Je m’appelle Salma Kaouss, psychologue clinicienne et co-fondatrice de la Cellule d’écoute “Séisme Au Maroc”.
L’idée de la cellule d’écoute est venue lors d’une discussion avec une amie et consœur psychologue, de créer un groupe de psychologues bénévoles pour écouter les personnes atteintes psychologiquement du séisme du Vendredi 8 Septembre. J’ai tout de suite acquiescé avec le sentiment que c’était évident.
Je partage ensuite en story sur mon compte professionnel que je me porte volontaire pour l’écoute de personnes dans le besoin suite à l’événement qui a laissé son l’impact en nous tous. Sur la story qui suivit, j’ai proposé des collaborations avec des psychologues et/ou psychiatres. Je commence à recevoir des réactions de collègues diplômés de la même institution. Tout me parait tout d’un coup plus simple.
Je partage la première story partout où je pouvais atteindre des psychologues. Ca a été très agréablement accueilli et ca vite pris de l’ampleur. La co-fondatrice et ex camarade, Manale Nacim que je remercie, s’investie corps et âme avec moi en créant elle-même le compte Instagram pour la cellule.
Alhamdu li Allah. Notre objectif principal est l’écoute psychologique; la première caravane s’est proposé à nous lors du partage, ce qui nous a encouragé à en organiser d’autres.
Quels sont les objectifs principaux de la caravane d'écoute psychologique dans les douars autour de la ville de Chichaoua ?
L’objectif principal de la caravane en direction d’Adassil, Chichaoua a été l’écoute psychologique mais dans un souci d’urgence et de priorité, nous avions pensé l’importance d’être accompagné de médecins et d’autres spécialités ayant leur place dans ce contexte. Surtout après consultation de la plate-forme “net3awnou”, qui aide les différents intervenants à situer les types besoins selon les régions pour une meilleure efficacité. Le besoin principal était celui de l’assistance médicale. Ce fut donc : l’assistance médicale, l’écoute psychologique et l’animation d’ateliers orthophoniques et psychologiques pour les enfants du village, en plus de la distribution des dons.
Une caravane était déjà partie Mercredi dernier dans les alentours de Taroudant, pour une distribution de dons, une assistance médicale et psychologique.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets des types de traumatismes ou de souffrances psychologiques chez les personnes affectées par le séisme ?
Les symptômes les plus récurrents qu’on retrouve au niveau de la cellule d’écoute ou lors des caravanes sont : les troubles anxieux, la peur de l’isolement, les troubles de l’appétit, les reviviscences ou flashbacks, l’hyper-dépendance, l’insomnie et les troubles du sommeil, les troubles dissociatifs (la personne est détachée de ses émotions avec une position de quasi-passivité devant les événements de vie qui portent atteinte au fonctionnement cognitif aussi) et le stress post-traumatique.
Quels types de besoins psychologiques prévoyez-vous rencontrer chez les personnes touchées par le séisme lors de cette première mission ?
Les principaux besoins psychologiques chez des sujets ayant fait l’expérience d’une catastrophe naturelle sont le sentiment de sécurité touché par la surprise face à l’imprévu et les dégâts matériels dans l’environnement, un besoin d’évacuer les tensions et émotions grâce au fait d’être écouté et en fin, un besoin de symboliser ce qui s’est passé. Ce dernier cas est attendu, en particulier, chez les enfants chez qui la capacité de symboliser ne permet pas une restructuration de ce qui a été modifié dans leur réalité (interne et externe) et où les parents peuvent être occupés à répondre aux besoins primaires de la famille.
La stigmatisation liée à la santé mentale peut être un défi dans de nombreuses communautés. Comment abordez-vous cette question et comment sensibilisez-vous les gens à l'importance de la santé mentale ?
En général, je n’ai pas besoin de prouver l’importance de la santé mentale. Contrairement à ce qu’on croit, les marocains ont une belle prise de conscience de son importance. Ma façon personnelle d’aborder la question est en montrant simplement que nous avons des besoins communs en tant qu’êtres humains et qu’il est en effet impossible de cliver entre la fonction du corps et de l’esprit. En réalité, l’idée n’est pas de convaincre les gens mais de leur laisser le choix. Chacun finira par se diriger vers ce qui est bon pour lui.
Comment votre équipe a-t-elle collecté des dons et des médicaments de première nécessité pour distribuer aux personnes dans le besoin ?
Pour une partie à l’ancienne (j’ai fait le tour des pharmacies en présentant nos actions) et pour l’autre, grâce aux réseaux des uns et des autres de nos collaborateurs. Nous avons tous remarqué l’abondance de dons et d’empathie des citoyens du monde entier, envers les sujets habitants dans les régions les plus proches de l’épicentre. Ça n’a pas été compliqué de contacter des pharmacies et des donateurs qui préfèrent garder l’anonymat pour soutenir la cause.
Comment votre équipe s'est-elle préparée sur le plan psychologique pour faire face aux émotions et aux besoins des personnes qu'elle va rencontrer ?
Se former et prendre soin de soi. L’empathie est un atout indispensable pour créer une réalité meilleure. Quand elle est en excès, elle peut devenir dangereuse pour le professionnel de la santé comme pour le bénéficiaire des soins. Pour la formation, il a été nécessaire de me former moi-même aux premiers secours psychologiques et à l’éthique dans ce contexte particulier, et à veiller à ce que les membres de la cellule et tout intervenant dans l’action de la caravane le soient aussi (dans la mesure du possible).
Pouvez-vous nous expliquer comment la caravane compte établir une connexion initiale avec les membres de la communauté et établir la confiance nécessaire pour fournir un soutien psychologique efficace ?
Il n’y a pas de meilleure façon qu’humainement et avec empathie. On y va dans la perspective de créer du lien, sans quoi aucun travail ne peut être fait au même titre que la thérapie. Toutefois, il est important de laisser aux sujets le temps et l’espace pour faire le travail de reconstituer leur réalité eux-mêmes. Un soutien efficace est celui qui les pousse vers l’action et qui respecte les subjectivités.
Comment comptez-vous surmonter les éventuelles barrières linguistiques et culturelles lors de votre mission ?
Nous avons la chance d’être accompagnés par un psychologue qui parle berbère. Il pourra prendre en charge les personnes totalement amazirophones et aider dans la traduction, si besoin. Nous comptons aussi sur la collaboration des habitants sur place (surtout les plus jeunes) pour la traduction, puisqu’un bon moyen de surmonter le sentiment d’impuissance face la catastrophe naturelle est de se sentir utile.
Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude envers les fondateurs de la Cellule d'Écoute Psychologique au Maroc, ainsi qu'envers tous les professionnels de la santé mentale et les bénévoles qui ont consacré leur temps et leurs compétences précieuses pour aider les communautés touchées par le séisme. Leur dévouement à la cause de la santé mentale et leur engagement envers le bien-être des autres sont une source d'inspiration pour nous tous.
Ensemble, nous pouvons faire la différence. En soutenant les initiatives comme celle-ci, en brisant les stigmates liés à la santé mentale et en reconnaissant l'importance de l'écoute compatissante, nous contribuons à la reconstruction des vies et à la restauration de l'espoir. Gardons à l'esprit que, même dans les moments les plus sombres, la lumière de la solidarité humaine brille toujours.
Merci à ceux qui sont au cœur de cette histoire, et merci à tous ceux qui se tiennent aux côtés de ceux dans le besoin. Ensemble, nous pouvons faire une réelle différence dans le monde.
Salma LABTAR