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Il y a six ans disparaissait M'hamed Boucetta


Rédigé par le Dimanche 19 Février 2023

Il y a six ans, le 17 février 2017, disparaissait M'hamed Boucetta, leader charismatique du parti de l'Istiqlal, dont la sagesse forçait le respect de ses adversaires politiques avant ses alliés.



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Par Jamal Hajjam

Boucetta avait incarné, depuis 1974, année où il succéda au "Zaïm" Allal el Fassi, le porte-flambeau de la lutte pour la défense des constantes de la Nation et des principes et valeurs prônés pour l'édification d'une société égalitaire.

Militant depuis son jeune âge, ténor du barreau, par deux fois bâtonnier, plusieurs fois ministre, son parcours et sa riche expérience, ainsi que son charisme, lui ont conféré la stature d'un homme d'Etat respecté, à la clairvoyance unanimement saluée.

Sa sagesse reconnue a souvent fait de lui le recours salutaire devant des situations de conflit ou de blocage que ce soit au sein de sa propre formation politique ou touchant à la vie publique. Le succès de sa délicate mission après sa nomination en 2003 par le roi Mohammed VI à la présidence de la Commission pour la révision de la Moudawana, au moment où la société était scindée en deux sur la question et menaçait d'implosion, en est une parfaite illustration. M'hamed Boucetta avait allié, grâce à son flegme, la conscience de soi et des autres, la tempérance, le discernement et la justice.

Sa vie politique durant, il a su faire des deux vertus que sont la patience et la modération, un catalyseur de confiance et un outil stratégique de réalisation des objectifs. Pour preuve, ses actions et positions ont toujours été pondérées mais tranchantes dans les moments les plus délicats.

Lorsqu'en 1977, alors que son parti comptabilisait 14 années successives d'opposition et que les élections législatives venaient de connaître l'une de ces falsifications dont seul le ministère de l'Intérieur de l'époque détenait le secret, l'Istiqlal, sous la houlette de Boucetta avait, malgré tout, pris la courageuse décision d'intégrer le gouvernement "par souci de servir la cause première du pays". Le Maroc venait en effet de récupérer ses provinces sahariennes par le biais de la Marche verte et Boucetta allait justement occuper le poste de ministre des Affaires étrangères et consacrer le plus clair de son temps, en tant que chef de la diplomatie, au service de cette cause.

Le même élan militant avait dicté, vers la fin des années 80, peu de temps après que l'Istiqlal ait regagné le banc de l'opposition, la mise en route d'une action commune avec l'autre grande force de l'opposition, l'USFP de Abderrahim Bouabid ; action qui donna par ailleurs lieu à la retentissante motion de censure de 1989.

Ce travail commun avait emboîté le pas à une autre action commune, syndicale celle-là, qui était en cours entre l'UGTM et la CDT, deux centrales syndicales proches des deux formations politiques et instigatrices de la fameuse grève générale du 14 décembre 1990 qui a fortement impacté l'évolution politique du pays.

De l'action commune politico-syndicale entre l'Istiqlal et l'USFP allait naître la Koutla Démocratique planifiée par les directions des deux partis sous la conduite de Boucetta et Bouabid et concrétisée ensuite, en 1992, avec le successeur de ce dernier, Abderrahman Youssoufi, aux côtés des leaders historiques du PPS, de l'OADP et de l'UNFP de Abdallah Ibrahim.

Le travail laborieux mené par la Koutla visait en premier lieu la réalisation de réformes politiques et constitutionnelles profondes et structurantes. Deux révisions constitutionnelles simultanées (1992 et 1996) eurent lieu grâce aux pressions exercées par les forces d'opposition, accompagnées d'une ouverture droit-de-l'homiste comme préalable à un règlement calme et serein du lourd dossier des "années de plomb", qui aboutira quelques années plus tard, en début de règne du Roi Mohammed VI.

Dans la foulée de cette dynamique enclenchée par le travail soutenu des leaders de la Koutla, feu Hassan II fit appel, en 1993 déjà, à Me Boucetta pour lui confier la direction d'un gouvernement d'alternance auquel le souverain garantissait une majorité parlementaire consensuelle. L'idée était séduisante mais lui manquait les ingrédients de l'efficience démocratique.

Du coup, le projet ne vit pas le jour, Me Boucetta refusant par ailleurs de compter dans les rangs de l'équipe gouvernementale le "falsificateur en chef" des élections et le "prévaricateur patenté" de la vie politique, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Driss Basri, que Hassan II voulait reconduire dans ses fonctions et qui allait d'ailleurs, conséquemment au refus de Boucetta, être promu ministre d'Etat.

Droit dans ses bottes, cohérent et respectueux des principes éthiques et des engagements envers les siens et les alliés, Boucetta a naturellement décliné l'offre estimant qu'on ne peut réussir la réforme et concrétiser le changement avec les outils de la dépravation. Magistrale leçon d'honnêteté politique et de fidélité aux valeurs adressée autant au Pouvoir qu'à l'ensemble de la classe politique.

Tel était M'hamed Boucetta. Militant authentique, partenaire engagé et loyal, dirigeant déterminé et honnête, outre le côté humain de l'homme chez qui l'humour, trait de caractère, faisait aussi office de facilitateur et de bon introducteur en la matière, si délicate soit-elle.
 





Dimanche 19 Février 2023

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