mais qui décolorent la politique, qui égrènent des chiffres que personne ne sent ni ne ressent. Même quand M. Akhannouch prend la parole, il déroule un langage de technocrate chef d’entreprise, qu’il fut, qu’il redeviendra, qu’il ne cessera pas d’être. Il prit la parole à l’ONU, personne ne l’écouta, à Davos, personne ne le suivit, au parlement, personne ne s’y intéressa.

Ce que le chef du gouvernement dit est très certainement juste et pertinent, et il livrera très certainement ce qu’il a promis de délivrer, mais dans l’intervalle, la politique se meurt. Le Maroc aura ses investissements, sans doute, sa protection sociale, assurément, son registre social qui unifiera tout le monde, personne n’en doute, mais le pays aura toujours besoin d’une classe politique sans laquelle rien de sérieux ni de pérenne ne saura se faire, et sans laquelle aucun pays sérieux ne nous prendra au sérieux. Le gouvernement a des ministres politiques, mais qui parlent peu, ou ne parlent plus, choisissant de se taire à jamais.

Or, avec ces pâles ministres peu causants, ces ternes députés peu reluisants, nous nous éloignons de la politique, dans son éthique et son esthétique, autant que le public marocain s’éloigne de la politique. Et bien malin qui pourra prédire ce qui se produira quand les élections seront là et qu’il s’agira de mobiliser une population entretemps dépolitisée par une classe politique démonétisée.

Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost

 


Jeudi 2 Février 2023

Dans la même rubrique :