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Il est venu, il a vu, et il a peu convaincu… Lui, c’est Khalid Aït Taleb, le très diplômé ministre de la Santé, en charge de la sécurité sanitaire du royaume, venu expliquer, et surtout s’expliquer, sur la décision prise par lui, en commun avec son collègue de l’Intérieur, en charge de la sécurité tout court du pays, d’isoler huit villes du royaume. Or, le problème n’est pas de confiner, mais dans l’art et la manière d’affiner.
Ces deux hommes ont réussi ce que leurs prédécesseurs auront su éviter plusieurs décennies durant : la désobéissance civile. Voir des gens quitter Tanger à pied, et apprendre que d’autres gens ont bousculé des barrages de gendarmerie nous apprend des choses nouvelles sur la société de ce pays et sur la nouvelle psychologie collective de ses habitants. En gros, c’est « nous sommes prêts à tout faire, et même à nous taire, mais que l’on nous témoigne de la considération. S’il vous plaît ».
Et c’est donc dans une salle comble où étrangement aucune distanciation n’est maintenue que le ministre est venu dérouler ses chiffres, manifester de l’inquiétude, apporter des précisions et tenter de présenter une figure humaine ! Car, redisons-le, le problème n’est pas de reconfiner, d’isoler, de prendre des mesures et d’essayer de les faire respecter… non, cela est normal, et même vital. Le problème est dans la communication désastreuse et la préparation calamiteuse.
Puisque sur Casablanca uniquement, les chiffres des contaminations sont passés de 2.200 en trois mois à 2.900 en trois semaines, d’autres décisions auraient pu être prises, plus judicieuses, en l’occurrence la décision de ne pas célébrer la fête cette année. Il est vrai que cette période religieuse est économiquement importante, mais il aurait alors appartenu au gouvernement, et principalement à son furtif ministre de l’Agriculture, de trouver une solution. L’Etat a fait des miracles trois mois durant, il pouvait continuer…
De plus, la courtoisie et le respect les plus élémentaires auraient voulu que cette conférence de presse se tienne la veille, voire l’avant-veille, non pour annoncer l’isolement, mais pour suggérer son éventualité… Dans une société où les gouvernants respectent leurs administrés, on ne bloque pas des millions de personnes, en période de fête, par un communiqué laconique, déshumanisé, froid, et décliné tout aussi froidement, sur un ton comminatoire. On en a d’ailleurs vu le résultat.
Mais le ministre de la Santé, pour en revenir à lui, venu seul, son collègue de l’Intérieur ayant certainement mieux à faire après sa double engueulade saturnale et dominicale, n’est pas à l’aise avec la presse. Un tantinet contrarié et un tant soit peu nerveux, il a globalement dit que le relâchement citoyen est responsable de la propagation rapide du virus, et il a raison (en omettant tout de même d'évoquer aussi le relâchement des autorités) ; il a aussi dit que prévenir les gens à temps est contre-productif, et il n’a pas tort. Mais il n’a rien dit sur la non-préparation sécuritaire des routes et autoroutes, qui auraient dû recevoir des renforts de gendarmes. Et c’est là que le bât blesse… lâcher des centaines de milliers de gens sur les routes, nerveux, stressés, énervés, désemparés, et s’attendre à ce que tout se passe comme dans le meilleur des mondes.
Il n’a rien dit aussi sur ces hôtels dont les patrons demandent à leurs clients de vite partir en raison de l’imprévisibilité des autorités. Il n’a pas pipé mot sur les autoroutes, qui auraient pu faire un effort et lever les barrières aux péages. Le Pr Aït Taleb, au lieu de se présenter devant la presse avec les gens du comité scientifique qui auraient visiblement préféré se trouver ailleurs, aurait été avisé de se faire accompagner par ses amis ministres de l’Intérieur, du Transport, du Tourisme, de l’Agriculture et peut-être même de son chef Saâdeddine Elotmani.
Encore une fois, prendre des mesures est très certainement une bonne chose, mais que nos gouvernants admettent et assimilent une fois pour toutes que les Marocains peuvent comprendre mais qu’ils refusent de se faire surprendre par des gouvernants qui ne pensent à prendre aucune précaution avant d’asséner des remèdes de mammouth.
Par Aziz Boucetta sur www.panorapost.com