Par Rachid Boufous
Le Maroc n’a pas 1236 ans et n’est pas né avec l’arrivée de Idriss 1er en 789 et la fondation du royaume idrisside.
Pourtant c’est ce que l’on nous a enseigné à l’école durant des décennies. On nous serinait que « les premiers habitants du Maroc furent les berbères, fils de Mazigh, venus du Yémen à travers l’Éthiopie »…
Toujours cette filiation arabe stupide qui n’a aucune base historique pour des homo sapiens qui existent au Maroc depuis 350.000 ans… !
On oubliait tacitement les royaumes berbères Massyles et Numides d’Afrique du Nord avec leurs grands rois :
* Aylimas (-310-290)
* Ilès (-290-260)
* Zelalsen (-260–240)
* Gaïa (-240–207)
* Oezalcès (-207–206)
* Capussa (-206–206)
* Lacumazès (-206–206)
* Massinissa (-206–208)
* Sophonisbe, -203)
* Syphax (-225–203)
* Sophonisbe, (-206-203)
* Vermina (-203–202)
* Massinissa I (-202–148)
* Micipsa (-148–118)
* Gulussa (-148–145)
* Mastanabal (-148–14?)
* Hiempsal I (-118–117)
* Adherbal (-118–112)
* Jugurtha (-118–105)
* Gauda (-105–88)
* Hierbas II (-84–82)
* Hiempsal II (-88–60)
* Masteabar (-88–81)
* Massinissa II (81–46)
* Juba I (-60–46)
* Juba II (-29+25)
De ces grands « Aguellid » ou rois en berbère, nous ne saurons que peu de choses dans les manuels scolaires marocains, où on préférait mettre en exergue les grands chefs arabes, « qui apportèrent la civilisation musulmane dans une contrée peuplée de sauvages polythéistes… ». Ce qui est on ne peut plus faux !
Quand l’islam et les arabes arrivent en Afrique du Nord vers 642, les peuples autochtones ont une religion, le christianisme, affiliés à l’église de byzance et son empire, qui y étaient présents. Un choc des civilisations s’est produit de manière brutale et sanglante. Plusieurs révoltes et guerres eurent lieu entre arabes et berbères. Elles durèrent de 647 jusqu’à la grande révolte de Mayssara en 739 et qui s’étala jusqu’en 743.
À la bataille d’Al Achraf (bataille des nobles), Khalid ibn Hamid al-Zanati chef berbère zénète et commandant militaire, choisit d'attaquer immédiatement l'armée arabe en train de se repentir avant l'arrivée des renforts de Sicile. Les rebelles berbères sous Khalid ibn Hamid écrasent et battent complètement l'armée de Khalid ibn Abi Habib, qui est lui même tué, massacrant la crème de la noblesse arabe d'ifriqiya. La bataille a lieu près de Tanger en décembre 740. Elle doit son nom à la participation, du côté des Omeyyade, de Qurayshites et d'Ansars.
À cause de cette défaite les Arabes ne commanderont plus au Maroc et en Algérie et ils se replièrent vers leurs bases arrières en Tunisie et en Égypte, et pire encore l’empire omeyyade allait s’effondrer quelques années plus tard du fait qu’il avait dégarni son flanc Est avec l’envoi de grandes armées en Afrique du Nord, permettant aux Abbassides de prendre le pouvoir et de décimer les derniers princes Omeyyades à Damas…
Pourtant, les Amazigh choisirent la religion musulmane comme nouveau dogme. Une grande dynastie, celle des Bereghouatas, très peu connue et peu enseignée car estimée « hérétique » par les historiens à la solde des sultans musulmans; naquit à cette époque sur les flancs de l’oued Bouregreg et s’étendît jusqu’à l’oued Oum Rabii, formant le royaume de Tamesna dont la capitale était Anfa (actuelle Casablanca).
Son fondateur, Salih Ibn Tarif, rédigea un coran en berbère comportant 80 sourates (114 dans le Coran), poussa ses adeptes à jeûner durant le mois de rajeb, de faire la prière collective le jeudi au lieu du vendredi, de prier cinq fois par jour et cinq fois la nuit…
Cette dynastie durera 350 ans jusqu’à l’arrivée des almohades, autre dynastie amazigh au 12eme siècle, qui mit fin aux « hérétiques » Bereghouatas.
L’aventure d’Al Andalus en 711, menée par Tarik Ibn Ziyad et les 7000 soldats amazighs qui l’accompagnerent, ne se fit sans heurts entre Tarik et son chef arabe Moussa Ibn Noucair, jaloux qu’un Mouwalla berbère puisse lui ravir la conquête de ce nouveau territoire. Tarik sera démis de ses fonctions une fois convoqué à Damas en 718 et finit mendiant dans la capitale omeyyade.
L’Andalousie, de l’arrivée d’Abderahmane 1er en 750 en Espagne jusqu’à la fin du califat en 1031, connaîtra de multiples révoltes des berbères d’Afrique du Nord toujours marginalisés et humiliés par les arabes andalous.
D’ailleurs ces derniers ramenèrent des eunuques Slaves d’ukraine et de Russie grâce aux commerçants juifs Rhadanites, afin d’en faire une force d’interpositions entre eux et les amazighs.
En 818 une grande révolte se déroula à Cordoue menée par des amazighs, excédés par les exactions de l’émir Al Hakam. Celui-ci, fit decimer les révoltes durant la fameuse « journée de la Fosse » et fit exiler 8.000 familles amazighes vers Fès que le roi Idriss II installa dans un nouveau quartier dénommé « adwat al andalouss » dans Fès El Bali…
Les berbères restés en Andalousie se vengèrent plu tard, en prenant la tête des 24 royaumes de Taifas en Andalousie après la fin de la guerre civile de 1032.
Jusqu’à cette date, ils composaient le gros des armées omeyyades en Andalousie sous les différents émirs. Toutefois, ils n’accédèrent jamais à un rang supérieur, jusqu’à l’arrivée des Almoravides, berbères sanhaja qui vinrent du Souss et du Sahara marocain et fondèrent avec Youssef Ibn Tachfine un empire qui s’étendait du fleuve Sénégal aux Pyrénées.
Et c’est une autre dynastie Amazigh, celle des Maçmouda Almohades, conduite par Mehdi Ibn Toumert vers 1147 qui Islamisa et arabisa le Maroc, en faisant appel aux tribus mercenaires yéménites des Banou Maaquil, Banou Hilal et Banou Souleyme, afin de coloniser les territoires anciennement sous domination des Bereghouatas, et c’est ainsi que les territoires des Zaer, Chaouia, Abda, Doukkala, Chiadma, qui étaient berbères, devinrent arabes…
Et c’est encore des dynasties berbères des Zenata et des de Sahbhaja qui fondèrent respectivement les dynasties Merinide et Saadienne.
Jusqu’au 20eme siècle, le Maroc est à dominante amazigh et ce sont les amazighs qui ont préservé et répandu l’islam au Maroc et en Afrique noire. Ils défendront toujours l’intégrité territoriale du Maroc quelle que soit la dynastie…
Quand la France arrive au Maroc en 1912, ce sont les tribus amazighs qui l’attaquent sévèrement en avril 1912 dans les environs de Fès et en novembre 1914 à El Herri par les partisans de Mouha Ou Hammou Zayani.
En 1921 ce sont les amazighs du Rif sous la conduite de Mohand Ben Abdelkrim Khattabi qui infligèrent une sévère défaite aux espagnols à Anoual. Une coalition franco-espagnole de 450.000 hommes viendra à bout des 80.000 soldats d’Abdelkrim à coups de bombardements chimiques sous le commandement du maréchal français Petain. Les séquelles de ces bombardements sont toujours vivaces dans le Rif, sans qu’il n’y ait eu ni reconnaissance ni dédommagement des populations locales par la France et l’Espagne. Plus tard, au début des années 30 la France dut subir la résistance de plusieurs tribus et chefs Amazigh comme Mouha Ou Saïd, Amhaouch, OuSkounti pour buter sur la longue résistance des Ait Atta et des Ait Merghad, pour une fois alliés après des décennies de mésentente, lors de la conquête du massif du Saghro et la bataille de Bougaffer en février et mars 1933.
Retranchés sur la montagne de Bougafer au sud du Djebel Saghro, 12.000 hommes et femmes des tribus des Aït Atta et des Ait Merghad résistent pendant plus de quarante jours face à plus de 80.000 hommes commandés par les généraux Giraud et Catroux et n'acceptent de négocier une trêve qu'après des bombardements aériens de l'aviation française stationnée à Ouarzazate et un sévère blocus.
D’ailleurs la France cherchera par tous les moyens à casser cette unité nationale au Maroc en édictant le Dahir Berbère, heureusement jamais mis en application et qui stipulait que les Amazigh devait être soustrait à la loi musulmane pour les assujettir au au seul droit coutumier berbère.
À l’indépendance du pays en 1956, les nationalistes de l’istiqlal firent payer aux amazigh le fait que certains caïds berbères complotèrent pour la déposition de Mohammed V. Leur civilisation alla disparaître des manuels scolaires et une lente arabisation de l’administration était le corolaire de cette marginalisation. Dans le pays amazigh des leaders nationalistes venaient haranguer les anciens esclaves affranchis « haratines », travailleurs quinaires rémunérés au cinquième de la récolte, pour qu’ils cessent de travailler les terres détenues pars les « baydanes » ou blancs, détruisant ainsi les anciennes structures sociales dans le monde rural, ce qui poussa beaucoup d’amazighs à migrer vers les villes se coupant définitivement de leurs racines rurales.
Dès la fin des années 50, deux révoltes eurent lieu dans le pays amazigh, dans le Rif avec Salam Ameziane et le Moyen-Atlas à Midelt avec Addi Ou Bihi. Dans ces deux régions on refusait l’hégémonie du partie nationaliste de l’istiqlal à dominante arabophone qui plaçait ses hommes à tous les postes de commandement, reléguant les amazighs à des postes subalternes et sans importance.
Durant presque 40 ans, les amazighs n’eurent pas leur place dans la société marocaine indépendante. Il était tabou de parler en amazigh à la télévision ou à la radio. La culture amazigh dans les médias se résumait à des troupes folkloriques, les livres et la pensée amazigh étant bannis du débat public.
Les amazighs payèrent aussi un lourd tribut au début des années 70 quand un groupe de généraux et de militaires d’origine berbère complotèrent contre le Roi Hassan II en 1971 et en 1972. En 1973 vinrent les événements de Moulay Bouazza, avec leur lot de malheurs. Pour avoir abrité et donné secours à des desperados, militants de l’UNFP commandés par Fquih Basri et Bennouna, voulant lancer une révolte de style guevariste au Maroc; les populations de Goulmima, de Rich, de Amellagou, de Khénifra, de Kerandou et de Tounfit durent subir une lourde répression et une marginalisation accrue, victimes innocentes de combats politiques lointains et qui les dépassent…
Plus tard, des activistes berbères furent emprisonnés au début des années 90 dans le Tafilalet car ils revendiquaient une reconnaissance de leur culture par l’état national.
Dans les années 2000, Sa Majesté Mohammed VI va rendre ses lettres de noblesse à l’identité amazigh et encouragé les marocains à découvrir cette culture multiséculaire.
Le discours que tint le souverain à Ajdir Izayane le 17 octobre 2001 est fondateur et il s'inscrit dans le cadre général du processus de démocratisation du Maroc. Il marque ainsi la reconnaissance de la composante amazighe dans le contexte pluriculturel marocain, dans ses dimensions de langue, de culture et d’histoire, tout en sachant que l'amazighité ne peut pas être écartée du paysage culturel marocain global.
Aujourd’hui 14 janvier est célébré le nouvel an Amazigh. Il correspond à 2975 ans depuis qu’un certain Shochenq a pris le pouvoir en Égypte et fonda la XXIIeme dynastie. On a choisi de le célébrer en janvier, le fameux Yennayer chez les Amazigh. Le calendrier amazigh, qui commence avec Yennayer, est basé sur des cycles agricoles et reflète l'importance de l'agriculture dans la vie des communautés vivant sur cette aire géographique de l’Afrique du Nord.
Il coïncide avec la période où les agriculteurs ont fini les labours-semailles qui s’étendent sur plusieurs semaines de l’automne et le début de l’hiver ; ainsi que la préparation d’autres lopins de terre pour les semis du printemps.
Pourtant la longue marche des amazighs pour la reconnaissance de leur identité et de leur culture est loin d’être achevée. Elle passera nécessairement par le développement territorial et le désenclavement total de ces contrées. Les amazighs demandent aujourd’hui avec insistance leur quote-part du formidable développement économique que connaît le pays depuis un quart de siècle. En tant qu’amazigh je souhaite aussi que les mouvements amazigh sortent du dogmatisme dans lequel une longue lutte les a enfermés. Le Tifinagh ou graphie berbère pour apprendre l’amazigh gagnerait à être aussi écrite en lettre arabes et latines afin de permettre au plus grand nombre de marocains locuteurs ou non du berbère de pouvoir apprendre à parler ces magnifiques dialectes qui composent la langue amazigh.
Au quotidien la Darija, langue véhiculaire inspirée de l’arabe et inventée en Andalousie au 10ème siècle par les amazigh et les arabes pour communiquer comporte énormément de mots amazighs comme :
Tâjin : tajine
karmus : figue
xizzu : carotte
šerjem : fenêtre
meš : chat
dešra : village
lala : dame (respectueux)
kuskusi : couscous
šlaġem : moustache
fekrun : tortue.
gnin : lapin.
Hidura : peau de bête
xašxaš : crâne
luss(a) : frère/sœur du mari
twiza (ou tiwizi) : entraide, solidarité dans le travail collectif d'une communauté
gelmuna : capuche
ZarZur/ZerZur : étourneau
fegus : melon ou concombre
zermumya : lézard
fertotto : papillon
tebrûrî : grêle
La langue amazigh elle même est devenue avec le temps, truffée de dizaines de mots arabes…
Comme quoi et en fin de compte, ce qui est important c’est le vivre-ensemble entre différentes ethnies, langues, cultures et civilisations, qu’il faudra préserver dans les respect des spécificités et différences des uns et des autre et dont le Maroc reste un cas unique de par le monde…
Rédigé par Rachid Boufous
Rédigé par Rachid Boufous