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Par Mustapha Sehimi
Àn’en pas douter la question du corridor de Philadelphie est l’un des obstacles à la recherche d’un cessez-le-feu à Gaza. Pourquoi? Parce que le Hamas fait du retrait des forces israéliennes de cette bande de terre de 14 km de longueur, entre Gaza et l’Égypte, une condition non négociable. Sur la base du Traité de paix de 1979 entre Israël et l’Égypte, c’est l’État hébreu qui en a fait une zone tampon, contrôlée et patrouillée par ses forces militaires.
Tel-Aviv entendait ainsi empêcher la circulation de matériel (armes, munitions, etc.) et de personnes. Après les Accords d’Oslo II, en date du 28 septembre 1995, Israël a conservé ce corridor, l’Égypte étant pour sa part autorisée à y déployer 750 gardes-frontières. L’Autorité palestinienne, elle, avait le contrôle de cette zone jusqu’en 2007, date de la prise de pouvoir dans cette zone par le Hamas.
Les termes de ce statut ont profondément changé après l’épisode du 7 octobre 2023. Israël reprend alors le contrôle deux mois plus tard, le 11 décembre 2023. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou déclare que son pays «contrôlera et imposera une zone tampon à l’intérieur de la bande de Gaza». Une décision jugée «pas nécessaire du point de vue opérationnel» par le chef du Mossad, David Barnea. Le 7 mai 2024, cette politique du cabinet israélien se traduit par deux mesures, l’une relative au contrôle du point de passage de Rafah vers l’Égypte, et l’autre au stationnement de forces militaires. C’est là une violation des accords de Camp David, signés le 17 septembre 1978 par le président égyptien, Anouar El-Sadate, et le Premier ministre israélien, Menahem Begin, sous la médiation du président américain, Jimmy Carter. La situation est aujourd’hui bloquée.
Il faut rappeler que le corridor de Philadelphie a longtemps été un point névralgique pour la contrebande; celle-ci englobant en particulier le passage d’armes, de marchandises et d’autres biens via des tunnels souterrains. Depuis le retrait israélien en 2005, des centaines de tunnels ont été creusés sous cette zone, facilitant la contrebande d’armes et de matériel militaire vers le Hamas et d’autres groupes armés opérant à Gaza. Ils sont également utilisés pour le passage de biens de consommation courante (carburant, médicaments, nourriture, matériaux de construction, etc.).
Une situation liée au blocus israélien, qui limite de manière drastique l’importation de ces mêmes biens à Gaza. Une économie parallèle, informelle, a été ainsi construite par le Hamas sur la base des activités de contrebande, générant des revenus et des flux financiers substantiels. L’Égypte a de son côté démantelé plus de 2.000 tunnels entre 2011 et 2015. Mais malgré tout cela, la contrebande reste un enjeu majeur de sécurité pour Israël, l’Égypte et Gaza: elle alimente à la fois l’économie locale et les conflits armés dans la région.
Cette proposition recoupe également le cadre de discussions plus larges sur le déploiement de forces de maintien de la paix dans les territoires palestiniens occupés. Lors du 33ème sommet arabe ordinaire de Bahreïn, le 16 mai 2023, les dirigeants avaient appelé à l’envoi de «forces de protection et de maintien de la paix des Nations unies» dans les territoires occupés. Le statu quo, avec ses professions de foi, les postures, les gesticulations et la surenchère de certains, n’est pas tenable. Ni tolérable.
Que faire pour sécuriser le corridor de Philadelphie? L’idée qui avance par suite de l’impuissance de la communauté internationale est celle d’une coalition de forces arabes. Abou Dhabi a récemment proposé au gouvernement égyptien cette initiative visant à établir une présence militaire arabe dans la région afin d’assurer la stabilité et la sécurité. Elle serait pratiquement un tournant dans la gestion des frontières entre l′Égypte et Gaza, en particulier dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Le plan des Émirats arabes unis inclut la participation de plusieurs pays arabes, notamment le Maroc, la Mauritanie et Djibouti.
Ces trois pays constitueraient le noyau d’une coalition militaire pouvant jouer un rôle central dans l’opérationnalisation de cette initiative. Des discussions auraient été engagées avec les autorités de ces pays. Il s’agit là d’une nouvelle approche de la gestion des tensions régionales: l’accent serait alors mis sur une réponse collective des États arabes, plutôt que sur une intervention internationale plus large, mais incertaine.
Dès le début de la guerre à Gaza, après le 7 octobre 2023, le Maroc a été souvent mentionné dans les cercles diplomatiques internationaux. Washington et Tel-Aviv avancent que Rabat pourrait jouer un rôle clé dans une future force de maintien de la paix en Palestine. Sur quels paramètres se fonde cette proposition? Sur le leadership personnel de SM le Roi, président du Comité Al-Qods; sur la crédibilité du Royaume et son influence régionale et internationale; enfin, sur la mobilisation de la diplomatie dans l’intermédiation historique de ce conflit. Le rôle du Royaume est envisagé ainsi au-delà du simple maintien de la paix. Il pourrait également contribuer potentiellement à des initiatives plus globales de stabilisation et de reconstruction.
L’idée de déployer une force arabe n’est pas nouvelle. Elle avait été proposée, voici près d’un an, en octobre 2023, par Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien (1999-2001), notamment avec des pays comme l’Égypte, le Maroc et les Émirats arabes unis.
Le peuple palestinien vit une tragédie et la communauté internationale regarde ailleurs. Comme l’a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, à la 162ème session ministérielle de la Ligue arabe, tenue au Caire, le mardi 10 septembre, un plan marocain est toujours à l’ordre du jour: soutien au cessez-le-feu, cessation des hostilités, sortie de la logique de gestion de la crise, des négociations de réactivation du processus de paix et mise en place d’un processus inscrit dans un horizon politique.