L’Allemagne est-elle encore un modèle ?


Rédigé par le Mercredi 26 Février 2025

Les élections législatives du 23 février en Allemagne ont donné le CDU, parti démocrate-chrétien, vainqueur. Son leader et prochain chancelier, Friedrich Merz, partisan de la poursuite de la guerre en Ukraine, parviendra-t-il à redresser l’économie allemande ?



Friedrich Merz, président du parti démocrate-chrétien allemand CDU
Le score de 28,6% de voix récoltées aux élections législatives allemandes par le parti démocrate-chrétien, tout en faisant de cette formation politique de droite le vainqueur du scrutin, oblige son leader et futur chancelier d’Allemagne, Friedrich Merz, à constituer une coalition pour pouvoir gouverner.

De par la nature même du système électoral en Allemagne, le scrutin proportionnel, aucune formation politique ne peut prétendre à la majorité pour gouverner seule. 

Il est d’ores et déjà certain que le parti venu second aux élections allemandes avec 20,8% des votes, l’Alternative für Deutschland (AfD), étiqueté d’extrême droite, ne sera pas invité par la CDU à faire partie de la coalition.

Cette formation politique, sentant le souffre, a toutefois réussi à obtenir son meilleur score électoral depuis sa création, il y a une douzaine d’années.

La coalition blanc bonnet, après celle bonnet blanc

Le conservateur Friedrich Merz n’aura, donc, d’autre choix pour constituer son gouvernement que de faire appel aux élus du parti social-démocrate (SPD), dirigé par le chancelier sortant Olaf Shulz, même si cette formation politique a enregistré son pire score électoral en plus d’un siècle d’existence, n’ayant pas réussi à récolter plus de 16,4% des voix.

Nombre de médias prédisent que la CDU va faire appel aux Verts, qui ont aussi reculé à 11,6% des votes. C’est, cependant, ne pas tenir compte de la position du principal allié de la CDU, le parti démocrate-chrétien présent uniquement en Bavière, la CSU, qui refuse catégoriquement la participation des Verts allemands à la future coalition.

Il faudrait à Friedrich Merz mobiliser 316 députés sur les 630 qui siègent à la Bundestag pour constituer sa coalition gouvernementale. L’on verra, lors des prochaines semaines, quelles concessions va-t-il accorder aux partis invités à rejoindre sa coalition et quelles promesses électorales laissera-t-il tomber à l’eau, pour y arriver.

La coalition des russophobes

Friedrich Merz va, cependant, profiter du point commun de la majorité des formations politiques allemandes actuellement : la russophobie et une franche volonté de continuer à soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie.

Etrangement, le parti d’extrême droite AfD, pourtant américanophile, ne nourrit pas la même aversion envers la Russie et s’inscrit dans la politique du président américain Donald Trump de mettre fin au conflit en Ukraine.

Le seul autre parti allemand à adopter une position similaire à ce sujet, l’Alliance Sahra Wagenknecht - Pour la raison et la justice (BSW), n’a obtenu que 4,97 % des voix, juste sous le seuil des 5% qui permet de disposer de sièges à la Bundestag, le parlement allemand.

L’improbable défense européenne

Le futur chancelier allemand,  Friedrich Merz, se fait le chantre d’une « capacité de défense européenne autonome » et projette d’augmenter le budget de l’armée allemande.

Cette tendance à accroître les dépenses militaires allemandes a été enclenchée par le chancelier sortant, Olaf Shulz, qui a porté, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, le budget de la défense à 2% du Pib, contre 1,46% auparavant.

Porter le budget de la défense à 2% du Pib n’est, en fait, que la mise en œuvre, tardive, d’une instruction de l’Otan, émise en 2014.

Olaf Shulz a lancé, en 2022, un fonds de 100 milliards d’euros pour le réarmement de l’Allemagne, qui sera, cependant, épuisé lors de l’exercice 2027-2028.

L’objectif affiché de cette dépense exceptionnelle est de faire de la Bundeswehr « la plus grande armée conventionnelle d’Europe ». De quoi donner des sueurs froides à tous ceux qui connaissent l’histoire récente de ce pays. 

Les Américains, dehors et dedans

La Bundeswehr (Défense fédérale) compte 197.000 soldats, dont 215 généraux
« Il est désormais crucial que l’Europe ait une position commune », a déclaré Friedrich Merz, qui ne se fait plus d’illusions sur l’Otan, estimant que cette alliance militaire, fondée en 1949, « pourrait ne pas survivre dans sa forme actuelle ».

« Je suis en contact étroit avec de nombreux premiers ministres et chefs d’États de l’Ue et pour moi, il est une priorité absolue de renforcer l’Europe le plus rapidement possible, afin que nous obtenions l’indépendance vis-à-vis des États-Unis, étape par étape », a déclaré Merz.

Il est, néanmoins, à rappeler que l’Allemagne n’accueille pas moins de 35.000 soldats américains sur les 26 bases installées sur son territoire.

Où trouver l’argent du réarmement ?

S’il est vrai que l’armée allemande manque cruellement de chars d’assaut et d’avions de combat, la question est de savoir où le futur chancelier Friedrich Merz compte-t-il puiser les fonds nécessaires à la poursuite du réarmement de l’Allemagne.

La constitution allemande est très stricte ; le déficit structurel de l’État fédéral ne peut pas dépasser les 0,35 % du Pib. Or, sans recours à l’endettement, il sera difficile à Friedrich Merz de continuer à consacrer 2% du Pib au budget de la défense, une fois le fonds lancé par Olaf Shulz épuisé en 2027.

La possibilité de réformer la constitution allemande pour hausser le plafond de la dette nécessite le soutien des deux tiers des députés de la Bundestag, soit 420 voix dont Friedrich Merz n’est pas prêt de disposer.

Le Pacte de stabilité et de croissance prescrit par l’Union européenne empêche également ses pays membres de s’endetter au-delà de 60% de leur Pib, ce qui équivaut à la proportion actuelle de la dette allemande.

La présidente de la Commission européenne, l’allemande Ursula Von der Leyen, cherche déjà, il est vrai, à se débarrasser de cette contrainte. Sauf que ce n’est toujours pas le cas.

Une dette commune militarisée

« Il existe, désormais, un programme financier pour la sécurité en Europe », a déclaré la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, lors de la conférence de Munich sur la sécurité, tenue mi-février.

Selon la cheffe sortante de la diplomatie allemande, russophobe et belliqueuse à souhait, il est question de 700 milliards de dollars destinés à la défense européenne à mobiliser dans le cadre d’une dette commune des pays de l’Ue.

La mutualisation de la dette des Etats-membres de l’Ue, qui donne de l’urticaire aux pays du Nord de l’Europe, n’est pas permise par les traités européens. 

La Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe n’avait accepté le principe d’une dette commune que, de manière exceptionnelle, pour financer la relance post-Covid.

Sachant que les pays européens membres de l’Otan achètent l’essentiel de leurs systèmes d’armement aux Etats-Unis, leurs économies ne vont, en fin de compte, que peu profiter de cette manne financière.

Il ne reste, dans un tel contexte, comme alternative au futur chancelier Merz que de ponctionner les budgets sociaux (santé, éducation…) pour gonfler celui des armées.

Une économie en crise

Le SPD d’Olaf Shulz s’est fait ratatiner aux dernières élections législatives essentiellement en raison des mauvais résultats de l’économie allemande. Celle-ci a connu, en effet, deux années de récession consécutives, -3% en 2023 et -0,2% en 2024.

Tous les indicateurs économiques et les conséquences des trois années de guerre en Ukraine sur l’industrie allemande militent plutôt en faveur d’un rétablissement de bonnes relations avec la Russie.

Du fait des sanctions européennes contre la Russie et du sabotage du gazoduc Nord Stream, en septembre 2022, le coût de l’énergie a explosé en Allemagne, réduisant de manière proportionnelle la productivité de son industrie, dont les secteurs phares sont la fabrication automobile (fortement concurrencée par la Chine sur le créneau des voitures électriques), celle des machines-outils et la chimie.

Les Etats-Unis ont profité de cette situation autant en écoulant sur les marchés européens leur gaz liquéfié, deux à trois fois plus cher que le gaz russe, qu’en attirant les unités industrielles allemandes les plus énergivores, délocalisées en quête d’une énergie à bon prix nécessaire à leur survie.

En conséquence de cette déconfiture de l’appareil productif, le taux de chômage en Allemagne a grimpé de 5%, en 2022, à 6,4 actuellement.

La suppression par le géant mondial de l’industrie automobile, Volkswagen, l’année écoulée, de 35.000 emplois, soit le tiers de ses effectifs en Allemagne, est fortement symbolique à ce sujet.

Des armes et des pauvres

La pauvreté touche un enfant sur cinq en Allemagne
L’obstination de l’Allemagne dans son hostilité envers la Russie, pendant que les entreprises américaines se préparent à y reprendre très prochainement leurs activités, et les coupes dans les budgets sociaux à consentir pour financer son réarmement valent-ils les sacrifices des Allemands ?

Le taux de pauvreté a grimpé, dans ce riche pays d’Europe, de 14,7% en 2005, à 16,8% actuellement. On y comptabilise, à présent, 14,2 millions de pauvres en termes relatifs (c’est-à-dire en fonction du niveau de vie dans leur pays). 

Un enfant allemand sur cinq se trouve dans cette situation.

Tout cela pour contrer une hypothétique invasion militaire de l’Europe occidentale par la Russie, dont tous les experts militaires savent pertinemment qu’elle n’en a pas objectivement les moyens, ni matériels, ni humains.

Ainsi s’auto-saborde un pays longtemps considéré comme un modèle du succès économique, du pacifisme (motivé par un sombre passé récent) et du pragmatisme dans ses relations politiques avec le reste du monde.




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Mercredi 26 Février 2025
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