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Le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita l’a rappelé tout récemment encore, et comprenne qui voudra : « Le Maroc agit d’abord, puis fait ses annonces après, et pas l’inverse ». En matière diplomatique, cela a toujours été le cas, ou presque, ainsi qu’on l’a pu constater pour le deal avec Donald Trump sur le Sahara et, plus tôt, pour l’entrée à l’UA ou encore lors du Sommet africain lors de la COP22. Et cela se poursuit avec le projet de gazoduc Nigéria-Maroc…
L’emplacement géographique du royaume, à la confluence des trois ensembles géopolitiques et culturels que sont l’Afrique, l’Europe et l’espace arabo-islamique lui confère voire lui impose une nécessaire agilité diplomatique. Longtemps reclus, voire enserré, dans sa géographie, le Maroc semble vouloir briser cet étau pour prendre l’initiative et devenir le maître (ou au moins « co-maître ») d’un jeu dont il détient plusieurs atouts.
Ainsi, le projet titanesque de gazoduc reliant le Nigéria au Maroc, avec perspective de raccord à l’Europe, est de nature à transformer profondément, et donc à bouleverser durablement, la réalité géoéconomique, et par conséquent géopolitique, du bloc ouest-africain/européen. Le Maroc s’est soudainement invité dans cette nouvelle sphère d’influence, avec la double perspective de briser la stratégie russe d’encerclement européen et de se poser comme fournisseur potentiel et indirect de l’UE en gaz naturel.
Que la résurgence du projet de gazoduc Nigéria-Maroc dans l’entretien téléphonique d’hier 31 janvier entre les chefs d’Etat des deux pays intervienne quelques temps après des manœuvres algériennes à la frontière marocaine et la présence concomitante d’un groupe naval russe à Alger n’est certainement pas le fruit du hasard… cette démonstration russe succède elle-même à l’installation projetée de Américains à Dakhla.
Il est évident que l’ouverture d’une nouvelle source d’approvisionnement énergétique européenne à travers le Maroc ne peut que perturber la stratégie russe de domination de l’Europe par l’énergie, et le regain d’intérêt de la Cédéao pour ce projet gazier, lors de sa réunion de décembre dernier, peut le confirmer. Et ce faisant, Rabat, sans s’adresser directement à Moscou, lui adresse un signal important, que les Russes ne sauraient négliger, même si l’encerclement européen n’est pas leur seul objectif, celui de reprendre économiquement et politiquement pied en Afrique étant également une volonté du Kremlin.
Il reste la question du financement de ce projet de gazoduc maroco-nigérian. Estimé entre 20 et 30 milliards de dollars, il devra faire appel à plusieurs sources de financement. Les Européens se caractérisent encore une fois par leur manque de réactivité dans une région pourtant située à leur flanc sud, abandonnant l’initiative à d’autres puissances qui seraient intéressées par une implantation en Afrique occidentale.
Aussi, dans cette partie du monde, l’Afrique de l’Ouest en l’occurrence, qui bouge et évolue, un grand jeu d’échecs démarre, avec les positionnements américains et chinois en premier, Israël et le Conseil de coopération du Golfe en second, peut-être le Japon et l’Inde plus tard. Une réaction russe pourrait être attendue dans les semaines ou mois qui viennent. Quant à l’Europe, engluée dans ses problèmes internes et ses fragilités croissantes, elle assiste à ce regain d’activité dans une région dont elle devrait faire une priorité.
Si ce projet de gazoduc se réalise, le Maroc renforcera son soft power dans la région par un peu plus de hard power. Le renforcement de son front interne et une diplomatie moins retenue, plus audacieuse, plus offensive, y aiderait considérablement.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com