L'analyse et la Prévision Économique : Une Mission Impossible ?




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Par Adnane Benchakroun

L'économie mondiale traverse une période de turbulences sans précédent. Les crises se succèdent à un rythme effréné, chacune unique en son genre. Qu'il s'agisse de crises financières, pandémiques, inflationnistes ou énergétiques, les économistes se trouvent souvent démunis face à l'imprévisibilité croissante. À cela s'ajoutent des transformations climatiques, digitales et énergétiques, ainsi que des phénomènes géopolitiques comme la dédollarisation menée par les pays BRICS. Cette réflexion explore les défis auxquels sont confrontés les économistes aujourd'hui et les raisons pour lesquelles l'analyse et la prévision économique deviennent des missions quasi impossibles.

Les crises économiques, autrefois des événements relativement rares, sont devenues fréquentes et diversifiées. La crise financière de 2008 a été suivie par la pandémie de COVID-19, une inflation galopante, et une crise énergétique exacerbée par des conflits géopolitiques. Ces crises, bien que différentes dans leurs causes et leurs manifestations, partagent un point commun : elles déstabilisent les modèles économiques traditionnels. Les économistes peinent à trouver des patterns stables dans un environnement où les crises sont la nouvelle norme.

Outre les crises, les économistes doivent faire face à des transformations structurelles profondes. Le changement climatique impose des coûts et des incertitudes supplémentaires, tandis que la transition énergétique exige des investissements massifs et une reconfiguration des structures économiques. La transformation digitale, quant à elle, bouleverse les modèles d'affaires traditionnels et modifie les dynamiques du marché du travail. La dédollarisation initiée par les pays BRICS ajoute une couche de complexité géopolitique et financière, rendant les prévisions encore plus incertaines.

Dans un contexte d'économie de guerre, les flux d'investissements deviennent imprévisibles. Les économistes sont désormais obligés de "suivre l'argent" dans des environnements instables et souvent opaques. Les décisions d'investissement, autrefois basées sur des prévisions économiques rationnelles, sont maintenant influencées par des considérations géopolitiques et de sécurité nationale. Cette nouvelle réalité complique encore la tâche des économistes, qui doivent intégrer des variables non économiques dans leurs analyses.

L'intelligence artificielle (IA) offre des opportunités mais aussi des défis pour les économistes. Les modèles d'équilibre général, pilier des analyses économiques, doivent désormais intégrer des algorithmes d'IA pour rester pertinents. Cependant, la complexité et la quantité des données disponibles peuvent devenir un piège. Trop de données peuvent paralyser l'analyse ("too much data kills the data"), surtout sans une expertise solide en science des données. Les économistes doivent donc non seulement maîtriser les modèles économiques traditionnels mais aussi acquérir des compétences en data science.

Les modèles économiques traditionnels semblent de moins en moins capables de prédire les mouvements économiques. La volatilité accrue et l'interconnexion des marchés mondiaux rendent les modélisations actuelles obsolètes. Les économistes se trouvent confrontés à des "accidents économiques" fréquents et imprévisibles. Les modèles d'équilibre général, autrefois fiables, sont maintenant mis à l'épreuve par des dynamiques économiques rapides et souvent chaotiques.

Les analyses économiques deviennent de plus en plus complexes. Les décideurs politiques demandent des analyses détaillées dans des environnements économiques hautement incertains. Les prévisions économiques, autrefois basées sur des tendances relativement stables, sont désormais hypothétiques. Les économistes doivent naviguer dans un espace en perpétuel changement, ce qui rend la prise de décision pour les politiques publiques extrêmement difficile.

L'analyse et la prévision économique sont devenues des missions quasi impossibles dans un monde marqué par des crises fréquentes, des transformations structurelles profondes, et une volatilité accrue.

Les économistes, malheureux et souvent démunis, doivent réinventer leurs méthodes et intégrer de nouvelles compétences pour rester pertinents. L'avenir de la discipline économique dépendra de sa capacité à s'adapter à un environnement complexe et imprévisible, tout en offrant des analyses et des prévisions utiles aux décideurs politiques. Pour ce faire, une approche multidisciplinaire, intégrant l'intelligence artificielle et la science des données, sera essentielle.


Mardi 21 Mai 2024

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