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Par Aziz Boucetta
De quoi s’agit-il ? De faire évoluer le code de la famille, dans le sens d’un plus grand équilibre entre les époux, et dans l’objectif d’une meilleure protection des progénitures. Jusque-là, tout le monde est d’accord ; là où le différend s’installe, c’est dans le concept même d’équilibre.
Les Oulémas ont donné leur avis, refusant des choses, en acceptant d’autres. Ils forment le seul organisme habilité, selon la constitution, à se prononcer sur les questions religieuses et ils y ont été instamment priés de le faire par le roi, en sa qualité de commandeur des croyants. Les Marocains croient à ces institutions, alors qu’ils les laissent faire, car elles sont très soucieuses de la Tradition, mais aussi de la Modernité, et le roi a bien enseigné aux Oulémas le cadre de leur intervention pour la réforme de la Moudawana.
La question qui se pose aujourd’hui, à travers cet immense chantier humain, social et sociétal est celle de savoir ce que nous voulons faire de notre pays. Doit-on absolument, comme le pensent les modernistes, atténuer les règles de la Tradition, rogner sur celles de la religion, pour se lancer résolument vers le développement, avec tout ce que ce terme contient comme profondeur et globalité ? Ou, à l’inverse, et comme le soutiennent les conservateurs, doit-on maintenir nos règles traditionnelles, religieuses, à la lettre, pour le salut de notre pays, étant entendu que la stricte application de la Tradition peut nous mener, elle aussi, et tout aussi résolument, vers le développement ?
Si les premiers estiment que nous devons faire nôtres les règles dites universelles pour avancer, ils en prennent pour exemples les sociétés européennes et américaines, et ils ont raison. Mais les seconds peuvent s’appuyer sur les cas du Japon, d’Israël, de la Turquie et de biens d’autres nations encore pour souligner cette vérité qu’on peut se développer en maintenant ses traditions, et ils n’ont pas tort non plus.
L’autre question qui se pose est de savoir qui et que sommes-nous ? « Des Arabo-musulmans, évidemment ! », criera-t-on de-ci de-là avec une certaine indignation qu’on puisse même s’interroger sur cela. Mais relisons notre constitution et nous comprendrons que notre identité est un peu plus complexe, et même bien plus compliquée. La Loi fondamentale dit en effet, en son Préambule, que « [l’]identité nationale (du Maroc est) une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ». Cela fait beaucoup de composantes et d’affluents, et l’union de toutes ces cultures donne ce qu’on appelle communément et de plus en plus souvent la « tamgharbiyte », un peu de tout.
Fort bien, mais la constitution ajoute que « la prééminence accordée à la religion musulmane dans ce référentiel national va de pair avec l’attachement du peuple marocain aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue pour la compréhension mutuelle entre toutes les cultures et les civilisations du monde ». Musulmans certes oui, mais avec une volonté de s’ouvrir sur son monde et son environnement. Cette volonté de convergence de tous vers un dénominateur commun souligne encore plus la tamgharbiyte.
Enfermer le Maroc et les Marocains dans un rigorisme traditionnaliste et même religieux, ce n’est pas le Maroc, ce n’est pas la tamgharbiyte.
C’est la modération, cette aptitude au syncrétisme propres aux Marocains, qui confère à la proposition de réforme son équilibre ; équilibre certes perfectible en fonction des arguments des uns et des autres, mais équilibre quand même entre les époux, leurs biens, leurs enfants, leurs avenirs. Et c’est ce que dit la réforme actuellement en discussion.
Le ministre de la Justice a survécu au remaniement après avoir succombé face aux pairs de son parti, le PAM, qui ne l’ont pas reconduit à la direction de leur parti en février dernier. N’ayant plus rien à perdre, politiquement parlant, il est le seul aujourd’hui à pouvoir s’engager sur ce front de la réforme. Il connaît bien son affaire – il est avocat –, il connaît bien M. Benkirane et ses frères et sœurs, il connaît bien le Maroc et le besoin d’ouverture de sa société, il connaît bien les Oulémas et les dirigeants du Conseil supérieur de la Justice, étant ministre depuis plus de trois ans.
Mais il porte les idées d’une minorité et il est fermement convaincu que la démocratie est la protection des minorités, essentiellement quand ces minorités ne demandent rien d’autre que l’atténuation de l’ancrage traditionnaliste de la société et l’accession des femmes au statut de véritables citoyennes ! Il lui suffit juste de mieux calibrer, parfois, son propos, et d'éviter les inutiles dérapages et autres improductifs verbiages...
Il est donc le seul politique identifié à pouvoir conduire les conservateurs à plus de souplesse et les modernistes à davantage de… respect. Pour cela, il faut le soutenir car ce faisant, c’est l’émergence d’une société nouvelle que l’on soutiendra, musulmane certes mais moderne aussi, moderne surtout mais musulmane avant tout, débarrassée des résidus extrémistes des deux camps et libérée des règlements de comptes entre les deux bords.
Oui, pour cela, il faut le soutenir.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost