Par Mustapha Sehimi
Pour l'histoire, même en pointillés et avec ses petits cailloux à travers les siècles, comment ne pas rappeler que Napoléon Bonaparte, dans le navire qui le ramenait de son expédition en Egypte, lisait tantôt la Bible, tantôt… le Coran.
Il avait pour le Prophète, Sidna Mohammed, une grande admiration pour ses qualités de réformateur inspiré, de chef charismatique, de général hors pair - un "grand homme", modèle de législateur et de chef guerrier.
Cela peut surprendre, mais à la fin du XVIIIème siècle, des auteurs faisaient les louanges de l'islam une manière au passage de critiquer indirectement le pouvoir et la richesse du clergé catholique, ou encore le rapport entre la monarchie et l'Eglise catholique ou anglicane.
Une archéologie des mentalités européennes
Il y a toute une archéologie des mentalités européennes qui est appréhendée dans ce livre de près de 700 pages.
Un travail d'érudit qui reconstruit les contextes des rencontres entre les lettres européennes et le texte coranique. Des chapitres souvent oubliés de l'histoire, couvrent les croisades, la Reconquista espagnole, l'expédition en Egypte de Napoléon, à la recherche d'une religion universelle, la guerre des religions,...
L'islam contemporain est aujourd'hui d'une brûlante actualité, avec ses multiples courants : salafisme, soufisme, mouvements progressistes, wahhabisme, et bien d'autres. Tous se réfèrent au texte coranique pour fonder leurs visions différentes de l'islam et de ses rapports avec la société.
Et dans cette effervescence, l'Europe joue un rôle important dans ces débats. Pourquoi ? Parce qu'elle abrite des communautés musulmanes très diverses mais aussi pour d'autres raisons, notamment la liberté d'expression et de pratique religieuse sans oublier le champ d'étude de nombreux chercheurs et universitaires européens, musulmans ou non.
Les Européens non musulmans, eux, relèvent globalement d'une autre comptabilité ; ils restent hermétiques à la problématique de l'islam, d'hier et d'aujourd’hui - d'où l'incompréhension, la peur ou l'hostilité, autrement dit le facteur de production central de l'islamophobie.
Pareil état d'esprit est lié aux attentats commis au nom de l'islam ainsi qu'à l'expansion de l'islam salafiste dans les pays musulmans et jusqu'en Europe.
Le triangle Europe, Coran, langue arabe
L'Europe, le Coran et la langue arabe : voilà le triangle, le nœud. Le religieux a pris de l'ascendant sur les idées politiques, et particulièrement dans le monde musulman. Le Coran se trouve au carrefour de l'incompréhension grandissante opposant le monde occidental à la rive sud de la Méditerranée.
La grande majorité des fidèles n'approuvent pas et ne reconnaissent pas leurs valeurs religieuses dans le terrorisme ; ils n'approuvent pas non plus les lectures radicales du Livre sacré.
A l'inverse, la recherche scientifique, surtout occidentale, dispose d'outils de lecture critique du Coran. D'autres chercheurs l'avaient déjà fait au XIX ème siècle avec la Bible : la linguistique, l’histoire, la philologie...
La relation particulière, privilégiée même pourrait-on dire, qui unit l'Europe aux pays musulmans est ancienne : elle remonte à l'expansion islamique aux VII ème et VIII ème siècles. Celle-ci a, en partie, modelé la pensée européenne.
L'existence de l'islam et ses victoires militaires ont toujours suscité l'inquiétude et la stupéfaction des lettrés européens et des populations confrontées à la conquête. Les moines, les clercs, puis les marchands et les diplomates, ont cherché à comprendre ce qu'était l'islam en découvrant le Coran, appelé à partir du XIII ème siècle "l'Alcoran".
Les traductions intégrales en latin, à compter du XIII ème siècle, permirent de mieux cerner la doctrine islamique et de polémiquer. La culture musulmane suscitait alors une hostilité de principe ou une réaction religieuse mais aussi l'étonnement et la curiosité des latins : l'écriture du Coran, la manière de le lire, de penser en terre d'Islam, la langue arabe, 1es coutumes sociales et culturelles, etc.
Reproche d'une manière de parler et d'être
La connaissance de l'islam et du Coran en Europe a conduit à la question de la langue, devenue progressivement essentielle : les auteurs et les sources étudiés y reviennent en permanence. C'est là sans doute une manière de montrer que ce qu'ils reprochent aux musulmans va au-delà de l'islam, au-delà du Coran et qu'il s'agit d'une manière d'être et de parler.
La critique porte sur une certaine façon de penser coranique, les Latins ayant leur propre tournure d'esprit, avec d'autres réflexes et d'autres références. La vision occidentale de l'islam, du VII ème siècle à nos jours, n'est pas indissociable de la connaissance de l'Alcoran et de la langue arabe chez les Européens ; pas davantage, elle ne l'est, indirectement, de la manière dont les Européens ont défini leur identité et leur intelligence propres.
Comment les Latins ont-ils appris l'existence du Coran ? Comment ont-ils pu se le procurer et le traduire ? Quelle est la place du Coran dans l'histoire européenne ? Ce qui pose le problème du rapport à l'autre, à la différence culturelle et religieuse, à la langue étrangère aussi.
Une histoire plus que millénaire, avec tant de nuances, de linéaments avec leur cortège de périodes de dialogue fécond, de reculs, d'oublis de la langue arabe et d'affrontements.
Un savoir qui n'a pas été une garantie de compréhension ni de pacifisme...
Par Mustapha Sehimi
Source: https://quid.ma