Par Abdallah Bensmaïn
Traduit en justice et condamné, Charles Philipon ne cassera pas pour autant la mine de son crayon et publiera cette condamnation par la justice sous forme… de Poire (ph.3), une édition qui aura tellement de succès que ses ventes couvriront l’amende à payer à laquelle il fut astreint.
Quelle relation avec Abdelkébir Khatibi, direz-Vous ?
Elle n’est pas dans la caricature ou la poire. Elle est dans le calligramme.
Pour les lecteurs qui l’ignorent, Abdelkébir Khatibi est l’auteur avec Mohamed Sijelmassi du livre « L’art calligraphique arabe où la célébration de l’invisible » qui contient maints calligrammes, animaliers ou floraux dans la pure tradition musulmane, souvent de célébration divine avec le Bismillah (hasard de l’histoire, à la même époque que la Poire de Philipon, 1825 environ, circulait un calligramme à la gloire de Dieu sous forme de Poire et signé, si la lecture est correcte, par al-shaykh Muhammad al-Rfâ3î. Ph.5).
Il est l’auteur d’un lire d’art sur la calligraphie mais il n’a jamais fait profession de calligraphe pour commettre un quelconque calligramme, même pas à la manière de Mallarmé ou d’Apollinaire, en poésie, car, n’est-ce pas que Abdelkébir Khatibi est l’auteur de recueils de poèmes dont « Dédicace à l’année qui vient », « Aimance » et « Le lutteur de classe à la manière taoïste ».
Dans la recherche lancée sur Google, j’ai obtenu ces « extraits optimisés » sur Khatibi qualifié de « maître marocain de l’art de l’écriture et de la calligraphie arabe » (ph.4). Les « extraits optimisés » selon l’explication de Google, sont « l'un des moyens par lesquels Google aide les utilisateurs à trouver plus facilement les informations qu'ils recherchent ».
Les « extraits optimisés » sont les fruits toxiques de l’intelligence artificielle à qui, d’ailleurs, je n’ai rien demandé dans ma recherche, son intitulé étant simplement « le calligramme dans la calligraphie musulmane ». Cette réponse sur Khatibi est hors de propos et ne répond à aucune demande d’information sur ses compétences calligrammatiques et la position qu’il occupe dans le champ de la calligraphie au Maroc et dans le monde, musulman ou autre.
Cette hallucination de l’Intelligence Artificielle qui n’abolit pas la réalité ressemble à ce coup de dé qui n’abolit jamais le hasard de Mallarmé.
Braque l’avait déjà dit « La vérité existe. On n'invente que le mensonge ». Et les imposteurs du clavier devraient se méfier des hallucinations de l’Intelligence Artificielle qui jamais ne font disparaître la réalité des faits, mais en inventent sans compter, oubliant que ses résultats peuvent être recoupés, confrontés à la réelle réalité des faits.
Quelle aurait été la réaction de Abdelkébir Khatibi devant cette hallucination de l’Intelligence Artificielle qui lui ajoute le titre de calligraphe et contribue un peu plus à brouiller son image d’intellectuel ?
Voici ce qu’il avait écrit il y a quelques années déjà, bien avant la fureur des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle qui semble avoir été spécialement créée, du moins dans sa génération de textes littéraires et journalistiques, sur mesure pour les escrocs du clavier :
« Je me suis demandé souvent si mon profil d’intellectuel est plus ou moins clair dans l’esprit des gens, lecteurs ou non, me connaissent personnellement ou pas. Ici ou là, on me dit sociologue, chercheur, professeur, poète, romancier, essayiste, sémiologue, critique d’art, philosophe, politologue même .Je suis accablé par cette non-identification des rôles. Mais me suis-je dit, cette confusion des rôles et des tâches est, en elle-même, un obstacle qui serait favorable à la connaissance de soi et d’autrui. ».
« Confusion des rôles et des tâches » ? Abdelkébir Khatibi l’avait dénoncé avant même que l’Intelligence Artificielle ne systématise la « non-identification des rôles », faisant ainsi croire que tout le monde est journaliste, tout le monde est essayiste, tout le monde est écrivain avec des promesses d’écriture et de mise en vente électronique d’un roman en moins d’une mn ou avant-même que le café ne refroidisse…
A cette vitesse, bien entendu, ce n’est pas seulement Abdelkébir Khatibi qui s’est retourné dans sa tombe mais ces écrivains et essayistes qui ont mis des années et des années pour achever un roman ou une œuvre sur un sujet de recherche déterminé !
Abdallah Bensmaïn, Journaliste à la retraite, Auteur