Par Aziz Boucetta
« Quand le Maroc se met à rêver projets, résolutions et chantiers stratégiques, il les baptise de deux noms : Plan ou programme », nous enseigne la revue Economia dans une étude dédiée aux stratégies d’Etat. Et ces « plans » ou « programmes » sont depuis une quinzaine d’années l’œuvre de cabinets de conseil prestigieux qui facturent leurs cogitations à des millions de DH, parfois plus, souvent beaucoup, toujours trop : les McKinsey, Boston Consulting Group, alias BCG, Roland Berger… Est-ce encore nécessaire ?
La question mérite d’être posée maintenant que le royaume s’est harnaché d’un gouvernement de technocrates, dont plusieurs sont passés par ces cabinets ou ont eu affaire à leurs services. Plan Maroc Vert, Emergence, Azur, études pour introduction en bourse, programme de développement, programmes de partis politiques, etc… Cela a commencé à l’aube de ce siècle, cela a accéléré, cela continue et maintenant cela suffit !
Dans les années 2000, le Maroc sortait d’une longue période un peu médiévale où les compétences héritées montraient une dissonance par rapport aux ambitions affichées. Il fallait alors lancer de pleins secteurs et assurer une croissance durable qui, inchallah, devait entrainer le reste de l’économie dans une spirale vertueuse de prospérité entamée par le haut et ruisselante vers le bas. Las, le Maroc est certes plus prospère, mais poussivement et très inégalement… l’Etat s’est enrichi, les riches aussi, mais pas les pauvres.
Ces années-là, quand le Maroc découvrait le 21ème siècle, il ne disposait pas de matière grise, de technicité et de compétences à même de lui assurer une croissance équitable et un développement intégré. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, avec tous ces jeunes diplômés, ces esprits bien achalandés qui ne restent pas forcément tous dans leurs pays d’études. Depuis quelques années, on peut même déceler une inversion de cette tendance, avec un nombre croissant de jeunes qui partent, attirés par l’étranger, puis reviennent ou pensent à revenir au pays, ulcérés par ce même étranger.
Aujourd’hui, nous avons des compétences présentes dans toutes les strates de l’administration et du secteur privé. Nous disposons également d’un gouvernement composé de jeunes (et moins jeunes) affichant une très haute technicité et entourés de compétences très pointues qui parcourent les cabinets ministériels et les étages supérieurs des grands groupes. Pourquoi, dès lors, persister à confier nos plans et stratégies à ces bureaux, cabinets et agences de conseil, payés à prix d’or et pompant l’information, souvent sensible ?
Il est temps que notre gouvernement nous montre aujourd’hui qu’il est à la hauteur des espérances créées auprès de larges franges de la population et des attentes chez les opérateurs économiques, privés et/ou publics. Et si M. Akhannouch et son équipe voulaient bien faire, ils n’auraient non seulement plus recours à ces cabinets payés à prix d’or pour effectuer ce que des Marocains pourraient très bien réaliser eux-mêmes pour eux-mêmes, mais ils pourraient faire plus…
En effet, l’ouverture du royaume sur sa profondeur africaine devrait lui permettre de mettre sur pied lui-même un tel type de cabinet, dont il exporterait par la suite les services sur le continent. La compétence est là, la technocratie aussi, le soutien diplomatique est également présent et le renseignement économique se développe de plus en plus… Il ne manque plus que deux éléments : la volonté politique (voire éthique) de remplacer ces cabinets par une technicité locale, et l’argent pour payer cette dernière à des niveaux similaires que ceux des cabinets. Il faut donc de l’argent, beaucoup d’argent… Cet argent même versé inconsidérément – voire coupablement – à des cabinets conseils qui font plus ou moins bien aujourd’hui ce que nous pourrions faire mieux demain, pour nous et pour l’Afrique. 100 à 120 millions de DH sont happés chaque année par ces cabinets étrangers, soit 500 à 600 millions de DH en cinq ans.
Dans son dernier discours, le roi Mohammed VI a évoqué cette idée de souveraineté. Il a dit ceci : « la crise pandémique a révélé le retour en force du thème de la Souveraineté. Qu’elle soit sanitaire, énergétique, industrielle, alimentaire ou autre, sa préservation est devenue l’enjeu d’une véritable compétition qui suscite des réactions fébriles chez certains ».… Certes, mais il y a aussi la souveraineté décisionnelle qui privera ces « certains » d’informations importantes sur nos politiques publiques, ces mêmes « certains » dont le souverain avait dit le 20 août dernier qu’ « ils ne veulent pas admettre que les règles du jeu ont changé, que, désormais, nos pays sont totalement aptes à gérer leurs affaires, à mettre en valeur leurs ressources et leurs potentialités, dans l’intérêt bien compris de nos peuples ». Tout est dit !
Le Maroc est aujourd’hui une puissance régionale géopolitique, qui ne s’affirmera que par son autonomie et sa souveraineté, mais aussi par son audace et sa conviction que le champ des possibles peut-être indéfiniment élargi pour accroître sa richesse. Ceux qui persistent à dire que tel projet est impossible et ceux qui insistent pour aller chercher de l’intelligence chez les autres en leur donnant nos informations et notre argent… doivent tout simplement partir, après avoir rendu des comptes…
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com