Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit (UMV Rabat) Politologue
L'observateur attentif ne peut, pour commencer, que se poser cette première interrogation : n'est-ce pas la première fois dans la pratique institutionnelle qu'un chef de l'exécutif en responsabilité se risque à parler d'un réaménagement de son équipe ? En droit, sur le papier pourrait-on dire, il est fondé à proposer tel ou tel changement de son cabinet : cette faculté lui est donnée par les dispositions de l'article 47 (a1.2) de la Constitution. Si le pouvoir de nomination des membres du gouvernement est entre les mains de SM le Roi - une attribution personnelle et exclusive -, c'est sur proposition du Chef du gouvernement que le Souverain nomme ces derniers.
Voilà donc aujourd'hui le rendu de ce réaménagement. Quelles observations nourrit-il ? La première, c'est évidemment la continuité de la formule politique qui a présidé à la mise en place originaire de ce cabinet : les trois partis continuent ainsi à diriger cet exécutif. Aucune «ouverture» n'a été faite en direction de telle ou telle formation dans l'opposition, notamment du côté de l'USFP de Driss Lachgar ou du MP de Mohamed Ouzzine, deux partis inconsolables depuis leur relégation dans l’opposition depuis trois ans. C'est dire que les trois composantes de la majorité continueront à être les seules à constituer la majorité d'ici la fin de cette législature en septembre- octobre 2026.
Partants et entrants
Cela dit, quels sont les partants et les nouveaux arrivants ? Le responsable de l'Education nationale, Chakib Benmoussa, a, lui, été remercié voici quelques jours à peine en succédant à Ahmed Lahlimi Alami, à la tête du HCP. A-t-il tellement démérité ? Comment expliquer son départ alors qu'il était engagé pleinement dans une grande réforme du système éducatif. Comprenne qui pourra ! De même, le départ du titulaire du département de la Santé, Khalid Aït Taleb, en fonction dans le cadre d'un remaniement ministériel, le 9 octobre 2019, peine quelque peu à trouver officiellement des arguments conséquents. Dans cette même ligne, que dire du même sort de son collègue de l'Agriculture, Mohamed Sadiki, ancien secrétaire général de ce département de Aziz Akhannouch, qui l'a adoubé ensuite pour son entrée dans le gouvernement formé en avril 2021 ? Reste le cas de Abdelallatif Miraoui (enseignement supérieur), qui avait pourtant déclaré imprudemment en avril dernier à Marrakech qu'il restait en fonction. Ou encore celui de Mohamed Abdeljalil (Transport), qui souhaitait un temps être déchargé, ou de Mohcine Jazouli (Investissement, Convergence et Évaluation des politiques publiques) en charge de grands dossiers ?
Filière de recrutement
Pour ce qui est des entrants, bien des questionnements se posent. Quelle a été la filière qui a fonctionné ? Au RNI, c'est Aziz Akhannouch qui a la haute main. Et, de nouveau, il vient de le montrer en nommant des profils de son cercle relationnel ou plutôt d'affaires, en puisant notamment dans les groupes Akwa et même Aksal de son épouse. Ce n'est pas le RNI qui est ainsi primé, mais des proches du président du RNI. Le cas le plus significatif, sinon le plus caricatural de cette connexion, est sans doute celui du nouveau ministre de l'Education nationale, Mohamed Saâd Berrada, homme d'affaires spécialisé entre autres dans la confiserie, et que les réseaux sociaux ont d'ores et déjà baptisé le «Roi de la sucette».. Comment fera-t-il pour maîtriser un grand "mamouth" comme ce département ? Pourra-t-il réussir à renouer le dialogue social ? Et comment fera-t-il pour évoluer en terre inconnue pour poursuivre les réformes en cours et celles à venir ? Du côté du PI, le principe qui a prévalu est désormais celui de la qualité de membre du nouveau comité exécutif pour être éligible à un ministère. C'est le cas aujourd’hui donc, alors que dans le cabinet d'octobre 2021, aucun membre de cette instance n'avait été retenu, ajoutant bien des complications à un parti sortant de la séquence Hamid Chabat... Le PAM, lui, a maintenu Abdellatif Ouahbi au département de la Justice. Pourtant, tant de facteurs cumulatifs l'avaient fortement fragilisé : sorties médiatiques incontrôlées, sa non-candidature pour un second mandat par suite d'un véto des instances de son parti, la mobilisation des professions judiciaires (avocats, greffiers huissiers) contre des réformes jugées inacceptables, etc.
Il faut le relever tout net : ce cabinet avait certainement besoin d'un rebond. Il accusait de l'essoufflement et paraissait patiner au moins depuis un bon semestre. Un climat accentué par l'hypothèse d'une restructuration sans cesse attendue et qui ne faisait que s'étirer. Sa communication pâtissait d'un déficit récurrent, d'autant que les maladresses du chef de l'exécutif, au Parlement et ailleurs, ne plaidaient pas en sa faveur : tant s'en faut. Des conflits d'intérêt persistants pesaient dans ce sens. La lutte contre la corruption marquait le pas, à telle enseigne que le Maroc a figuré en 97e position dans le classement de 2023 publié par Transparency. Un recul de trois places par rapport à 2022 et de 24 en cinq ans. La concurrence est par ailleurs sujette à caution par suite de la place hégémonique de grands groupes et de leurs réseaux dans certains centres décisionnaires.
Gouvernance à revoir
Au fond, ce gouvernement arrivera-t-il dans les deux ans à venir à crédibiliser la parole publique; à porter et à incarner des réformes en cours ou à venir ? Il doit en faire la preuve en 2025 qui est la seule année pleine qui lui reste, l'année 2026 étant celle de la préparation des élections de la nouvelle Chambre des Représentants dès le mois de mars de cet agenda.
Les perspectives de croissance sont à revoir à la baisse par rapport aux prévisions de la Loi de Finances pour 2025 et 2026. La soutenabilité des finances publiques reste problématique avec un endettement de 71% en 2025 par rapport à un taux de 68% en 2024 par rapport au PIB. La forte chute des IDE en 2023, avec 11 MMDH, de l'ordre de 51% par rapport aux 23 MMDH enregistrés en 2022, témoigne de la modeste attractivité et de la nécessité de mesures relatives au climat d'affaires. La crise sociale, avec 13,7% de chômeurs, est également l'illustration de ce palier.
L'emploi ne se décrète sans doute pas, mais il commande une forte inflexion des politiques publiques. La réforme fiscale demeure parcellaire; la situation du secteur informel est tout aussi préoccupante, pénalisant les entreprises formelles soumises, elle, à la législation fiscale. Ce remaniement n'est pas un acte politique éligible à un nouvel élan, mais "technique" avec les facteurs qui pèsent sur lui depuis trois ans. Une forme de gouvernance à revoir pour faire face aux contraintes qui sont les siennes...