Par Abdeslam Seddiki en tribune libre à lire ou à écouter en podcast
Heureusement, qu’on trouve toujours des personnes qui osent mouiller la chemise et se donnent la peine, voire le plaisir, de publier. A ce titre, il faut saluer, comme il se doit, l’initiative d’Ahmed Zaki qui vient de publier récemment un ouvrage intitulé « l’alliance du PPS avec le PJD. Qui en est le gagnant et comment ? ».
L’auteur, pour rappel, est membre du Bureau Politique du parti du livre depuis plus d’une vingtaine d’années et un militant associatif actif. C’est par le biais du journalisme et du militantisme qu’il a découvert le monde de l’écriture puisqu’il a assumé, outre ses diverses responsabilités politiques, la direction des deux quotidiens Al Bayane (en français) et Bayan Al Youm (en arabe) pendant une décennie (2000-2009) où il s’est illustré par ses éditoriaux dans les deux langues qu’il maitrise parfaitement. C’est donc en connaisseur de terrain qu’il a abordé le sujet en se fixant toutefois des objectifs précis : il s’agit de jeter plus de lumière sur un sujet qui demeure dans l’ensemble peu étudié et mal compris.
Ayant vécu de l’intérieur ce processus qui a conduit à sceller cette alliance entre deux partis qui sont aux antipodes sur les plans idéologique et politique, Zaki s’est appuyé sur une méthodologie d’analyse empruntée, précise-t-il, aux sciences politiques. Le texte est émaillé de longues citations des documents officiels du PPS dont essentiellement, le rapport du Comité Central du 10 décembre 2011, ayant pris la décision « historique » de participation au gouvernement Benkirane.
Pas moins de 10 pages sont extraites dudit rapport ! Auparavant, il a fait mention des quatre réunions successives du Bureau Politique consacrées au débat sur la participation au gouvernement. Peut-être que cette source d’information aurait mérité d’être exploitée davantage d’autant plus que les PV des réunions sont bien consignés, ne serait-ce que pour comprendre l’évolution au fil des jours et des semaines, des analyses et positions des uns et des autres, avant de dégager une position largement majoritaire au sein de l’instance exécutive consistant à « y aller ».
Car, comme l’a bien rappelé Zaki, la décision de participer à un gouvernement dirigé par un parti d’obédience « islamiste », appartenant à la famille des « frères musulmans », n’était pas du tout facile à prendre.
En prenant une telle décision, le PPS n’a pas donné au PJD un chèque en blanc, encore moins conclu un mariage catholique précise l’auteur. Cette participation s’est faite sur la base d’un programme commun aux quatre formations de la majorité, élaboré d’une manière consensuelle outre l’adoption d’une charte de la majorité dont le projet a été justement préparé par le PPS. Détail important à rappeler.
Zaki a puisé dans les enseignements du matérialisme historique, de la théorie des contradictions et de la lutte des classes en faisant preuve de beaucoup de simplicité et de vulgarisation conceptuelle. On lui reprochera, cependant, son penchant à surdimensionner un certain nombre de phénomènes comme celui de « tahakkoum » (la mainmise) par le biais d’un parti créé grâce au concours de l’administration en vue de lui offrir la majorité pour diriger le gouvernement futur et défendre les intérêts de l’oligarchie faisant échec, chemin faisant, à la transition démocratique. Une telle appréciation, avancée par l’auteur sans la moindre réserve, nous parait exclusiviste. L’analyse dialectique des événements à laquelle adhère l’auteur, impose de mettre dans la balance plusieurs facteurs et d’introduire dans l’analyse d’autres variables.
Faut-il rappeler que c’est le PJD, qui est l’inventeur de cette notion de « tahakkoum » qui est étrange au lexique du PPS. Il l’a fait pour l’exploiter politiquement en l’associant à d’autres notions à « caractère animal » genre crocodiles. Il est enfin de compte le premier à en avoir usé et abusé en faisant « mainmise » sur des pans entiers de la société dans le but de constituer à l’avenir un « Etat dans l’Etat » que dénonçait auparavant Benkirane.
Par ailleurs, au chapitre des structures sociales et des forces en présence, deux remarques nous semblent importantes à souligner. La première est relative à la notion de « bourgeoisie nationale ». On se demande, à la lumière de l’évolution du Maroc au cours des quatre dernières décennies ayant débouché sur des alliances entre le capital national et son homologue étranger, s’il est toujours plausible de parler d’une « bourgeoisie nationale ».
Ce concept utilisé pour la première fois dans le document du parti sur la « Révolution Nationale Démocratique », en 1975, ne nous semble guère pertinent à l’heure actuelle. La deuxième remarque est relative à l’absence de référence à une institution centrale dans la formation sociale marocaine, à savoir l’institution monarchique. Toute analyse demeure, à mon sens, partielle et partiale sans la prise en compte du rôle et de la place de la monarchie dans le jeu politique, l’équilibre social et la régulation du champ politico-institutionnel.
Ces omissions s’expliqueraient, de notre point de vue, par le fait que l’auteur n’a pas pris suffisamment de recul par rapport aux positions officielles du PPS. Il aurait dû se mettre provisoirement à l’extérieur du cercle et se comporter en observateur objectif. D’ailleurs, la photo illustrative de la page de couverture affichant Benkirane et Benabdelalh, la main dans la main, pourrait suggérer à première vue, que derrière l’alliance PPS-PJD, il y a ces deux personnages de la vie politique dont les relations auraient bien mérité un détour analytique. Les desseins personnels sont rarement étranges aux projets collectifs.
Et on a vu comment les relations entre les deux partis se sont détériorées juste après la mise à l’écart de l’ancien Chef du Gouvernement qui était en même temps Secrétaire Général du parti de la lampe.
Dans l’ensemble, ces remarques et suggestions n’enlèvent rien à la qualité du travail que nous offre l’auteur sur une problématique pour le moins complexe et controversé. C’est un ouvrage à lire car il incite à la réflexion et au débat dont le pays a énormément besoin. Reste à savoir qui est le gagnant de cette alliance inédite : c’est bel et bien notre pays et notre jeune démocratie. Pour le reste, c’est de l’arithmétique politique éphémère.
Par Abdeslam Seddiki.
L’auteur, pour rappel, est membre du Bureau Politique du parti du livre depuis plus d’une vingtaine d’années et un militant associatif actif. C’est par le biais du journalisme et du militantisme qu’il a découvert le monde de l’écriture puisqu’il a assumé, outre ses diverses responsabilités politiques, la direction des deux quotidiens Al Bayane (en français) et Bayan Al Youm (en arabe) pendant une décennie (2000-2009) où il s’est illustré par ses éditoriaux dans les deux langues qu’il maitrise parfaitement. C’est donc en connaisseur de terrain qu’il a abordé le sujet en se fixant toutefois des objectifs précis : il s’agit de jeter plus de lumière sur un sujet qui demeure dans l’ensemble peu étudié et mal compris.
Ayant vécu de l’intérieur ce processus qui a conduit à sceller cette alliance entre deux partis qui sont aux antipodes sur les plans idéologique et politique, Zaki s’est appuyé sur une méthodologie d’analyse empruntée, précise-t-il, aux sciences politiques. Le texte est émaillé de longues citations des documents officiels du PPS dont essentiellement, le rapport du Comité Central du 10 décembre 2011, ayant pris la décision « historique » de participation au gouvernement Benkirane.
Pas moins de 10 pages sont extraites dudit rapport ! Auparavant, il a fait mention des quatre réunions successives du Bureau Politique consacrées au débat sur la participation au gouvernement. Peut-être que cette source d’information aurait mérité d’être exploitée davantage d’autant plus que les PV des réunions sont bien consignés, ne serait-ce que pour comprendre l’évolution au fil des jours et des semaines, des analyses et positions des uns et des autres, avant de dégager une position largement majoritaire au sein de l’instance exécutive consistant à « y aller ».
Car, comme l’a bien rappelé Zaki, la décision de participer à un gouvernement dirigé par un parti d’obédience « islamiste », appartenant à la famille des « frères musulmans », n’était pas du tout facile à prendre.
En prenant une telle décision, le PPS n’a pas donné au PJD un chèque en blanc, encore moins conclu un mariage catholique précise l’auteur. Cette participation s’est faite sur la base d’un programme commun aux quatre formations de la majorité, élaboré d’une manière consensuelle outre l’adoption d’une charte de la majorité dont le projet a été justement préparé par le PPS. Détail important à rappeler.
Zaki a puisé dans les enseignements du matérialisme historique, de la théorie des contradictions et de la lutte des classes en faisant preuve de beaucoup de simplicité et de vulgarisation conceptuelle. On lui reprochera, cependant, son penchant à surdimensionner un certain nombre de phénomènes comme celui de « tahakkoum » (la mainmise) par le biais d’un parti créé grâce au concours de l’administration en vue de lui offrir la majorité pour diriger le gouvernement futur et défendre les intérêts de l’oligarchie faisant échec, chemin faisant, à la transition démocratique. Une telle appréciation, avancée par l’auteur sans la moindre réserve, nous parait exclusiviste. L’analyse dialectique des événements à laquelle adhère l’auteur, impose de mettre dans la balance plusieurs facteurs et d’introduire dans l’analyse d’autres variables.
Faut-il rappeler que c’est le PJD, qui est l’inventeur de cette notion de « tahakkoum » qui est étrange au lexique du PPS. Il l’a fait pour l’exploiter politiquement en l’associant à d’autres notions à « caractère animal » genre crocodiles. Il est enfin de compte le premier à en avoir usé et abusé en faisant « mainmise » sur des pans entiers de la société dans le but de constituer à l’avenir un « Etat dans l’Etat » que dénonçait auparavant Benkirane.
Par ailleurs, au chapitre des structures sociales et des forces en présence, deux remarques nous semblent importantes à souligner. La première est relative à la notion de « bourgeoisie nationale ». On se demande, à la lumière de l’évolution du Maroc au cours des quatre dernières décennies ayant débouché sur des alliances entre le capital national et son homologue étranger, s’il est toujours plausible de parler d’une « bourgeoisie nationale ».
Ce concept utilisé pour la première fois dans le document du parti sur la « Révolution Nationale Démocratique », en 1975, ne nous semble guère pertinent à l’heure actuelle. La deuxième remarque est relative à l’absence de référence à une institution centrale dans la formation sociale marocaine, à savoir l’institution monarchique. Toute analyse demeure, à mon sens, partielle et partiale sans la prise en compte du rôle et de la place de la monarchie dans le jeu politique, l’équilibre social et la régulation du champ politico-institutionnel.
Ces omissions s’expliqueraient, de notre point de vue, par le fait que l’auteur n’a pas pris suffisamment de recul par rapport aux positions officielles du PPS. Il aurait dû se mettre provisoirement à l’extérieur du cercle et se comporter en observateur objectif. D’ailleurs, la photo illustrative de la page de couverture affichant Benkirane et Benabdelalh, la main dans la main, pourrait suggérer à première vue, que derrière l’alliance PPS-PJD, il y a ces deux personnages de la vie politique dont les relations auraient bien mérité un détour analytique. Les desseins personnels sont rarement étranges aux projets collectifs.
Et on a vu comment les relations entre les deux partis se sont détériorées juste après la mise à l’écart de l’ancien Chef du Gouvernement qui était en même temps Secrétaire Général du parti de la lampe.
Dans l’ensemble, ces remarques et suggestions n’enlèvent rien à la qualité du travail que nous offre l’auteur sur une problématique pour le moins complexe et controversé. C’est un ouvrage à lire car il incite à la réflexion et au débat dont le pays a énormément besoin. Reste à savoir qui est le gagnant de cette alliance inédite : c’est bel et bien notre pays et notre jeune démocratie. Pour le reste, c’est de l’arithmétique politique éphémère.
Par Abdeslam Seddiki.