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PAR GABRIEL BANON
Aujourd’hui, l’Afrique est l’objet de tant de sollicitudes. Des pays comme les Etats-Unis et le Japon, qui suivaient l’évolution de ce continent de loin, font assaut d’initiatives pour contribuer à son développement. La Russie, dans le sillage de la Chine augmente continuellement sa présence. Les anciens pays coloniaux ont vu leur étoile pâlir, et c’est la normale évolution de l’Histoire.
Ces relations doivent être suivies de près par les gouvernants africains et les organismes internationaux, afin d’éviter un néo-colonialisme déguisé (exemple la Chine)
Au cœur des enjeux économiques
Croissance, développement, énergie, matières premières… les 54 pays africains sont, aujourd’hui, au cœur des enjeux économiques mondiaux. L’Afrique est le continent le plus jeune de la planète. Ouvert sur le monde, convoité par les grandes puissances, et notamment la Chine, le continent africain dispose des ressources indispensables au reste du monde, notamment pour les industries liées aux énergies (pétrole, cobalt…) et aux nouvelles technologies. Longtemps essentiellement rurale, la population africaine se concentre désormais dans quelques-unes des plus grandes cités de la planète avec des problèmes de pollution, de mobilité, d’énergie que posent les mégapoles. Les défis restent énormes dans les domaines de l’éducation, la santé, les télécommunications… mais le continent a amorcé un décollage hésitant, malgré des handicaps majeurs, souvent liés aux problèmes de gouvernance.
La question que l’on doit se poser est : Comment les pays africains peuvent-ils accélérer la transformation structurelle de leurs économies ?
La jeunesse qui représente cinquante pour cent de la population du continent, pose aux gouvernants un défi d’intégration qu’il leur faut lever. Le contexte de chaînes de valeurs mondiales et de transition technologique rapide, ne facilitent pas l’exercice.
De la transformation sur place des richesses
L’histoire économique nous apprend que le principal levier du développement est l’industrialisation qui impose, ipso facto, des changements structurels et une diversification de l’économie. Une politique industrielle, correctement adaptée aux réalités du pays permet la montée en gamme dans la création et la diffusion des produits. Surtout elle permet de sortir des situations de rente, source d’appauvrissement, par la vente en l’état des ressources naturelles. Il faut que la valeur ajoutée, source de profit des spéculateurs, soit réalisée sur place, en Afrique, le plus près possible des exploitations des ressources naturelles du continent. C’est une politique industrielle audacieuse qui apportera la réponse. Cette politique réduit l’exposition des pays aux fluctuations des cours internationaux de matières premières dont l’Afrique est exportatrice.
Il faut que les gouvernants des pays d’Afrique valorisent leur potentiel démographique et transforment sur place leurs matières premières. La première étape d’une telle politique est une production interne de faible technicité se substituant progressivement à l’importation et, dans un deuxième temps, exporter des produits de plus en plus sophistiqués.
Les dernières crises financières, en particulier celle de 2008, ont montré la faillite du principe du marché autorégulateur et du laisser-faire. S’impose aujourd’hui la nécessité absolue de mettre en place des politiques gouvernementales.
Les pays d’Afrique doivent enclencher un processus de transformation structurel. Ceci demande de combiner volonté politique, maitrise de la technologie, et conception d’un cadre institutionnel.
Le cadre institutionnel définira les règles en matière de création et les incitations à entreprendre permettront la diffusion des connaissances nouvelles, et réduiront les incertitudes.
La co-production comme nouveau modèle de coopération
Il est souhaitable que les gouvernements en Afrique créent des zones économiques spéciales, des ZES, dans le but d'attirer les investissements étrangers, et favoriser la création d'emplois avec des mesures permettant aux entreprises de voir leurs coûts d'investissement, de financement et d'exploitation réduits par rapport à un environnement économique « classique ».
Ces enclaves devront bénéficier d’avantages économiques, budgétaires, et fiscaux, de réductions douanières, et de simplifications administratives. Toutes les facilités permettant aux entreprises de fonctionner, y seraient réunies. On y trouvera l’ensemble des moyens contribuant à la production pour fonctionner ; (Capital, ressources humaines, infrastructures, fournisseurs, etc.)
La mondialisation n’est pas seulement l’internationalisation des échanges commerciaux, elle est également des chaînes de valeur mondiales (CVM).
70 % des échanges internationaux actuels reposent sur les CVM. Les économies nationales sont à des degrés divers imbriquées dans l’économie internationale selon la capacité des États à adapter leur cadre légal aux cadres normatifs de la mondialisation.
Ces cadres permettent d’aborder une logique compétitive en adoptant les nouvelles pratiques des acteurs privés.
L’accroissement du capital humain par la formation n’est pas suffisant. Les individus devront profiter d’un apprentissage développant des savoir-faire et des interactions pour générer de la connaissance nouvelle et l’innovation.
La coopération économique passe impérativement par la co-production qui se définit en fait comme un nouveau modèle de coopération économique « gagnant – gagnant » vertueux.
La coproduction implique :
Des partenariats, et non de la sous-traitance ;
Un partage équilibré de la valeur ajoutée ; Un transfert technologique dans les deux sens ; (Compagnonnage industriel)
Une mise à niveau des moyens de production,
Une montée en gamme des produits. Des investissements sécurisés sur le long terme.
La manière de transformer aujourd’hui la production de biens et services conduit à la régionalisation. Délocaliser ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui.
L’exemple chinois et singapourien
La production, fondée sur l’interaction, n’est pas compatible avec la fragmentation que la mondialisation a créée. Les entreprises sont poussées à adopter des organisations réactives et en réseau.
La création récente de la zone de libre-échange continentale africaine, la ZLECAF, est une opportunité pour des pays dont les économies sont comparables. La ZLECAF peut favoriser l’intégration régionale et l’émergence de ZES régionales spécialisées.
L’Afrique doit se sortir des situations de la rente, et transformer sur place les immenses richesses du continent. La valeur ajoutée, qui a fait jusqu’à ce jour la fortune des spéculateurs, doit rester sur le continent et bénéficier à son économie. L’Afrique doit progressivement refuser de vendre ses ressources naturelles en l’état et imposer des unités de transformation sur place.
L’intérêt de l’Afrique n’est pas de commercer uniquement, mais aussi de se développer par une économie productive appuyée sur la technologie européenne et l’innovation locale.
Le libre-échange doit faire l’objet d’analyses approfondies avant son adoption. Car quand il met en présence des pays économiquement de niveaux différents, les moins développée vont s’ancrer dans des activités à rendement décroissant et nourrir la spirale de la pauvreté.
La vraie politique économique et industrielle est d’attirer les technologies des pays développés comme l’a fait la Chine ou Singapour.
L’investisseur, attiré par l’avantage concurrentiel des pays les moins développés, d’une main d’œuvre à bas prix, est amené à former des cadres nationaux du pays d’accueil et à transférer sa technologie.
Si le libre-échange peut apporter une dynamique de croissance exogène, la stratégie doit être de la transformer en croissance endogène par transfert de technologie
Une corruption à éradiquer
Les pays d’Afrique qui ont émergé comme pays à revenus intermédiaire ouvrent des nouvelles perspectives, aussi bien pour l’Afrique que pour l’Europe. Ces pays économiquement plus intégrés perdront en compétitivité en raison de la hausse des salaires dans les industries à forte intensité de main d’œuvre peu qualifiée. Un phénomène qui vise une majorité de pays en voie de développement qui se sont spécialisés dans la sous-traitance plus ou moins assumée. Les entreprises concernées devront soit délocaliser dans d’autres pays à bas salaires, soit monter en gamme dans la chaîne de production.
L’Afrique, en se dotant d’une véritable politique industrielle pourrait profiter de ces opportunités. Il faut anticiper cette évolution et développer les co-productions avec un modèle, inclusif et durable, que l’Europe partage culturellement avec l’Afrique.
Cette perspective est d’autant plus réaliste que le Sommet UE-UA des 16 et 17 février 2022 a promu le « Global Gateway », alternative aux « routes de la soie », pour favoriser une meilleure intégration entre les deux continents. Doté de 150 milliards d’euros dédiés à l’Afrique, il vise plusieurs thématiques, notamment les infrastructures dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de la logistique, du numérique, et de l’environnement. Les ZES constituent des réalités physiques facilement identifiables qui agrègent des problèmes et des solutions dans les thématiques précitées.
Si l’Afrique veut cesser d’être une économie en devenir, elle doit s’attaquer aux maux qui la frappent encore aujourd’hui, la corruption, l’absence de programmes incitatifs à l’intention des jeunes africains étudiants à l’étranger pour leur retour au pays. Elle doit adopter un modèle de développement et se doter d’une véritable politique industrielle. Les rivalités politiques s’estompent ou du moins s’apaisent et devront permettre l’émergence d’une nouvelle gouvernance propice au développement.