Par Rachid Boufous
Dans ce sens, on me propose d’animer des séminaires à destination de ce groupe dans les domaines liés à civilisation, l’identité marocaine, les origines de l'écriture ou la femme dans l'histoire…
C’est un très beau challenge, d’autant plus que cela exige un réel travail de préparation et de documentation. Cela fait sortir les gens de leurs spécialités d’origine et démontre que l’on peut maîtriser un sujet qui est loin de sa formation de base.
Le premier cours devait se dérouler ce vendredi à 9h du matin.
On m’a donc proposé de passer la nuit au campus de l’université, l’occasion de découvrir les lieux pour la première fois, d’autant plus que je venais de Rabat.
Je n’avais pas mis les pieds à Benguerir depuis plus de quarante ans, quand la route nationale était encore le seul lien entre le nord et le sud du Maroc, en passant obligatoirement par cette ville.
À l’époque, Benguerir était célèbre pour ses brochettes et sa Kefta et toutes les familles marocaines s’y arrêtaient à l’aller comme au retour. C’était avant l’autoroute et le bouleversement qui allait être porté au transport dans notre pays.
L’ancien bourg improbable, situé en plein pays Rhamna a grossi un peu dans tous le sens, à l’image de tous les centres émergents, réceptacles des continuelles migrations du monde rural vers l’urbain...
La plus formidable mutation de ce territoire quasi désertique et vivant principalement de l’économie routière et des mines de phosphates à proximité, aura été l’installation de l’université Mohamed 6 polytechnique à Benguerir. Une véritable gageure, mais qui reste une vision éclairée sur ce que peut être l’université marocaine quand elle est dotée de moyens conséquents. Les succès que connaît celle-ci durant les dernières années où l’on voit plusieurs universités marocaines se hisser à un niveau international, sont dûs principalement plus à des individualités, à des chercheurs ou à des professeurs chevronnés, qu’à un système universitaire pris dans son ensemble. Et c’est ce qui fait la différence avec beaucoup de temples du savoir et de la connaissance un peu partout dans le monde.
L’office chérifien des phosphates (OCP) et son président Terrab, y sont pour beaucoup, décidant d’implémenter une université multidisciplinaire, à l’anglo-saxonne, la première à Benguerir et la seconde à Rabat où le prince héritier suit son cursus universitaire.
J’arrive le soir à Benguerir et je me dirige vers l’université. Après les vérifications d’usage, je pénètre dans le nouveau temple marocain du savoir. Grande surprise, l’université est animée le soir.
Des étudiants font du sport dans des terrains éclairés. Tout est propre, de la verdure partout, et surtout des bâtiments à la couleur ocre, à perte de vue. Ce béton en devient même oppressant pour un architecte comme moi. L’université a été conçue et réalisée par Ricardo Bofill, un grand maître espagnol.
Je n’aime pas l’architecture de Bofill que je trouve un tantinet franquiste, mais elle a le mérite de se focaliser sur les détails et la finition des bâtiments bien faite, c’est là qu’elle se rattrape de manière magistrale.
On me dirige vers le campus où je vais passer la nuit. Les blocs sont constitués à chaque étage d’un groupe de dortoirs, 4 au total où on pénètre de manière sécurisée pour accéder a un groupe de 4 chambres par dortoir et à un espace commun doté d’une cuisine et d’un petit salon avec téléviseur, par groupe de chambres.
Chaque bloc est doté d’un réception qui fonctionne 24h sur 24h, où un vigile surveille grâce à son ordinateur, toutes les allées et venues et s’occupe de l’accueil.
La gentillesse du personnel, partout, est à noter.
La chambre d’étudiant est petite mais bien faite, sans ostentation, avec clim intégrée. Une literie honorable, des branchements électriques avec prises usb en nombre suffisant et une salle de bains avec douche très correcte. Les serviettes de douche sont fournies. Des reproductions de tableaux sont accrochées aux murs. Des placards petits, mais pratiques et une table de travail avec sa lampe nous rappellent le caractère strictement estudiantin des lieux.
Je suis logé au second étage où on accède via un ascenseur à partir du rez-de-chaussée. On me donne un pass, sans lequel, on ne peut accéder à la chambre. Je suis impressionné par la propreté des lieux. Des caméras érigées partout surveillent les allées et venues.
Les étudiants passent et vous saluent. Je me pince. Je commence à me poser des questions. Suis-je vraiment au Maroc ?
Oui et cette université est marocaine à 100%…
Pour dîner, ma curiosité légendaire me pousse à aller au réfectoire universitaire. C’est très propre. Les mets sont variés. Mais la grosse faim qui me tord les boyaux ne peut se contenter d’un dîner estudiantin.
Je prends donc la décision d’aller vers les chawayates qui ont tant fait la réputation de Benguerir et qui sont situées sur la route nationale. Les boui-boui d’antan ont fait place à des espaces et des commerces propres et bien achalandés.
On mange toujours aussi bien pour pas cher sur les routes nationales marocaines. Et c’est très safe, surtout quand le débit est là et que la fréquentation est assidue par les voyageurs. Les Chawayates sont un patrimoine national indéniable, qu’il faut protéger et préserver. Si cela ne tenait qu’à moi, je demanderai à les faire inscrire au patrimoine universel de l’Unesco, tant le voyage par route au Maroc, reste indissociable de ces Chawayates.
On en trouve partout, même dans les douars perdus. D’ailleurs pas loin de Benguerir se trouve Tlat Fini, le temple des chouwayates au Maroc.
Zaida, Ouad Amlil, Bni Bouayache, Timahdite, Tadart, Chichaoua, Amskroud, Sidi Bouatmane, Selouane, Zaio, Issaguene, Bab Berred, Souk Larbaa du gharb, Ait Melloul, Tinghir, Missour, Had Soualem, Bir Jdid, Bouznika, Laarjat, Khemisset, Taourirt, Guercif, Oued Zem, Fquih Bensaleh, Tlat Labrouj, Moulay Bouazza, Boufekrane, Sebt Oulad Nemma, Rommani, Taliouine, Taroudant, Taghazout, Boujdour, Bouazakarne, Bni Drar,Tiznit, Guelmime, sans oublier le Harvard de la bouffe de voyage, Ain Lahçen entre tanger et Tétouan….
Tous ces douars, villes ou villages parsemés partout sur les routes nationales sont d’indispensables haltes pour les voyageurs en voiture, en car, ou en moto, pour se reposer et surtout goûter aux plats locaux, tous merveilleux les uns que les autres, sans oublier les incontournables Kefta, côtelettes, saucisses, qalb, chwa, têtes de moutons, accompagnés de fayots, d’un bol de harira, de belboula ou de bissara, le tout assaisonné d’un grand berrad de thé très sucré et de pain fait maison. Les tagines de poulet beldi, de viande aux pruneaux ou aux sept légumes, sont aussi proposés pour celles et ceux qui ne veulent pas abuser de cholestérol et de viandes cuites à la braise…
D’ailleurs les stations-services dont celles d’Aziz, le premier pompiste du royaume, ne s’y sont pas trompés et ont développé tout un service de tagines divers et variés qu’ils proposent de manière traditionnelle.
Je retourne vers minuit à l’université après avoir rempli la panse pour moins de 10€.
Je veux prendre une douche. Pas d’eau !!! Ni dans le robinet de douche, ni dans celui du lavabo…Zut !
J’apprendrais le lendemain que la stress hydrique est devenu une réalité grave au Maroc rural et même dans une université aussi prestigieuse. L’eau est coupée de minuit à six heures du matin dans toute la ville pour veiller à son économie...
Nous les urbains des grandes villes, nous ne sentons pas encore cette réalité que vivent depuis quelques années plusieurs villes et douars du pays. La grande sécheresse de ces six dernières années a laissé des traces. Aujourd’hui on observe des coupures d’eau même dans les périphéries de Rabat ou de Casablanca. L’urgence d’installer des stations de dessalement d’eau et de mieux utiliser et de préserver cette ressource vitale, deviennent primordiales partout au Maroc. Nous allons certainement au devant d’années avec moins d’eau. Et il faut s’y préparer dès à présent …
Nous ne sommes pas obligés de prendre une douche par jour, ni de laver sa voiture ou d’irriguer sa pelouse gazonnée plusieurs fois par semaine. Ce sont là des réflexes à prendre par tous les privilégiés, en solidarité avec ceux qui le sont moins.
Quand je lisais que les autorités fermaient les Hammams plusieurs fois par semaine, je leur donnais tort, jusqu’à ce que je fus confronté pour la première fois dans ma vie à une pénurie d’eau, à Benguerir. Et je vous prie de croire que cela fait réfléchir quand on y est confronté…!
Le lendemain je me réveille aux aurores, l’eau est de retour dans les robinets et elle est abondante. Du coup, je n’ai plus envie de prendre ma douche, pour ne pas gaspiller cette eau, que d’autres à Benguerir ou ailleurs, ont en plus besoin que moi.
Je me dirige vers un café en ville, où je commande un petit déjeuner beldi avec Msemmen, huile d’olive et miel. Cela me manquait. Dans la grande salle, la télévision 90 pouces est mise sur la Mecque avec un « récitateur » du Coran qui me plonge avec sa voix nasillarde, dans un ensemble de sourates plus incriminantes les unes que les autres. Pourtant, moi je ne demande ni pardon, ni rédemption. Je veux juste bouffer mes Msemmen et ma soupe de Belboula du matin. Je ne veux pas non plus aller ni au Paradis ni chez les Anunaki. Je veux juste boire mes médocs du matin, avaler mes deux tasses de café et fumer ma première cigarette, pour pouvoir aller faire mon premier caca libérateur de la journée, sinon je ne peux pas starter aucune activité. Pas envie de me prendre la tête de beau matin à méditer sur mon destin ou sur ma destinée, ou plus encore à me reprocher de beau matin tous les péchés commis dans la semaine, le mois où l’année écoulée…
Bref, je rencontre pour la première fois mes étudiants, tous et toutes savamment installés sur leurs pupitres. Tous des scientifiques. Plus de filles que de garcons.
Cela fait vingt-cinq ans que je n’avais pas enseigné. La dernière fois, c’était à l’école d’architecture de Rabat. À l’époque, j’étais la star de l’informatique appliquée à l’architecture et on tenait à ce que j’enseigne cette nouvelle technologie. Je l’ai fait durant un an et demi et j’ai décroché, faute de moyens alloués aux étudiants pour y arriver. Après, je n’ai plus voulu enseigner quoi que ce soit en université, malgré les connaissances accumulées. Je me suis dit que je n’avais pas encore les capacités, ni le bagage intellectuel pour bien le faire...
D’ailleurs pour préparer ce premier cours sur l’identité marocaine, j’ai dû avaler deux thèses universitaires et une somme innombrable d’articles savants, en moins de 15 jours. Quand on est devant des étudiants, il ne s’agit pas de leur raconter n’importe quoi, ni de lire un long papier. Il faut montrer de manière spontanée et érudite ce que l’on sait, sans notes. C’est ainsi que le savoir doit être transmis.
Et comme l’identité marocaine fait appel à une grande part de l’histoire de notre civilisation, l’exercice ne pouvait être que très enrichissant.
De prime abord, j’ai demandé aux étudiants de ne pas hésiter à m’interrompre au cours de mon intervention et de me poser des questions dans la langue qui leur est la plus facile pour exprimer, au mieux, leurs idées : arabe Darija, français, anglais, afin de les mettre à l’aise et de casser le mur d’hésitations, qui souvent, bloque les échanges.
Je répondrais en français, puisque le séminaire est dans cette langue.
Et c’est ainsi que durant 3 heures, avec juste une pause de 10 minutes, ce fut un échange merveilleux, beaucoup plus qu’un cours magistral, tant ces étudiants ont montré un grand intérêt à ce que je leur racontais et leurs interactions très intéressantes.
À la fin, ils se sont tous levés pour m’applaudir chaleureusement. J’en ai eu les larmes aux yeux et ils ont tous demandé à leur moniteur, que l’on prenne une photo commune. Un pur moment de bonheur intellectuel, loin, très loin, de la fureur du monde…!
À Benguerir, ce jour là, Himself était aux anges !
Rachid Boufous
C’est un très beau challenge, d’autant plus que cela exige un réel travail de préparation et de documentation. Cela fait sortir les gens de leurs spécialités d’origine et démontre que l’on peut maîtriser un sujet qui est loin de sa formation de base.
Le premier cours devait se dérouler ce vendredi à 9h du matin.
On m’a donc proposé de passer la nuit au campus de l’université, l’occasion de découvrir les lieux pour la première fois, d’autant plus que je venais de Rabat.
Je n’avais pas mis les pieds à Benguerir depuis plus de quarante ans, quand la route nationale était encore le seul lien entre le nord et le sud du Maroc, en passant obligatoirement par cette ville.
À l’époque, Benguerir était célèbre pour ses brochettes et sa Kefta et toutes les familles marocaines s’y arrêtaient à l’aller comme au retour. C’était avant l’autoroute et le bouleversement qui allait être porté au transport dans notre pays.
L’ancien bourg improbable, situé en plein pays Rhamna a grossi un peu dans tous le sens, à l’image de tous les centres émergents, réceptacles des continuelles migrations du monde rural vers l’urbain...
La plus formidable mutation de ce territoire quasi désertique et vivant principalement de l’économie routière et des mines de phosphates à proximité, aura été l’installation de l’université Mohamed 6 polytechnique à Benguerir. Une véritable gageure, mais qui reste une vision éclairée sur ce que peut être l’université marocaine quand elle est dotée de moyens conséquents. Les succès que connaît celle-ci durant les dernières années où l’on voit plusieurs universités marocaines se hisser à un niveau international, sont dûs principalement plus à des individualités, à des chercheurs ou à des professeurs chevronnés, qu’à un système universitaire pris dans son ensemble. Et c’est ce qui fait la différence avec beaucoup de temples du savoir et de la connaissance un peu partout dans le monde.
L’office chérifien des phosphates (OCP) et son président Terrab, y sont pour beaucoup, décidant d’implémenter une université multidisciplinaire, à l’anglo-saxonne, la première à Benguerir et la seconde à Rabat où le prince héritier suit son cursus universitaire.
J’arrive le soir à Benguerir et je me dirige vers l’université. Après les vérifications d’usage, je pénètre dans le nouveau temple marocain du savoir. Grande surprise, l’université est animée le soir.
Des étudiants font du sport dans des terrains éclairés. Tout est propre, de la verdure partout, et surtout des bâtiments à la couleur ocre, à perte de vue. Ce béton en devient même oppressant pour un architecte comme moi. L’université a été conçue et réalisée par Ricardo Bofill, un grand maître espagnol.
Je n’aime pas l’architecture de Bofill que je trouve un tantinet franquiste, mais elle a le mérite de se focaliser sur les détails et la finition des bâtiments bien faite, c’est là qu’elle se rattrape de manière magistrale.
On me dirige vers le campus où je vais passer la nuit. Les blocs sont constitués à chaque étage d’un groupe de dortoirs, 4 au total où on pénètre de manière sécurisée pour accéder a un groupe de 4 chambres par dortoir et à un espace commun doté d’une cuisine et d’un petit salon avec téléviseur, par groupe de chambres.
Chaque bloc est doté d’un réception qui fonctionne 24h sur 24h, où un vigile surveille grâce à son ordinateur, toutes les allées et venues et s’occupe de l’accueil.
La gentillesse du personnel, partout, est à noter.
La chambre d’étudiant est petite mais bien faite, sans ostentation, avec clim intégrée. Une literie honorable, des branchements électriques avec prises usb en nombre suffisant et une salle de bains avec douche très correcte. Les serviettes de douche sont fournies. Des reproductions de tableaux sont accrochées aux murs. Des placards petits, mais pratiques et une table de travail avec sa lampe nous rappellent le caractère strictement estudiantin des lieux.
Je suis logé au second étage où on accède via un ascenseur à partir du rez-de-chaussée. On me donne un pass, sans lequel, on ne peut accéder à la chambre. Je suis impressionné par la propreté des lieux. Des caméras érigées partout surveillent les allées et venues.
Les étudiants passent et vous saluent. Je me pince. Je commence à me poser des questions. Suis-je vraiment au Maroc ?
Oui et cette université est marocaine à 100%…
Pour dîner, ma curiosité légendaire me pousse à aller au réfectoire universitaire. C’est très propre. Les mets sont variés. Mais la grosse faim qui me tord les boyaux ne peut se contenter d’un dîner estudiantin.
Je prends donc la décision d’aller vers les chawayates qui ont tant fait la réputation de Benguerir et qui sont situées sur la route nationale. Les boui-boui d’antan ont fait place à des espaces et des commerces propres et bien achalandés.
On mange toujours aussi bien pour pas cher sur les routes nationales marocaines. Et c’est très safe, surtout quand le débit est là et que la fréquentation est assidue par les voyageurs. Les Chawayates sont un patrimoine national indéniable, qu’il faut protéger et préserver. Si cela ne tenait qu’à moi, je demanderai à les faire inscrire au patrimoine universel de l’Unesco, tant le voyage par route au Maroc, reste indissociable de ces Chawayates.
On en trouve partout, même dans les douars perdus. D’ailleurs pas loin de Benguerir se trouve Tlat Fini, le temple des chouwayates au Maroc.
Zaida, Ouad Amlil, Bni Bouayache, Timahdite, Tadart, Chichaoua, Amskroud, Sidi Bouatmane, Selouane, Zaio, Issaguene, Bab Berred, Souk Larbaa du gharb, Ait Melloul, Tinghir, Missour, Had Soualem, Bir Jdid, Bouznika, Laarjat, Khemisset, Taourirt, Guercif, Oued Zem, Fquih Bensaleh, Tlat Labrouj, Moulay Bouazza, Boufekrane, Sebt Oulad Nemma, Rommani, Taliouine, Taroudant, Taghazout, Boujdour, Bouazakarne, Bni Drar,Tiznit, Guelmime, sans oublier le Harvard de la bouffe de voyage, Ain Lahçen entre tanger et Tétouan….
Tous ces douars, villes ou villages parsemés partout sur les routes nationales sont d’indispensables haltes pour les voyageurs en voiture, en car, ou en moto, pour se reposer et surtout goûter aux plats locaux, tous merveilleux les uns que les autres, sans oublier les incontournables Kefta, côtelettes, saucisses, qalb, chwa, têtes de moutons, accompagnés de fayots, d’un bol de harira, de belboula ou de bissara, le tout assaisonné d’un grand berrad de thé très sucré et de pain fait maison. Les tagines de poulet beldi, de viande aux pruneaux ou aux sept légumes, sont aussi proposés pour celles et ceux qui ne veulent pas abuser de cholestérol et de viandes cuites à la braise…
D’ailleurs les stations-services dont celles d’Aziz, le premier pompiste du royaume, ne s’y sont pas trompés et ont développé tout un service de tagines divers et variés qu’ils proposent de manière traditionnelle.
Je retourne vers minuit à l’université après avoir rempli la panse pour moins de 10€.
Je veux prendre une douche. Pas d’eau !!! Ni dans le robinet de douche, ni dans celui du lavabo…Zut !
J’apprendrais le lendemain que la stress hydrique est devenu une réalité grave au Maroc rural et même dans une université aussi prestigieuse. L’eau est coupée de minuit à six heures du matin dans toute la ville pour veiller à son économie...
Nous les urbains des grandes villes, nous ne sentons pas encore cette réalité que vivent depuis quelques années plusieurs villes et douars du pays. La grande sécheresse de ces six dernières années a laissé des traces. Aujourd’hui on observe des coupures d’eau même dans les périphéries de Rabat ou de Casablanca. L’urgence d’installer des stations de dessalement d’eau et de mieux utiliser et de préserver cette ressource vitale, deviennent primordiales partout au Maroc. Nous allons certainement au devant d’années avec moins d’eau. Et il faut s’y préparer dès à présent …
Nous ne sommes pas obligés de prendre une douche par jour, ni de laver sa voiture ou d’irriguer sa pelouse gazonnée plusieurs fois par semaine. Ce sont là des réflexes à prendre par tous les privilégiés, en solidarité avec ceux qui le sont moins.
Quand je lisais que les autorités fermaient les Hammams plusieurs fois par semaine, je leur donnais tort, jusqu’à ce que je fus confronté pour la première fois dans ma vie à une pénurie d’eau, à Benguerir. Et je vous prie de croire que cela fait réfléchir quand on y est confronté…!
Le lendemain je me réveille aux aurores, l’eau est de retour dans les robinets et elle est abondante. Du coup, je n’ai plus envie de prendre ma douche, pour ne pas gaspiller cette eau, que d’autres à Benguerir ou ailleurs, ont en plus besoin que moi.
Je me dirige vers un café en ville, où je commande un petit déjeuner beldi avec Msemmen, huile d’olive et miel. Cela me manquait. Dans la grande salle, la télévision 90 pouces est mise sur la Mecque avec un « récitateur » du Coran qui me plonge avec sa voix nasillarde, dans un ensemble de sourates plus incriminantes les unes que les autres. Pourtant, moi je ne demande ni pardon, ni rédemption. Je veux juste bouffer mes Msemmen et ma soupe de Belboula du matin. Je ne veux pas non plus aller ni au Paradis ni chez les Anunaki. Je veux juste boire mes médocs du matin, avaler mes deux tasses de café et fumer ma première cigarette, pour pouvoir aller faire mon premier caca libérateur de la journée, sinon je ne peux pas starter aucune activité. Pas envie de me prendre la tête de beau matin à méditer sur mon destin ou sur ma destinée, ou plus encore à me reprocher de beau matin tous les péchés commis dans la semaine, le mois où l’année écoulée…
Bref, je rencontre pour la première fois mes étudiants, tous et toutes savamment installés sur leurs pupitres. Tous des scientifiques. Plus de filles que de garcons.
Cela fait vingt-cinq ans que je n’avais pas enseigné. La dernière fois, c’était à l’école d’architecture de Rabat. À l’époque, j’étais la star de l’informatique appliquée à l’architecture et on tenait à ce que j’enseigne cette nouvelle technologie. Je l’ai fait durant un an et demi et j’ai décroché, faute de moyens alloués aux étudiants pour y arriver. Après, je n’ai plus voulu enseigner quoi que ce soit en université, malgré les connaissances accumulées. Je me suis dit que je n’avais pas encore les capacités, ni le bagage intellectuel pour bien le faire...
D’ailleurs pour préparer ce premier cours sur l’identité marocaine, j’ai dû avaler deux thèses universitaires et une somme innombrable d’articles savants, en moins de 15 jours. Quand on est devant des étudiants, il ne s’agit pas de leur raconter n’importe quoi, ni de lire un long papier. Il faut montrer de manière spontanée et érudite ce que l’on sait, sans notes. C’est ainsi que le savoir doit être transmis.
Et comme l’identité marocaine fait appel à une grande part de l’histoire de notre civilisation, l’exercice ne pouvait être que très enrichissant.
De prime abord, j’ai demandé aux étudiants de ne pas hésiter à m’interrompre au cours de mon intervention et de me poser des questions dans la langue qui leur est la plus facile pour exprimer, au mieux, leurs idées : arabe Darija, français, anglais, afin de les mettre à l’aise et de casser le mur d’hésitations, qui souvent, bloque les échanges.
Je répondrais en français, puisque le séminaire est dans cette langue.
Et c’est ainsi que durant 3 heures, avec juste une pause de 10 minutes, ce fut un échange merveilleux, beaucoup plus qu’un cours magistral, tant ces étudiants ont montré un grand intérêt à ce que je leur racontais et leurs interactions très intéressantes.
À la fin, ils se sont tous levés pour m’applaudir chaleureusement. J’en ai eu les larmes aux yeux et ils ont tous demandé à leur moniteur, que l’on prenne une photo commune. Un pur moment de bonheur intellectuel, loin, très loin, de la fureur du monde…!
À Benguerir, ce jour là, Himself était aux anges !
Rachid Boufous