Humanisme ou Laxisme ?
Si l’esprit commun se résout à ravaler l’abolitionnisme au rang d’une fièvre débonnaire, daignerait-il, lui en relever la température ?
Lui octroyer, dans la rigidité de ses convictions, la mollesse d’un doute ? Le verbe, ici, est à sa place. Car, si tant est que l’octroi était une condition sine qua non au débat , ne serait-il pas judicieux de demander faveur plutôt que d’opposer justice ?
Et c ’est en incarnant cette approche, faiblarde pour certains, insidieuse pour d’autres, de visu bienveillante, que nombre d’abolitionnistes ayant aiguisé leur esprit au contact de la peine de mort reviennent avec une charge d’humanisme à creuser des silences chez leurs contestataires.
Un arsenal argumentaire appuyé par des chiffres, lesquels chiffres seraient appuyés par des études.
Du solide ! D’aucuns répugneraient à cette « scientification » qui prêterait le flanc à une supposée dénaturation de nos perceptions à caractère inné. Les abolitionnistes ont beau avancé des chiffres aussi gros que les crimes passibles de la peine ultime, que les pro-peine-de-mort ne leur opposerait, dans le meilleur des cas, qu’un œil dubitatif ou deux.
La modération, un idéal ?
Les considérations semblent arrêtées du côté des pro-peine-de-mort, des adeptes de la loi du talion. Il leur est inconcevable qu’un tueur ne soit pas tué en retour. L’assiette des charges pouvant être passible de la peine capitale est plus large, nous y reviendrons.
Bien qu’ils puissent manquer la mesure dans certains cas, et de là, faire du tort à cette même loi orthodoxe, dite de talion, en réclamant une tête en lieu et place d’un œil, puis une autre tête, si tant est que l’on ait qu’une, en lieu et place d’une dent. Modérer ses pulsions se révèle être un exercice ardu.
Comme si les pro-peines-de-mort voyaient que l’impératif catégorique de Kant, le fameux « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse » fut tronqué, et qu’il fallut le pourvoir d’une extension. Une extension justicière qui promet au pêcheur un châtiment de l’ordre de ce qu’il a perpétré comme infamie.
Le courage des victimes
Quand arrive aux oreilles des pro-peine-de-mort que des proches de la victime, à présent six pieds sous terre, se refusent à l’application de la peine ultime pour le mis en cause, au moins a-t-on droit à des yeux ronds, et des bouches béates.
Les faits ne manquent pas. On peut citer les proches des victimes des malheureux attentats de Casablanca en 2003, ou ceux d’Argana, en 2011 à Marrakech. Des victimes, qui dans l’ensemble, ne tarissent pas de confidences. Ils avouent, et sans préambule, que dans un premier temps, et sous l’emprise de leur pulsion première, que leur volonté, et la plus fine qui soit, fut réduite à en finir avec l’assassin. Une idée catégorique, et qui ne souffrait nulle concession. Dans un second temps, ces mêmes victimes, rassasiées d’une haine légitime, retrouvent le courage, et Dieu sait qu’il en faut, de revoir leur position.
Une position, d’abord, tranchée dans le vif d’une blessure, plus tard, réorientée par les soins d’un accompagnement psychiatrique, ou un cheminement spirituel.
Une procédure qui se complique
Pour les études, il y aurait à prendre et à laisser. Certaines affirment et sans émettre la moindre réserve que l’application de la peine de mort n’influerait en rien sur la courbe des crimes recensées.
Et Pour ne citer que l’exemple de certains États fédéraux aux États-Unis. Rappelons que les deux tiers de l’ensemble des pays ont aboli la peine capitale.
Et que le Maroc, puisque nous y sommes, bien que n’ayant pas ratifié la charte internationale pour la non-application de la peine de mort, n’en a exécuté aucune, et ceci depuis l’année 1993.
Une année qui a connu la mise à mort du commissaire Tabet. Pour lever le doute sur un point important, Le Maroc a bel et bien signé la charte de la non-exécution arbitraire, oui, mais pas celle pouvant être motivée par la législation en vigueur.
Cela étant dit, 74 personnes seraient dans nos couloirs de la mort, les peines capitales sont toujours prononcées par nos tribunaux, une décision qui ne tient que sur papier. Car bien qu’étant un article de loi, la décision revient au juge, qui souvent modère son jugement, opte pour la perpétuité.
Au cas où la peine capitale serait prononcée celle-ci doit recevoir l’aval d’une commission composée de cinq juges, et qui doivent tous répondre par « oui ».
Ça n’est pas la majorité qui importe ici, mais l’unanimité. En sus de cela, rappelons qu’il est des prérogatives du ministre de la justice que de prendre la décision finale. C’est dire que le passage à l’acte est devenu tellement compliqué, que l’application de la peine de mort relèverait du calcul des probabilités le plus improbable !
Chaque chose son temps
Les abolitionnistes, et pour tirer un long trait, sur ce qu’ils qualifient d’une atteinte aux droits de l’homme, car ayant toujours à portée de vue l’article 20 de la constitution marocaine mettant en clair le droit à la vie, puis l’article 22 qui consacre l’intégrité physique, ces abolitionnistes donc, travaillent d’arrache-pied pour que la peine de mort soit éradiquée de nos articles de loi.
Mais d’autres, plus réalistes, plus fins, voient d’un bon œil les dispositions actuelles. Ceux-là, considèrent que le Maroc, et en ce cas précis, fait preuve d’une grande finesse .
Car, si l’abolition venait à être fixée, nombre de victimes ne l’admettraient pas, et que par effet d’entrainement, l’on verrait des masses humaines envenimées par une décision « hâtive », car comme le dit si bien le dicton « Le temps ne pardonne pas les choses qui se font sans lui ».
Une autre raison renforcée par les pro-peine-de-mort, l’abolition de l’article de loi afférant à la peine capitale, contribuerait à augmenter le taux de criminalité.
Chose appuyée par l’économiste américain Ehrlich, auteur d’une étude qui stipule que la peine de mort aurait un effet à caractère dissuasif, et que de là, l’appliquer serait sauver des vies. Que si on faisait appel aux sciences humaines, l’individu sur le point de commettre l’irréparable, opposerait sur les deux bras d’une balance, et le plaisir qu’il puisse tirer de son crime, et le déplaisir qu’il aurait à le commettre.
Et force était de constater que si le déplaisir n’était pas dissuasif, l’individu enivré par l’idée du passage à l’acte, commettrait l’infâme. Les abolitionnistes reviennent sitôt en charge, et citent l’un après l’autre, le nombre de cas où des condamnés à mort furent exécutés à tort, et soulignent que l’exécution de la peine, à moins d’un miracle, était sans appel.
Un point de non-retour ?
D’autres plus à cheval sur la matière religieuse, redoublent d’indignation face à la brutalité de la peine, ils nous apprennent que la loi terrestre, faisant allusion au code napoléonien, code adopté par le Maroc, instauré par le protectorat français, serait plus rigoriste que la loi coranique.
Ils nous expliquent, qu’au moins, dans le cas d’un meurtre, le coran aurait donné le choix aux proches de la victime soit d’appliquer la peine de mort, soit de négocier le prix du crime de sang.
Et de rajouter que l’islam avait, eu égard de la peine de mort, choisi le moindre mal !
Du fait que quand l’une des tribus, en ces temps reculés, perdait un notable, elle menaçait de déclarer la guerre contre la tribu ennemie, et qu’en sacrifiant le tueur, on sauvait des milliers de vies.
Pour finir, les abolitionnistes souscrivent à l’idée que le Maroc a tellement avancé sur cette question, qu’il serait inimaginable de rebrousser chemin, et de perdre tout le crédit qu’il a accumulé jusque-là, et sur le plan national et sur le plan international.
Des avancées que le Maroc perpétue, en limitant le nombre de cas passibles de la peine capitale de 31 à 11 du côté civil, et de 16 à 5 du côté militaire. Notons qu’en sus des crimes de sang, qui, de par leur visibilité, sont les plus disputés, on en trouve d’autres, comme l’atteinte à la sécurité du Roi, ou à celle de l’État.
Le terrorisme et autres. Devant des crimes aussi sordides, les pro-peine-de-mort auraient du mal à saisir le zèle des abolitionnistes qui tiennent à sauver ce qui dans leur expression détonent comme « Des âmes mauvaises ». Des criminels qui seraient logés, nourris, de par l’argent des contribuables. Ces gens honnêtes.
Hicham Aboumerrouane