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Par Abdeslam Seddiki
Dans cette guerre à laquelle peu d’observateurs s’attendaient, « deux mentalités se trouvent ainsi confrontées. D’un côté, le réalisme stratégique des États-nations, de l’autre, la mentalité post- impériale, émanation d’un empire en désintégration. Aucune des deux ne saisit toute la réalité puisque la première n’a pas compris que l’Occident n’était plus constitué d’États-nations, qu’il est devenu autre chose ; et que la seconde est devenue imperméable à l’idée de souveraineté nationale. Mais les prises sur la réalité de l’une et de l’autre ne sont pas équivalentes et l’asymétrie joue en faveur de la Russie » (p21)
Une guerre c’est une question de stratégie et de rapport des forces. Elle se joue sur plusieurs tableaux y compris sur le plan de la communication. Sur ce plan, le contraste entre les deux belligérants (Russie, Occident) est saisissant. D’un côté, la Russie jouit de la stabilité et affiche des indicateurs économiques et sociaux qui tranchent avec la situation chaotique que connaissait le pays au lendemain de la dislocation de l’Union Soviétique. L’auteur avance des chiffres et des faits qui contredisent les pronostics des milieux occidentaux et de certains think tank qui leur sont rattachés.
En 2020, les exportations agroalimentaires russes ont atteint le niveau record de 30 milliards de dollars, un chiffre supérieur aux revenus tirés des exportations de gaz naturel la même année (26 milliards). Les performances du secteur agricole ont permis à la Russie de devenir exportatrice nette de produits agricoles en 2020, pour la première fois dans son histoire récente : entre 2013 et 2020, les exportations agroalimentaires russes ont été multipliées par trois tandis que les importations ont été divisées par deux. En outre, la Russie s’est maintenue comme deuxième exportateur d’armes mondial en plus de la reprise de son appareil industriel.
Pour l’auteur, « Le « système Poutine » est stable parce qu’il est le produit de l’histoire de la Russie et non l’œuvre d’un homme. Le rêve qui obsède Washington d’un soulèvement anti-Poutine n’est effectivement qu’un rêve, découlant du refus des Occidentaux de voir que les conditions de vie se sont améliorées sous son règne et de reconnaître la spécificité de la culture politique russe » (p.45)
D’un autre côté, l’Occident, lui, n’est pas stable ; il est même malade, affirme Todd. Tout au long de différents chapitres, il a essayé de le démontrer en tirant des conclusions pour chaque pays ou groupes de pays étudiés : désintégration de la société ukrainienne, la mauvaise conscience des anciennes démocraties populaires, la fin du rêve européen d’indépendance, l’affaissement du Royaume-Uni en tant que nation, la dérive scandinave avant de s’appesantir longuement sur la situation des USA.
Ce pays n’est pas seulement en crise, il occupe une position centrale. Son poids, démographique ou économique, sept à dix fois supérieur à celui de la Russie, son avance technologique, sa prédominance idéologique et financière héritée de l’histoire économique des années 1700-2000 nous amènent inévitablement à émettre l’hypothèse que sa crise est la crise du monde. (p.109). Car le vrai problème auquel le monde est aujourd’hui confronté, écrit-il, ce n’est pas la volonté de puissance russe, très limitée, c’est la décadence de son centre américain, elle sans limite.
Par ailleurs, l’auteur juge sévèrement la situation de l’Europe et notamment ses classes dominantes. Il voit ces pays comme une « simple colonie » des Etats-Unis et ne disposent d’aucune autonomie. La technique de l’internet dont les Américains sont maitres grâce aux GAFAM y est pour beaucoup. La conclusion de Todd est cinglante. « Internet a d’abord incarné un rêve de liberté, ensuite une réalité plus sombre ; il a suscité dans un premier temps un sentiment grisant : liberté de rencontrer des personnes auxquelles auparavant on n’aurait jamais pu parler, liberté de circulation de l’information, liberté d’envoyer des photos d’un bout à l’autre de la planète, liberté de la pornographie, liberté de réserver sur simple impulsion son billet de train et son hôtel, d’examiner à tout instant son compte en banque, de faire circuler son argent.
Dans un second temps, on s’est rendu compte qu’Internet, c’est aussi l’enregistrement de tout, absolument tout ce qu’on y fait, et la possibilité de mettre sous surveillance la totalité des actions, présentes et passées, financières et sexuelles, qui s’y déroulent. » (p147). Et l’auteur d’aller plus loin :
« Je ne pense pas que les riches qui ont commencé à déposer leur argent dans les paradis fiscaux anglo-saxons aient compris tout de suite qu’ils se plaçaient sous l’œil et le contrôle des autorités américaines. ». Ainsi, l’Amérique décline, mais son emprise sur l’Europe augmente. Considéré dans sa structure productive et commerciale globale l’Occident n’est pas symétrique. On voit apparaître un rapport d’exploitation systémique de la périphérie par le centre américain
Au lieu de la « destruction créatrice » de Schumpeter, l’auteur n’y voit que la destruction tout court : « Dans l’Amérique actuelle, j’observe, au plan de la pensée et des idées, un dangereux état de vide, avec comme obsessions résiduelles l’argent et le pouvoir. Ceux-ci ne sauraient être des buts en eux-mêmes, des valeurs. Ce vide induit une propension à l’autodestruction, au militarisme, à une négativité endémique, en somme, au nihilisme ».
Une guerre c’est une question de stratégie et de rapport des forces. Elle se joue sur plusieurs tableaux y compris sur le plan de la communication. Sur ce plan, le contraste entre les deux belligérants (Russie, Occident) est saisissant. D’un côté, la Russie jouit de la stabilité et affiche des indicateurs économiques et sociaux qui tranchent avec la situation chaotique que connaissait le pays au lendemain de la dislocation de l’Union Soviétique. L’auteur avance des chiffres et des faits qui contredisent les pronostics des milieux occidentaux et de certains think tank qui leur sont rattachés.
En 2020, les exportations agroalimentaires russes ont atteint le niveau record de 30 milliards de dollars, un chiffre supérieur aux revenus tirés des exportations de gaz naturel la même année (26 milliards). Les performances du secteur agricole ont permis à la Russie de devenir exportatrice nette de produits agricoles en 2020, pour la première fois dans son histoire récente : entre 2013 et 2020, les exportations agroalimentaires russes ont été multipliées par trois tandis que les importations ont été divisées par deux. En outre, la Russie s’est maintenue comme deuxième exportateur d’armes mondial en plus de la reprise de son appareil industriel.
Pour l’auteur, « Le « système Poutine » est stable parce qu’il est le produit de l’histoire de la Russie et non l’œuvre d’un homme. Le rêve qui obsède Washington d’un soulèvement anti-Poutine n’est effectivement qu’un rêve, découlant du refus des Occidentaux de voir que les conditions de vie se sont améliorées sous son règne et de reconnaître la spécificité de la culture politique russe » (p.45)
D’un autre côté, l’Occident, lui, n’est pas stable ; il est même malade, affirme Todd. Tout au long de différents chapitres, il a essayé de le démontrer en tirant des conclusions pour chaque pays ou groupes de pays étudiés : désintégration de la société ukrainienne, la mauvaise conscience des anciennes démocraties populaires, la fin du rêve européen d’indépendance, l’affaissement du Royaume-Uni en tant que nation, la dérive scandinave avant de s’appesantir longuement sur la situation des USA.
Ce pays n’est pas seulement en crise, il occupe une position centrale. Son poids, démographique ou économique, sept à dix fois supérieur à celui de la Russie, son avance technologique, sa prédominance idéologique et financière héritée de l’histoire économique des années 1700-2000 nous amènent inévitablement à émettre l’hypothèse que sa crise est la crise du monde. (p.109). Car le vrai problème auquel le monde est aujourd’hui confronté, écrit-il, ce n’est pas la volonté de puissance russe, très limitée, c’est la décadence de son centre américain, elle sans limite.
Par ailleurs, l’auteur juge sévèrement la situation de l’Europe et notamment ses classes dominantes. Il voit ces pays comme une « simple colonie » des Etats-Unis et ne disposent d’aucune autonomie. La technique de l’internet dont les Américains sont maitres grâce aux GAFAM y est pour beaucoup. La conclusion de Todd est cinglante. « Internet a d’abord incarné un rêve de liberté, ensuite une réalité plus sombre ; il a suscité dans un premier temps un sentiment grisant : liberté de rencontrer des personnes auxquelles auparavant on n’aurait jamais pu parler, liberté de circulation de l’information, liberté d’envoyer des photos d’un bout à l’autre de la planète, liberté de la pornographie, liberté de réserver sur simple impulsion son billet de train et son hôtel, d’examiner à tout instant son compte en banque, de faire circuler son argent.
Dans un second temps, on s’est rendu compte qu’Internet, c’est aussi l’enregistrement de tout, absolument tout ce qu’on y fait, et la possibilité de mettre sous surveillance la totalité des actions, présentes et passées, financières et sexuelles, qui s’y déroulent. » (p147). Et l’auteur d’aller plus loin :
« Je ne pense pas que les riches qui ont commencé à déposer leur argent dans les paradis fiscaux anglo-saxons aient compris tout de suite qu’ils se plaçaient sous l’œil et le contrôle des autorités américaines. ». Ainsi, l’Amérique décline, mais son emprise sur l’Europe augmente. Considéré dans sa structure productive et commerciale globale l’Occident n’est pas symétrique. On voit apparaître un rapport d’exploitation systémique de la périphérie par le centre américain
Au lieu de la « destruction créatrice » de Schumpeter, l’auteur n’y voit que la destruction tout court : « Dans l’Amérique actuelle, j’observe, au plan de la pensée et des idées, un dangereux état de vide, avec comme obsessions résiduelles l’argent et le pouvoir. Ceux-ci ne sauraient être des buts en eux-mêmes, des valeurs. Ce vide induit une propension à l’autodestruction, au militarisme, à une négativité endémique, en somme, au nihilisme ».
En 2022, le PIB russe représentait 8,8 % du PIB américain (et, combiné au PIB biélorusse, 3,3 % du PIB du camp occidental). Comment, malgré ce déséquilibre en leur faveur, les États-Unis en sont-ils arrivés à ne plus pouvoir fabriquer assez d’obus pour l’Ukraine ? C’est la question que s’est posé l’auteur dès le début de son livre et à laquelle il a répondu en « dégonflant » le PIB américain en lui substituant le PIR (Produit intérieur réel).
L’auteur y a procédé à travers une gymnastique intellectuelle en ne retenant dans le PIB que ce qui est utile à la société, notamment la production de biens matériels (une richesse physique) et en corrigeant les dépenses relatives à la santé qui lui paraissent fantaisistes. Au terme de cet exercice, discutable du reste, le PIB par habitant, qui était de 76 000$ en 2022 n’est plus que de 39520 $ en termes de PIR par habitant. Du reste, les USA ont connu une désindustrialisation inquiétante au point que leur part dans la production mondiale a dégringolé de 44,8% en 1928 à 16,8% en 2019.
L’Occident semble s’être figé quelque part entre 1990 et 2000, entre la chute du mur de Berlin et un bref moment de toute- puissance. Plus de trente ans ont passé depuis la chute du communisme et il est clair que, pour le reste du monde, désormais, particulièrement depuis la Grande Récession de 2007-2008, il a cessé d’être un vainqueur admirable. La globalisation qu’il a déclenchée s’essouffle, son arrogance exaspère. Le narcissisme occidental, l’aveuglement qui s’ensuit, est devenu l’un des atouts stratégiques majeurs de la Russie.
L’ouvrage de Todd est apprécié différemment en fonction de la grille de lecture et de l’échelle des préférences et convictions de tout un chacun. Dans certains comptes rendus, assez critiques, qui ont été publiés depuis son apparition, on relève notamment la critique suivante : il est reproché à E.Todd son manque d’objectivité et son parti-pris en faveur de la Russie. Soit. Mais que dire de ces mêmes critiques qui ne cessent de faire l’apologie du sionisme, de fermer les yeux sur le génocide du peuple palestinien et de faire la dance du ventre au capital financier international?
°Emmanuel TODD (avec la collaboration de Baptiste TOUVEREY) « La Défaite de l’Occident », éd. Gallimard, 300 pages.
L’auteur y a procédé à travers une gymnastique intellectuelle en ne retenant dans le PIB que ce qui est utile à la société, notamment la production de biens matériels (une richesse physique) et en corrigeant les dépenses relatives à la santé qui lui paraissent fantaisistes. Au terme de cet exercice, discutable du reste, le PIB par habitant, qui était de 76 000$ en 2022 n’est plus que de 39520 $ en termes de PIR par habitant. Du reste, les USA ont connu une désindustrialisation inquiétante au point que leur part dans la production mondiale a dégringolé de 44,8% en 1928 à 16,8% en 2019.
L’Occident semble s’être figé quelque part entre 1990 et 2000, entre la chute du mur de Berlin et un bref moment de toute- puissance. Plus de trente ans ont passé depuis la chute du communisme et il est clair que, pour le reste du monde, désormais, particulièrement depuis la Grande Récession de 2007-2008, il a cessé d’être un vainqueur admirable. La globalisation qu’il a déclenchée s’essouffle, son arrogance exaspère. Le narcissisme occidental, l’aveuglement qui s’ensuit, est devenu l’un des atouts stratégiques majeurs de la Russie.
L’ouvrage de Todd est apprécié différemment en fonction de la grille de lecture et de l’échelle des préférences et convictions de tout un chacun. Dans certains comptes rendus, assez critiques, qui ont été publiés depuis son apparition, on relève notamment la critique suivante : il est reproché à E.Todd son manque d’objectivité et son parti-pris en faveur de la Russie. Soit. Mais que dire de ces mêmes critiques qui ne cessent de faire l’apologie du sionisme, de fermer les yeux sur le génocide du peuple palestinien et de faire la dance du ventre au capital financier international?
°Emmanuel TODD (avec la collaboration de Baptiste TOUVEREY) « La Défaite de l’Occident », éd. Gallimard, 300 pages.
Rédigé par Abdeslam Seddiki