Je suis kinésithérapeute spécialisée en pelvi-périnéologie et en périnatalité. J’ai étudié à la Haute Ecole Libre de Bruxelles.
J’ai eu mon Master en Kinésithérapie en 2012. Très vite, je me suis formée en pelvi-périnéologie et dans la préparation à l’accouchement à la S.F.E.R. à Mons. En 2014, j’ai quitté la Belgique pour le Maroc et me suis installée à Rabat.
A l’époque, j’ai remarqué qu’il y avait une réelle demande pour les soins que je propose : j’ai donc continué à me former au Maroc et ailleurs. Je suis une des pionnières dans le monde de la périnatalité au Maroc.
Par la suite, j’ai essayé de démocratiser les soins paramédicaux en périnatalité au Maroc. En 2016, j’ai co-organisé une formation avec Mme Bonapace Julie, auteure à succès et créatrice de la méthode Bonapace qui est une forme de préparation à l’accouchement, afin de participer à la montée en compétence des sage-femmes et kinésithérapeutes .
Aujourd’hui grâce à mon expertise et mes multiples formations, j’ai ouvert mon propre centre “Physio & More” à Rabat au sein duquel je propose plusieurs formules au service de mes patientes. Je suis également formatrice en collaboration avec un centre de formation ou je dispense les formations suivantes : les troubles du plancher pelvien féminin, les douleurs pelviennes féminines et la préparation à l’accouchement.
Pouvez-vous expliquer en quoi consiste votre spécialité en périnatalité et en santé pelvienne ? Quels sont les problèmes courants que vous traitez dans votre pratique ?
En périnatalité, j’interviens pour soulager les futures mamans de leurs maux de grossesse via les massages, les exercices de renforcement et le yoga prénatal. Je suis aussi en mesure d’animer des ateliers de préparation à la naissance pour éduquer mais aussi préparer les futures mamans ( les futurs papas aussi) à l’accouchement, puis aux changements auxquels elles feront face.
Notre métier est un réel soutien et permet aussi d’outiller et de rassurer les couples qui attendent un enfant. Mon programme s’inspire de la méthode Bonapace.
Les plaintes en prénatal sur les inconforts sont surtout les maux de dos puis les jambes lourdes pendant l’été. Pour la préparation à l’accouchement, je reçois principalement des futures mamans enceintes pour la première fois et qui n’y connaissent rien.
Il m’arrive aussi de recevoir des futures mamans qui attendent leur deuxième enfant et qui souhaitent être préparer et « coachées » en quelque sorte. Elles ont par exemple vécu une mauvaise expérience et souhaitent faire les choses différemment. En post-partum, je fais ce qu’on appelle communément de la « rééducation périnéale ».
La rééducation périnéale ou plutôt la pelvi-périnéologie est une branche médicale qui s’intéresse aux organes du petit bassin et au plancher pelvien (muscle qui referme la partie inférieure du bassin). Via un interrogatoire et un examen clinique bien ciblé nous diagnostiquons et prenons en charge les différentes pathologies pelviennes.
L’objectif en post-partum est de renforcer le muscle du plancher pelvien qui a été fortement sollicité pendant la grossesse et l’accouchement. Lorsqu’il n’y a pas de problème détecté, nous serons plus sur une approche préventive.
Par contre, lorsqu’il y a un problème comme des fuites urinaires nous allons les diminuer voir même les supprimer via des méthodes rééducatives mais aussi en éduquant la patiente sur la santé pelvienne.
Je traite également les douleurs pelviennes menant à des dysfonctions sexuelles au sein des couples comme les dyspareunies ou le vaginisme. Par exemple : une épisiotomie mal cicatrisée peut donner des douleurs à la reprise des rapports (dyspareunie) , mon travail consistera à réduire ces douleurs.
Quels sont les avantages de consulter un physiothérapeute spécialisé en périnatalité et en santé pelvienne pendant la grossesse, l'accouchement et la période post-partum ?
Il y a plusieurs avantages à consulter une kinésithérapeute spécialisée dans ce domaine.
Pendant la grossesse nous encourageons les femmes enceinte à maintenir une activité physique adaptée, à venir nous voir en cas d’inconforts mais aussi nous l’assistons dans sa préparation à l’accouchement et au post-partum.
Dans la période du post-partum nous rééduquons le périnée et la sangle abdominale via des exercices. Nous donnons aussi plusieurs conseils d’hygiène de vie mais aussi sur la reprise de l’activité sportive qui doit être douce et progressive.
Quel est le rôle de votre page Instagram dans la sensibilisation et l'éducation des femmes enceintes et des nouvelles mamans concernant la santé pelvienne et les soins périnataux ?
Ma page Instagram permet d’informer les futures et nouvelles mamans sur plusieurs sujets autour de la périnatalité (la grossesse, l’accouchement et le post-partum).
J’y vulgarise au maximum afin que l’information soit claire et accessible. On y trouve des conseils comme par exemple ‘comment gérer les jambes lourdes enceinte’ ou encore ‘comment reprendre son sport après l’accouchement’.
J’y poste aussi les activités du centre, mes formations et ma vie de maman. L’expérience de la maternité et l’allaitement m’ont permis d’avoir une dimension plus personnelle et d’améliorer ma compréhension sur ce que vivent mes patientes et ma communauté sur Instagram.
Aujourd’hui j’aborde aussi avec plus de facilité tout ce qui est lié à l’intimité et à la sexualité car il y a énormément d’interrogations autour de ces sujets très souvent tabous. Mon but c’est vraiment d’éduquer les femmes qu’elles souffrent de troubles ou non.
Quels sont les signes et symptômes indiquant qu'une femme pourrait bénéficier de la physiothérapie périnatale ou en santé pelvienne ?
Les femmes enceintes viennent souvent me consulter lorsque les problèmes sont déjà installés, comme des douleurs de type sciatique ou pubalgie. Les maux de dos et les jambes lourdes sont aussi des signes qui poussent une femme enceinte à faire des séances de kinésithérapie prénatale.
Pour la santé pelvienne, ça peut être les douleurs aux rapports, des fuites urinaires, des difficultés à se retenir (urine ou gaz), des difficultés parfois à évacuer, la sensation de boule dans le bas du ventre ou encore la sensation d’une présence à l’entrée de la vulve.
Ces signes sont beaucoup plus fréquents quand les jeunes mamans ne se prennent pas en charge rapidement. Cela arrive plus souvent après un deuxième, troisième bébé.
Certaines femmes après l’accouchement ont des problèmes de diastasis : l’écartement des abdominaux, les grands droits.
L’interrogatoire et l’examen clinique permettent d’évaluer les troubles et de choisir les techniques qui correspondent aux problèmes de la patiente pendant la grossesse ou au post-partum.
Pendant la grossesse, s’il y a des troubles musculosquelettiques, nous prescrivons généralement des massages, des étirements et du renforcement musculaire. Parallèlement aux séances, nous préconisons au maximum l’activité physique chez la femme enceinte tant que celle-ci reste adaptée.
Par contre, si la patiente enceinte présente des fuites urinaires et qu’elle est enceinte, nous lui recommandons les exercices de Kegel (contractions du périnée). Comme enseigné dans ma pratique en Belgique, nous n’avons pas le droit de faire de rééducation périnéale lors de la période de grossesse. Il vaut mieux attendre après l’accouchement.
En post-accouchement, notre attention sera focalisée sur le complexe abdomino-posturo-pelvien.
Mais avant de s’intéresser à la posture et aux abdominaux nous travaillons en premier lieu sur le plancher pelvien. Nous avons plusieurs méthodes : la méthode manuelle ou la sonde.
La méthode manuelle consiste à faire contracter le périnée de la patiente autour des doigts. Nous donnons les consignes et la patiente exécute les exercices.
Nous pouvons utiliser la sonde pour lancer l’électrostimulation. Un petit courant qui sert à faire contracter le périnée à la place de la patiente. C’est une excellente technique pour les patientes qui ont du mal à situer/contracter leur périnée.
La sonde nous aide aussi à faire du biofeedback, c’est une technique qui permet à la patiente de visualiser sa contraction musculaire retranscrite sur un écran.
Une fois le périnée rééduqué, nous passons aux abdominaux et à la posture. Pour les abdominaux nous utilisons des exercices qui ne génèrent aucune pression sur le périnée et sur l’abdomen. Le choix de ces exercices dépendra de l’état de l’abdomen de la patiente.
Comment la physiothérapie périnatale et en santé pelvienne peut-elle aider les femmes à retrouver leur fonctionnalité et leur bien-être physique après l'accouchement ?
Au-delà de la rééducation, la kinésithérapeute spécialisée peut conseiller la femme après son accouchement que ça soit sur l’hygiène de vie ou sur la reprise du sport. Le mot clé est la progressivité.
La grossesse et l’accouchement sont des événements qui bouleversent le corps. Il faut donc y aller en douceur en commençant d’abord par une rééducation bien ficelée puis par la suite des sports doux et enfin vers des sports avec impact (si c’est la demande de la patiente).
Quels conseils donneriez-vous aux femmes enceintes pour prévenir les problèmes de santé pelvienne et musculosquelettique pendant la grossesse ?
Je conseille aux femmes en général avant de concevoir de miser sur le sport. L’activité physique permet d’atténuer les problèmes musculosquelettiques. Par la suite, l’idéal serait de maintenir une activité adaptée. Les patientes gardent alors tout leur capital musculaire ce qui leur permet de vivre leur grossesse plus sereinement et avec moins de problèmes.
Pour le périnée, nous conseillons de faire des exercices de Kegel afin de le maintenir en forme et surtout d’éviter les hyperpressions abdominales qui peuvent impacter la santé pelvienne.
Par exemple : la constipation chronique peut réellement abimer un périnée avant la grossesse. Les poussées répétées aux toilettes peuvent affaiblir le périnée et créer un terrain de prolapsus (descente d’organes) à la suite d’une grossesse et d’un accouchement.
Quelles sont les approches de rééducation du plancher pelvien que vous recommandez pour les femmes présentant des problèmes tels que l'incontinence urinaire ou les prolapsus ?
Nous conseillons les mêmes approches rééducatives que celles citées plus haut. Il n’y a pas de recette, chaque patiente a sa propre rééducation. Par contre pour les pathologies bien installées, nous aurons un suivi plus long.
La patiente sera suivie sur plusieurs séances et par la suite des petits « check-up » lui seront proposés. Un prolapsus de stade 1 ou 2 sera plus facile à récupérer en rééducation. Le stade 3 où l’organe s’extériorise nécessitera éventuellement de la chirurgie chez un gynécologue-obstétricien.
Mais nous pouvons rééduquer le muscle pour le préparer à l’opération. La rééducation a également sa place en post-chirurgie car il faut tonifier le périnée pour « peaufiner » le travail du chirurgien.
Il est aussi important d’éduquer la patiente par rapport à son périnée et lui donner des conseils d’hygiène de vie afin qu’elle ne puisse plus avoir les mêmes problèmes qui l’ont amené à se faire opérer.
Pour l’incontinence urinaire, la rééducation périnéale va varier en fonction de la patiente. Nous allons par la suite évaluer via un calendrier mictionnel si les fuites diminuent ou pas. S’il n’y a pas d'amélioration, le plus judicieux est de référer la patiente vers un urologue pour faire un bilan urodynamique.
Comment collaborez-vous avec d'autres professionnels de la santé, tels que les obstétriciens, les sages-femmes et les kinésithérapeutes, pour assurer les meilleurs soins aux femmes enceintes et aux nouvelles mamans ?
La prise en charge est pluridisciplinaire et avoir une petite équipe en qui nous avons confiance et avec qui travailler nous permet de mieux communiquer sur des cas cliniques.
Mon champ d’expertise a ses limites. Lorsque la patiente à un problème qui n’est pas dans mes compétences, mon devoir est de référer. Mon intérêt premier est le bien-être de ma patiente.
Par exemple, si je détecte une rougeur sur les parties intimes, j’envoie chez la gynécologue. Si ma patiente me parle de problèmes bien complexes par rapport à son allaitement j’adresse à la sage-femme.
Existe-t-il des traitements spécifiques pour les femmes qui ont subi une césarienne ou un accouchement par voie basse pour les aider à récupérer et à renforcer leur corps ?
La rééducation abdomino-pelvienne est tout aussi recommandée aux femmes ayant accouchés par césarienne sauf qu’elles doivent attendre huit semaines post-accouchement. Pour une voie basse le délai est plus court. Elles peuvent démarrer la rééducation six semaines après.
Cependant pour la césarienne nous conseillons en post accouchement de vite se lever et marcher pour une bonne récupération et surtout pour réduire le risque de phlébite.
Pour les deux types d’accouchements, les femmes peuvent être actives mais pas trop. Le repos et la mise en place de l’allaitement durant les quarante premiers jours est important.
Elles peuvent en attendant leur rééducation, faire le rituel Rebozo ou encore le resserrage du bassin. Le resserrage du bassin est une technique que j’enseigne lors des cours de préparation à l’accouchement. Elle réduit les douleurs au niveau du bassin et permet la récupération en douceur du corps.
Je déconseille par contre les corsets et gaines qui ont tendance à trop serrer la taille et à pousser le contenu abdominal vers le bas ce qui peut amener à une descente d’organes.
Quelles sont les recommandations que vous donnez aux femmes pour maintenir une bonne santé pelvienne à long terme, même après la période périnatale ?
Les pathologies du plancher pelvien touchent toutes les femmes et je conseille aux femmes qui n’ont pas encore vécu de grossesse et qui ont des problèmes telles que des fuites urinaires de vite consulter.
Cela vaut aussi pour les femmes qui sont ménopausées. La ménopause provoque une chute d’œstrogènes qui contribue à un relâchement du périnée. la rééducation périnéale est alors la première thérapie à suivre.
Je conseille aussi aux jeunes mamans de faire la rééducation après chaque grossesse. Penser à faire sa rééducation après avoir vécu toutes ses grossesses est un mauvais calcul. La rééducation permet de renforcer le périnée via des exercices mais aussi d’éduquer la patiente par rapport à son périnée.
Il est donc important d’intégrer le périnée dans la vie de tous les jours comme par exemple : le contracter avant de porter une charge lourde tout en expirant.
Pour moi, une fois qu’on fait connaissance avec son périnée, il faut en prendre soin comme pour le reste du corps.
Nous arrivons à la fin de cette interview captivante avec Madame Chaima Eslama, , spécialisée en pelvi-périnéologie et en périnatalité.
Nous tenons à exprimer notre gratitude sincère à notre experte pour avoir partagé généreusement ses connaissances, son expérience et ses conseils précieux tout au long de cette discussion.
Grâce à son expertise, son dévouement et sa passion pour aider les femmes enceintes et les nouvelles mamans, elle a joué un rôle essentiel dans la prise en charge de la santé pelvienne et la récupération post-partum.
Ses efforts pour démocratiser les soins paramédicaux dans le domaine de la périnatalité au Maroc sont remarquables. Nous tenons également à souligner l'importance de la collaboration interprofessionnelle et de la mise en réseau des experts de la santé, tels que les kinésithérapeutes, les obstétriciens et les sages-femmes, pour offrir les meilleurs soins aux femmes tout au long de leur parcours périnatal.
Nous espérons sincèrement que cette interview a apporté un éclairage précieux sur les bienfaits de la physiothérapie périnatale et en santé pelvienne, ainsi que sur les mesures préventives à adopter pour maintenir une bonne santé pelvienne à long terme.
Encore une fois, un grand merci à Madame Chaima pour sa contribution précieuse à cette discussion. Nous lui souhaitons beaucoup de succès dans ses efforts continus pour aider les femmes à retrouver leur fonctionnalité et leur bien-être physique après l'accouchement.
Nous vous remercions également, chères lectrices et chers lecteurs, de nous avoir accompagnés dans cette exploration enrichissante. Nous espérons que cette interview vous a été instructive et utile.
Prenez soin de vous et de votre santé pelvienne, et n'hésitez pas à consulter des professionnels compétents pour toute préoccupation ou besoin de soins spécifiques.
Salma LABTAR