Fatima ne prend plus le bus depuis très longtemps . Non seulement elle n'a pas les moyens , mais la dernière fois des jeunes voyous lui ont mis la main aux fesses profitant du fait que le bus était bondé .
Prise de panique et envahie de honte , Fatima s'est précipité comme elle le pouvait pour descendre au premier arrêt.
Elle était troublée , profondément même, car elle ressentait une profonde gêne à avoir éprouver du plaisir à être flattée que des jeunes aient eu des attouchements sur son postérieur.
En marchant, elle essaie de se persuader qu'il n'y a pas eu mort d'homme et pas de viol. Elle n'a pas la conscience tranquille cependant.
Pourtant , le harcèlement sexuel elle connaît très bien puisqu'elle a souvent enduré en silence tout en restant forte sans jamais céder au chantage .
Après près d'une heure de marche , Fatima arrive enfin chez elle et s'aperçoit qu'elle n'a plus son portefeuille . Rien de bien grave vu ce qu'il y a avait dedans , mais elle est en proie au doute car elle ne sait pas si ces jeunes voyous qui l'ont tripoté , ce n'était finalement qu'un vulgaire voleur qui a fait semblant de se frotter à elle pour mieux lui subtiliser son beztam .
Peut-être l'a - t'elle simplement perdu en se précipitant !? . Cela Fatima ne le saura jamais .
Pourtant, elle se souviendra longtemps de sa dernière sortie en bus qui remonte à vingt ans maintenant.
L'essentiel est que Brahim n'en sache rien , ils ont assez de soucis en ce moment et puis Fatima tient à ce que son homme ne soit pas contrarié. Du moins, pas plus que cela .
Dans son minuscule domicile , elle n'arrive jamais à recevoir des invités et le regrette amèrement . Sauf l'été quand des cousins envoient leurs enfants sous prétexte qu'ils n'ont jamais vu la mer . Elle est agacée car sa famille et sa belle famille savent très bien qu'elle n'a même pas de place pour ses propres enfants , mais elle fait l'impossible chaque année pour entourer ces bambins d'affection et d'attentions car elle comprend bien que si la vie ne les a pas gâtés , pourquoi les priver d'un séjour pas loin de la mer.
La grande fierté de Fatima c'est d'avoir su garder Brahim plus de trente ans . L'affaire n'était pas gagnée d'avance car son homme n'a jamais tenu en place . Il a rarement réussi à rester plus de six mois dans une entreprise , voire même dans un parti politique .
Bien sûr , ils ont eu des moments difficiles, des scènes de ménages mémorables et même une séparation de plusieurs semaines où Fatima s'était réfugiée chez sa famille dans la campagne .
Mais lorsque sa voisine , une prostituée à la retraite , l'a averti que Brahim a rechuté vers la boisson , le kif et peut- être même les filles de joie , elle est rentré en courant afin de limiter les dégâts et sauver son ménage.
Brahim est taciturne , dépressif , et très vulnérable face à Fatima qui est forte et imperturbable en toutes circonstances. Elle en est bien consciente et veille au grain sur les siens sans jamais se plaindre!
C'est une femme tous terrains , et son homme et ses enfants elle les couve comme une louve .
Brahim a trés souvent baissé les bras , par dépit ou par désespoir mais par contre , Fatima ne renonce jamais !
Brahim a trés souvent baissé les bras , par dépit ou par désespoir mais par contre , Fatima ne renonce jamais !
Brahim est rentré , il sort un savon parfumé de sa poche et le lui tend, avec un sourire en coin , telle une offrande inespérée .
Fatima est perplexe : " tu aurais pu ramener deux dirhams de riz et deux dirhams de semoule , la semaine prochaine je vais faire du nettoyage chez le Hammam et je pourrais me laver gratuitement . Et si ça se trouve , ce savon tu ne l'as même pas payé . J'espère que tu ne l'as pas volé , aller en prison pour un savon ça vaut pas la peine !
Tu sais , moi je marche des heures durant car je n'ai pas les quatre dirhams pour le bus !"
Brahim ne répond pas et s'allonge en attendant qu'elle change de sujet .
Fatima a un rêve secret , le petit est très bon joueur de foot : tous ceux qui l'ont vu jouer à la plage, dans les terrains vagues ou dans son nouveau club lui ont confirmé qu'il avait un très beau coup de patte .
Encore quelques années et si tout va bien , le petit pourra faire carrière et avoir un train de vie et un standing meilleur que le leur .
En attendant , cela fait deux mois qu'il réclame une nouvelle paire de godasses car les siennes sont usées .
Brahim et Fatima devront se sacrifier pour ne pas étouffer le rêve de leur gosse et le leur .
Mais franchement, en même temps ils ont du mal à comprendre pourquoi son club ne peut pas lui payer des godasses .
Pour Brahim et Fatima , le bus ne semble jamais s'arrêter même s'ils espérent secrètement que la providence les mènera vers une station plus clémente sous un ciel plus hospitalier !
Une presque nouvelle de Hafid FASSI FIHRI