Par Mehdi Michbal / medias24.com
Comment s’explique ce chiffre record et inattendu ? Et à quoi ressemblera l’année 2022 ? Les réponses du Haut-commissaire
au Plan.
C’est la grande surprise de la journée. Alors que Bank Al Maghrib, le gouvernement, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) tablent sur une croissance de 6,8% au maximum pour le Maroc en 2021, un taux qui a déjà fait l’objet de révision à la hausse, le Haut Commissariat au Plan (HCP) est sorti aujourd’hui avec un chiffre totalement inattendu : 7,2%.
Un taux de croissance inédit sur lequel personne ne misait. Pour comprendre comment l’économie marocaine a pu réaliser une telle performance, effaçant ainsi toutes les pertes de la récession de 2020 et gagnant même quelques points par rapport à l’année d’avant Covid (2019), nous avons contacté le Haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, qui a bien voulu nous donner son analyse
des choses.
Une analyse qui touche aussi bien à l’année 2021, à la surprise des 7,2%, mais aussi au retour à la normale que prévoit le HCP dès 2022, avec une croissance projetée de seulement 2,9%. Un retour au rythme historique d’avant Covid que M. Lahlimi déplore, estimant que le pays doit désormais casser ce plafond de verre et passer à un nouveau palier de croissance pour réaliser ses
grandes ambitions en matière de développement. Par quels moyens ? Parole à l’intéressé.
Ahmed Lahlimi. C’est l’industrie qui a joué un grand rôle dans cette accélération de la croissance.Le secondaire a bien marché durant l’année, surtout au cours du deuxième semestre. Le PIB non agricole a d’ailleurs réalisé une croissance de 5,6%.
L’année a été également exceptionnelle sur le plan agricole, avec une récolte céréalière record et une bonne tenue des autres cultures. Ce qui a permis d’augmenter la valeur ajoutée primaire de 17,9%. Cette agriculture florissante a permis, par effet de transmission, de revigorer l’industrie agroalimentaire.
Il faut dire aussi qu’il y a eu, surtout au second semestre, un facteur psychologique qui a beaucoup joué. En économie, tout se joue dans la tête. Avec la levée des restrictions, l’avancée rapide de la campagne de vaccination, on a assisté au retour de l’optimisme au sein du pays. C’est un facteur économique déterminant. C’est psychologique, mais c’est aussi physique.
Quand vous avez été confiné, ou limité dans votre liberté de bouger, de sortir, et que vous êtes libéré de toutes ces restrictions, cela vous revigore. C’est ce qui s’est passé au second semestre, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages.
Je voudrais signaler également que la gestion budgétaire a été très intelligente. Avec toutes les contraintes qu’il y a eues, on a fait un peu reculer le déficit tout en apportant aux entreprises les aides qu’il fallait et sans toucher aux stimulus mis en place. Le tout en relançant la réforme des établissements publics… On a été, en somme, dans une bonne ambiance de reprise.
– Avec ces 7,2% de croissance, on peut dire que le Maroc a effacé toutes les pertes de l’année 2020…
– Exactement. Maintenant, on va vivre le retour normal des choses. On a effacé l’effet de la récession de 2020 et on va reprendre le régime bas de croissance d’avant Covid, avec une croissance projetée de 2,9%.
Ce régime bas, on le retrouve aussi bien dans l’agriculture, dont la valeur ajoutée va baisser de 1,6%, que dans le non-agricole, qui connaîtra une décélération à 3,5% contre 5,6% en 2021. Ce sont les tendances historiques qui reprennent. Dans les circonstances actuelles, où les incertitudes liées à la pandémie sont toujours là, c’est déjà une bonne chose. Mais il va falloir briser ce régime bas du pays…
À 2,9% de croissance, vous convenez bien que l’on ne peut réaliser les grandes ambitions du programme gouvernemental, ni celles du nouveau modèle de développement ?
– En effet. Il est impossible d’atteindre les ambitions affichées avec ce rythme de croissance.
– Comment passer à un nouveau palier de croissance et casser ce plafond de verre ?
– Le problème numéro 1 du Maroc, c’est sa faible productivité. Depuis 2010, la productivité est en baisse continue. On est passé d’une croissance potentielle de 4,5% à une croissance potentielle de 3%. Et on est resté autour.
Cette faible productivité est d’abord due à la faiblesse de l’emploi, un facteur qui contribue en principe entre 30% et 40% à la croissance.
Cette problématique de l’emploi, il faut qu’elle puisse être réglée non pas en distribuant des revenus, mais en distribuant du travail.
L’emploi ne doit pas être une aubaine. Le revenu doit être le fruit d’un travail, et d’un travail productif. Il faut que ce travail soit recherché et assumé.
Vous faites allusion au programme Awrash qui veut créer 250.000 emplois temporaires ciblant les catégories vulnérables, non qualifiées… ?
– Avec notre grande sphère informelle, je comprends que dans une période post-Covid, il y ait beaucoup de force de travail non qualifiée qui cherche un petit peu de moyen de subsistance. Il faut bien sûr leur apporter quelque chose.
Mais pour moi, la première des choses à faire si on veut régler les problèmes structurels de l’emploi et de la productivité, c’est investir massivement dans la formation et dans certains projets productifs par la mobilisation de la main d’œuvre et pas du ciment.
Au même moment, il faut mobiliser les ressources pour pousser les entreprises à grandir, à améliorer leur productivité, quitte à ce que l’État prenne des participations dans certains cas pour amorcer une nouvelle énergie dans le tissu productif.
Il faut également pousser nos entreprises familiales, qui sont nombreuses, à ouvrir leur capital, às’ouvrir sur de nouvelles idées, de nouvelles compétences. Cela peut se faire par certains avantages que peut accorder l’État, mais aussi en facilitant le système du MBO (management buy out) pour donner un nouveau souffle à ces entreprises.
Il faut que les entreprises investissent dans la technologie. Je suis heureux d’entendre parler de Morocco Tech. Mais la réalité, c’est que nos entreprises sont très en retard au niveau technologique. Moins de 10% de nos entreprises utilisent l’informatique pour autre chose que le traitement de texte. Les investissements, c’est là qu’il faut les faire…
Mais quand on demande aux entreprises pourquoi elles n’investissent pas dans ce sens, elles nous disent que c’est trop cher, que l’investissement est trop élevé et que les cadres coûtent cher. L’État doit peut-être réfléchir à un mécanisme pour aider les entreprises à se numériser, car c’est là où le bât blesse.
Au niveau du HCP, nous avons réalisé un système d’enquête numérique pour faciliter la tâche aux entreprises, éviter les enquêtes papiers et les contacts avec les enquêteurs. Le résultat a été décevant : seulement 20% des entreprises ont pu nous accompagner dans cette ouverture. Cela montre le grand retard que l’on a sur ce plan.
Cela concerne aussi notre administration. Nous avons numérisé le HCP, mais nous avons des problèmes, car toutes les plateformes d’échange que nous avons mises en place pour échanger avec l’administration, au-delà de trois ou quatre institutions, ne fonctionnent pas.
C’est ce cadre général de la production qui n’est pas très en avance et ne nous permet pas, pour l’instant, de dépasser ce niveau de croissance de 3%.
Cela veut dire aussi que l’économie marocaine a de la marge de progression…
– On a de la marge. Maintenant, il faut pouvoir l’analyser et activer les leviers qu’il faut pour l’exploiter. Les PME sont facilement orientables vers ce système parce qu’elles ont des jeunes qui peuvent très rapidement saisir l’intérêt à utiliser leur PC pour autre chose que pour écrire ou faire un tableur Excel.
Augmenter la productivité du pays, c’est donc pour vous booster l’emploi et investir dans les technologies ?
– C’est surtout l’emploi. La technologie entre dans le facteur « stock de capital », qui pose également problème. On a beaucoup investi au Maroc. Jusqu’en 2010, le stock de capital progressait à un taux très important. On investit tous les ans 30% de notre PIB, un taux parmi les plus élevés dans le monde, mais le rendement de cet investissement est très faible.
Pourquoi est- il faible ? Quand on a un projet, il met trop de temps à se réaliser. Sans compter toutes les fuites qu’il peut y avoir dans le capital lui-même. L’administration lente, les procédures lourdes… Tout cela joue dans le sens d’un rendement de l’investissement.
L’accumulation du capital ne se fait pas au rythme qu’il faut. C’est un autre facteur qui explique notre faible croissance.
Quant à l’emploi, nous avons un taux d’activité fort, mais un taux d’emploi faible. Et le taux d’activité lui-même baisse.
La productivité générale des facteurs, cette technologie très peu avancée, la qualité de la main d’œuvre se reflètent, si l’on veut être concret, dans nos produits, dont la composante technologique est très faible et qui fait que notre compétitivité est ce qu’elle est. Et qu’elle risque de se dégrader encore avec l’inflation qui nous menace.
Aujourd’hui, nous avons encore un taux d’inflation faible (1,8%, ndlr, chiffre HCP). Mais il va augmenter au regard de ce qui se passe dans le monde. Les entreprises ont besoin d’investir. Quand on investit beaucoup, les coûts augmentent, et si les coûts augmentent, les entreprises répercutent cela sur le prix.
Notre agriculture nous donne un peu d’espoir une année, et nous fait faux bond la deuxième année. Nous n’avons pas encore d’indépendance alimentaire. Les prix des produits alimentaires augmentent et continueront d’augmenter. Le coût de l’énergie augmente aussi.
Certains experts affirment que l’on arrivera, au cours des deux années à venir, à plus de 150 dollars le baril.
À côté de cela, nos partenaires européens ont investi à tour de bras avec de l’argent facile. Ils sont en train de revoir complètement l’orientation de leur produit en y intégrant plus de technologie, en décarbonant et en nous imposant de nouvelles taxes sur nos produits pour nous pousser à décarboner notre production également.
Or, décarboner coûte cher, la technologie coûte cher. Tout cela représente des investissements énormes dont le coût sera répercuté, sur une longue période, sur les prix des produits. Et le Maroc importe 40% de ses besoins en consommation.
On aura donc de l’inflation importée. Et si nous rencontrons des difficultés sur le plan agricole, notre inflation augmentera encore plus.
Vous dites dans votre rapport, en effet, que le pouvoir d’achat des ménages va se dégrader dès 2022…
– En effet. On va tomber à un rythme de consommation des ménages de 1,1% alors qu’on était à une croissance de 4% en moyenne. Ce n’est pas facile.
Je pense qu’il faut que tous les Marocains le sachent. Le gouvernement doit expliquer le contexte aux citoyens et prendre les devants pour y faire face. Nous avons un gouvernement qui a pratiquement une hégémonie sur le parlement et sur les moyens d’expression politique. Sa responsabilité est redoublée. Il faut qu’il dise tout aux citoyens, pas pour les décourager, mais pour qu’ils aient conscience des réalités du monde.
Mais vous avez toujours milité pour une inflation plus élevée. Maintenant qu’elle est là, vous criez au danger…
– Oui bien sûr. J’ai toujours dit qu’il nous fallait plus d’inflation, mais je précisais les choses en disant qu’il nous faut de la bonne inflation, et non pas ce type d’inflation que l’on vit aujourd’hui. Pour des entreprises qui investissent, l’inflation est un facteur d’encouragement.
Aujourd’hui, les calculs de rentabilité, avec les prix qu’il y a, n’encouragent pas.
L’inflation favorise l’activité. Il ne faut pas la brimer, quand il y a le désir de faire, par des facteurs purement monétaires. Si nous pouvions aller dans le sens d’une bonne inflation, c’est-à-dire des prix qui augmentent avec des salaires qui augmentent, on serait dans un véritable processus d’inflation. Mais on n’est pas dedans là.
On est dans un processus d’augmentation des prix. Alors que l’inflation, c’est le processus où le coût de la vie augmente, tirant avec lui les revenus des agents économiques. C’est cela une bonne inflation, qui est le fait d’une dynamique économique. Alors que là, on a une inflation des choses qui ne bougent pas : les prix alimentaires, l’énergie… C’est l’inflation de la petite économie, de
la trappe de l’économie des pays retardataires.
Nous avons de belles entreprises, de grandes compétences, des banquiers excellents… Mais il nous faut aussi, à côté, des technocrates et des têtes bien faites, de gens qui sont en rapport avec la population, qui savent parler le langage du peuple, qui ont leur réseau dans toutes les couches de la population…
au Plan.
C’est la grande surprise de la journée. Alors que Bank Al Maghrib, le gouvernement, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) tablent sur une croissance de 6,8% au maximum pour le Maroc en 2021, un taux qui a déjà fait l’objet de révision à la hausse, le Haut Commissariat au Plan (HCP) est sorti aujourd’hui avec un chiffre totalement inattendu : 7,2%.
Un taux de croissance inédit sur lequel personne ne misait. Pour comprendre comment l’économie marocaine a pu réaliser une telle performance, effaçant ainsi toutes les pertes de la récession de 2020 et gagnant même quelques points par rapport à l’année d’avant Covid (2019), nous avons contacté le Haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, qui a bien voulu nous donner son analyse
des choses.
Une analyse qui touche aussi bien à l’année 2021, à la surprise des 7,2%, mais aussi au retour à la normale que prévoit le HCP dès 2022, avec une croissance projetée de seulement 2,9%. Un retour au rythme historique d’avant Covid que M. Lahlimi déplore, estimant que le pays doit désormais casser ce plafond de verre et passer à un nouveau palier de croissance pour réaliser ses
grandes ambitions en matière de développement. Par quels moyens ? Parole à l’intéressé.
Médias24. Toutes les prévisions émises jusque-là sur la croissance en 2021, y compris les vôtres, tablaient sur un taux de 6 à 6,8% au maximum. Vous venez de sortir avec un rapport selon lequel le Maroc a, en réalité, réalisé une croissance de 7,2%, un chiffre exceptionnel, inédit. Comment expliquez-vous cette performance inattendue ?
Ahmed Lahlimi. C’est l’industrie qui a joué un grand rôle dans cette accélération de la croissance.Le secondaire a bien marché durant l’année, surtout au cours du deuxième semestre. Le PIB non agricole a d’ailleurs réalisé une croissance de 5,6%.
L’année a été également exceptionnelle sur le plan agricole, avec une récolte céréalière record et une bonne tenue des autres cultures. Ce qui a permis d’augmenter la valeur ajoutée primaire de 17,9%. Cette agriculture florissante a permis, par effet de transmission, de revigorer l’industrie agroalimentaire.
Il faut dire aussi qu’il y a eu, surtout au second semestre, un facteur psychologique qui a beaucoup joué. En économie, tout se joue dans la tête. Avec la levée des restrictions, l’avancée rapide de la campagne de vaccination, on a assisté au retour de l’optimisme au sein du pays. C’est un facteur économique déterminant. C’est psychologique, mais c’est aussi physique.
Quand vous avez été confiné, ou limité dans votre liberté de bouger, de sortir, et que vous êtes libéré de toutes ces restrictions, cela vous revigore. C’est ce qui s’est passé au second semestre, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages.
Je voudrais signaler également que la gestion budgétaire a été très intelligente. Avec toutes les contraintes qu’il y a eues, on a fait un peu reculer le déficit tout en apportant aux entreprises les aides qu’il fallait et sans toucher aux stimulus mis en place. Le tout en relançant la réforme des établissements publics… On a été, en somme, dans une bonne ambiance de reprise.
– Avec ces 7,2% de croissance, on peut dire que le Maroc a effacé toutes les pertes de l’année 2020…
– Exactement. Maintenant, on va vivre le retour normal des choses. On a effacé l’effet de la récession de 2020 et on va reprendre le régime bas de croissance d’avant Covid, avec une croissance projetée de 2,9%.
Ce régime bas, on le retrouve aussi bien dans l’agriculture, dont la valeur ajoutée va baisser de 1,6%, que dans le non-agricole, qui connaîtra une décélération à 3,5% contre 5,6% en 2021. Ce sont les tendances historiques qui reprennent. Dans les circonstances actuelles, où les incertitudes liées à la pandémie sont toujours là, c’est déjà une bonne chose. Mais il va falloir briser ce régime bas du pays…
À 2,9% de croissance, vous convenez bien que l’on ne peut réaliser les grandes ambitions du programme gouvernemental, ni celles du nouveau modèle de développement ?
– En effet. Il est impossible d’atteindre les ambitions affichées avec ce rythme de croissance.
– Comment passer à un nouveau palier de croissance et casser ce plafond de verre ?
– Le problème numéro 1 du Maroc, c’est sa faible productivité. Depuis 2010, la productivité est en baisse continue. On est passé d’une croissance potentielle de 4,5% à une croissance potentielle de 3%. Et on est resté autour.
Cette faible productivité est d’abord due à la faiblesse de l’emploi, un facteur qui contribue en principe entre 30% et 40% à la croissance.
Cette problématique de l’emploi, il faut qu’elle puisse être réglée non pas en distribuant des revenus, mais en distribuant du travail.
L’emploi ne doit pas être une aubaine. Le revenu doit être le fruit d’un travail, et d’un travail productif. Il faut que ce travail soit recherché et assumé.
Vous faites allusion au programme Awrash qui veut créer 250.000 emplois temporaires ciblant les catégories vulnérables, non qualifiées… ?
– Avec notre grande sphère informelle, je comprends que dans une période post-Covid, il y ait beaucoup de force de travail non qualifiée qui cherche un petit peu de moyen de subsistance. Il faut bien sûr leur apporter quelque chose.
Mais pour moi, la première des choses à faire si on veut régler les problèmes structurels de l’emploi et de la productivité, c’est investir massivement dans la formation et dans certains projets productifs par la mobilisation de la main d’œuvre et pas du ciment.
Au même moment, il faut mobiliser les ressources pour pousser les entreprises à grandir, à améliorer leur productivité, quitte à ce que l’État prenne des participations dans certains cas pour amorcer une nouvelle énergie dans le tissu productif.
Il faut également pousser nos entreprises familiales, qui sont nombreuses, à ouvrir leur capital, às’ouvrir sur de nouvelles idées, de nouvelles compétences. Cela peut se faire par certains avantages que peut accorder l’État, mais aussi en facilitant le système du MBO (management buy out) pour donner un nouveau souffle à ces entreprises.
Il faut que les entreprises investissent dans la technologie. Je suis heureux d’entendre parler de Morocco Tech. Mais la réalité, c’est que nos entreprises sont très en retard au niveau technologique. Moins de 10% de nos entreprises utilisent l’informatique pour autre chose que le traitement de texte. Les investissements, c’est là qu’il faut les faire…
Mais quand on demande aux entreprises pourquoi elles n’investissent pas dans ce sens, elles nous disent que c’est trop cher, que l’investissement est trop élevé et que les cadres coûtent cher. L’État doit peut-être réfléchir à un mécanisme pour aider les entreprises à se numériser, car c’est là où le bât blesse.
Au niveau du HCP, nous avons réalisé un système d’enquête numérique pour faciliter la tâche aux entreprises, éviter les enquêtes papiers et les contacts avec les enquêteurs. Le résultat a été décevant : seulement 20% des entreprises ont pu nous accompagner dans cette ouverture. Cela montre le grand retard que l’on a sur ce plan.
Cela concerne aussi notre administration. Nous avons numérisé le HCP, mais nous avons des problèmes, car toutes les plateformes d’échange que nous avons mises en place pour échanger avec l’administration, au-delà de trois ou quatre institutions, ne fonctionnent pas.
C’est ce cadre général de la production qui n’est pas très en avance et ne nous permet pas, pour l’instant, de dépasser ce niveau de croissance de 3%.
Cela veut dire aussi que l’économie marocaine a de la marge de progression…
– On a de la marge. Maintenant, il faut pouvoir l’analyser et activer les leviers qu’il faut pour l’exploiter. Les PME sont facilement orientables vers ce système parce qu’elles ont des jeunes qui peuvent très rapidement saisir l’intérêt à utiliser leur PC pour autre chose que pour écrire ou faire un tableur Excel.
Augmenter la productivité du pays, c’est donc pour vous booster l’emploi et investir dans les technologies ?
– C’est surtout l’emploi. La technologie entre dans le facteur « stock de capital », qui pose également problème. On a beaucoup investi au Maroc. Jusqu’en 2010, le stock de capital progressait à un taux très important. On investit tous les ans 30% de notre PIB, un taux parmi les plus élevés dans le monde, mais le rendement de cet investissement est très faible.
Pourquoi est- il faible ? Quand on a un projet, il met trop de temps à se réaliser. Sans compter toutes les fuites qu’il peut y avoir dans le capital lui-même. L’administration lente, les procédures lourdes… Tout cela joue dans le sens d’un rendement de l’investissement.
L’accumulation du capital ne se fait pas au rythme qu’il faut. C’est un autre facteur qui explique notre faible croissance.
Quant à l’emploi, nous avons un taux d’activité fort, mais un taux d’emploi faible. Et le taux d’activité lui-même baisse.
La productivité générale des facteurs, cette technologie très peu avancée, la qualité de la main d’œuvre se reflètent, si l’on veut être concret, dans nos produits, dont la composante technologique est très faible et qui fait que notre compétitivité est ce qu’elle est. Et qu’elle risque de se dégrader encore avec l’inflation qui nous menace.
Aujourd’hui, nous avons encore un taux d’inflation faible (1,8%, ndlr, chiffre HCP). Mais il va augmenter au regard de ce qui se passe dans le monde. Les entreprises ont besoin d’investir. Quand on investit beaucoup, les coûts augmentent, et si les coûts augmentent, les entreprises répercutent cela sur le prix.
Notre agriculture nous donne un peu d’espoir une année, et nous fait faux bond la deuxième année. Nous n’avons pas encore d’indépendance alimentaire. Les prix des produits alimentaires augmentent et continueront d’augmenter. Le coût de l’énergie augmente aussi.
Certains experts affirment que l’on arrivera, au cours des deux années à venir, à plus de 150 dollars le baril.
À côté de cela, nos partenaires européens ont investi à tour de bras avec de l’argent facile. Ils sont en train de revoir complètement l’orientation de leur produit en y intégrant plus de technologie, en décarbonant et en nous imposant de nouvelles taxes sur nos produits pour nous pousser à décarboner notre production également.
Or, décarboner coûte cher, la technologie coûte cher. Tout cela représente des investissements énormes dont le coût sera répercuté, sur une longue période, sur les prix des produits. Et le Maroc importe 40% de ses besoins en consommation.
On aura donc de l’inflation importée. Et si nous rencontrons des difficultés sur le plan agricole, notre inflation augmentera encore plus.
Vous dites dans votre rapport, en effet, que le pouvoir d’achat des ménages va se dégrader dès 2022…
– En effet. On va tomber à un rythme de consommation des ménages de 1,1% alors qu’on était à une croissance de 4% en moyenne. Ce n’est pas facile.
Je pense qu’il faut que tous les Marocains le sachent. Le gouvernement doit expliquer le contexte aux citoyens et prendre les devants pour y faire face. Nous avons un gouvernement qui a pratiquement une hégémonie sur le parlement et sur les moyens d’expression politique. Sa responsabilité est redoublée. Il faut qu’il dise tout aux citoyens, pas pour les décourager, mais pour qu’ils aient conscience des réalités du monde.
Mais vous avez toujours milité pour une inflation plus élevée. Maintenant qu’elle est là, vous criez au danger…
– Oui bien sûr. J’ai toujours dit qu’il nous fallait plus d’inflation, mais je précisais les choses en disant qu’il nous faut de la bonne inflation, et non pas ce type d’inflation que l’on vit aujourd’hui. Pour des entreprises qui investissent, l’inflation est un facteur d’encouragement.
Aujourd’hui, les calculs de rentabilité, avec les prix qu’il y a, n’encouragent pas.
L’inflation favorise l’activité. Il ne faut pas la brimer, quand il y a le désir de faire, par des facteurs purement monétaires. Si nous pouvions aller dans le sens d’une bonne inflation, c’est-à-dire des prix qui augmentent avec des salaires qui augmentent, on serait dans un véritable processus d’inflation. Mais on n’est pas dedans là.
On est dans un processus d’augmentation des prix. Alors que l’inflation, c’est le processus où le coût de la vie augmente, tirant avec lui les revenus des agents économiques. C’est cela une bonne inflation, qui est le fait d’une dynamique économique. Alors que là, on a une inflation des choses qui ne bougent pas : les prix alimentaires, l’énergie… C’est l’inflation de la petite économie, de
la trappe de l’économie des pays retardataires.
Nous avons de belles entreprises, de grandes compétences, des banquiers excellents… Mais il nous faut aussi, à côté, des technocrates et des têtes bien faites, de gens qui sont en rapport avec la population, qui savent parler le langage du peuple, qui ont leur réseau dans toutes les couches de la population…