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15 mois de pandémie mondiale, et au Maroc… 15 mois de confinement, déconfinement, reconfinement et couvre-feu dans le monde, et au Maroc… des pertes d’emplois par milliers, dizaines, voire centaines de milliers dans tous les pays, et au Maroc… Dans les médias et les bouches des dirigeants d’ici et d’ailleurs, on ne parle plus que de variants et de vaccins, de relance et de retour à la normale… comme pour exorciser l’idée que ce qui se passe aujourd’hui est l’amorce de la bombe de demain.
Depuis le 15 mars 2020, le Maroc est sous état d’urgence sanitaire, une situation qui perturbe l’ensemble des secteurs productifs, légaux soient-ils ou informels. Le gouvernement en est certes conscient mais peut-on réellement lui reprocher d’avoir privilégié la santé à l’économie ? Seulement, quand la santé aura été préservée et que la pandémie sera derrière nous, dans quel état trouvera-t-on ce pays où la pauvreté prospère, où les inégalités explosent et où la cohésion sociale risque fortement d’imploser ?
Selon le HCP, le taux de chômage a grimpé de 2,7 points entre 2019 et 2020 au Maroc, passant de 9,2% à 11,9%... mais on sait que les chiffres du HCP sont bien en-deçà de la réalité, puisqu’ils ne peuvent être exhaustifs et réels concernant le secteur informel. Autre chiffre imprécis, les faillites d’entreprises ; Inforisk affirme que depuis début 2021, près de 2.700 entreprises ont déposé leur bilan, et cela continuera car les tribunaux de commerce, après avoir été en sous-activité en 2020, pour cause de Covid, ont repris du service. On peut hasarder que le niveau réel des faillites est bien plus élevé.
Nous ne disposons pas plus des chiffres réels du tourisme, des unités hôtelières qui, privées de recettes, ne peuvent plus faire face aux charges, des cafés qui, par milliers, ferment, des hammams et autres salons de coiffure… Et bien évidemment, tous ces arrêts d’activité créent de la pauvreté et d’autres secteurs en sont fatalement et indirectement impactés, y compris ceux qui ont su traverser la crise. Les différents plans de relance proposés par l’Etat et les banques se révèlent déjà insuffisants, le tissu entrepreneurial étant en souffrance avant même que la crise ne s’annonce.
Et en face, nous avons quoi ? Un modèle de développement qui tarde à surgir, des partis politiques qui ne disent rien ou bien n’importe quoi, se focalisant davantage sur les aspects électoraux que sur les maux des électeurs. Récemment, la Fondation Lafqih Tetouani a invité les chefs de partis à s’exprimer. MM. Abdellatif Ouahbi, Nabil Benabdallah et Nizar Baraka se sont prêtés au jeu. Le RNI, comme à son habitude, ne s’exprime pour ainsi dire jamais, sauf pour asséner ses lieux communs habituels sur la santé, l’éducation et l’emploi, et le PJD boude.
M. Ouahbi s’est montré politicien, M. Benabdallah homme politique et M. Baraka a déployé un discours d’homme d’Etat. Les deux derniers semblent avoir saisi la gravité de la situation sociale du pays, potentiellement explosive. « 53,3% des richesses du pays sont détenues par 20% de la population, ce qui signifie que 80% des marocains se partagent moins de la moitié de la richesse nationale et que 20% d’entre eux accaparent le reste !» a martelé Nizar Baraka, qui a ajouté qu’ « il est temps qu’il y ait répartition égalitaire en termes de richesses, mais également en termes de sacrifices».
Au nom de quelle logique ou de quelle vertu les Marocains ont-ils mutualisé leurs peines sans qu’ils ne puissent équitablement bénéficier des richesses de leur pays ? Et c’est de situations similaires et d’inégalités analogues que les grandes pandémies ont débouché, en tout temps et en tous lieux, sur des troubles sociaux. Aux Etats-Unis, Joe Biden s’est lancé dans une gigantesque politique de redistribution, et en Europe, les différentes camps politiques réfléchissent à une plus grande progressivité de l’impôt.
Il est ainsi donc plus qu’urgent, voire vital, de ne plus sous-estimer ou même occulter l’étendue de la paupérisation économique réelle et du trauma psychologique universel, pouvant déboucher sur des troubles sociaux potentiels. Il appartiendra à la classe politique d’en prendre la mesure, avec technicité, perspicacité, efficacité, et audace.
La bombe à retardement sociale est là, et elle ne pourra être indéfiniment retardée. Ce n'est jamais le moment pour une telle bombe, et encore moins aujourd'hui que le royaume affiche ses immenses ambitions diplomatiques et géopolitiques.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com