Par Aziz Boucetta
Prolégomènes historiques. Le passé revêt plusieurs phases dans les relations liant le Maroc et la France. D’abord les lointains siècles passés (17ème - 19ème), durant lesquels les deux empires conversaient et commerçaient, se jaugeaient et s’affrontaient, d’égal et égal ; puis arrive le siècle de la domination et de la colonisation, le 19ème, quand la France avait œuvré à grignoter le pouvoir du sultan et à rogner les recettes de la cour royale (protections, gages sur les douanes, indemnités et réparations exorbitantes…), arrivant à 1906 et la conférence d’Algesiras, puis 1912, avec le traité du protectorat français sur le Maroc.
En 1956, le Maroc recouvre son indépendance, accepte l’inédit et problématique principe de « la dépendance dans l’interdépendance », mais en se trouvant plus tard, ‘à l’insu de son plein gré’, dépecé de grandes, très grandes, trop grandes parties de son territoire, au sud et à l’est du Maroc. Le royaume s’est refusé dix années durant à reconnaître l’indépendance de la Mauritanie et près de 70 ans après son indépendance (dans l’interdépendance, donc), il n’a toujours pas la reconnaissance internationale d’un territoire qui est pourtant le sien, le Sahara marocain.
Quand le Maroc avait enfin décidé en 1975 d’œuvrer pour la récupération de ses provinces sahariennes, la France l’avait suivi, aidé, supporté, financé, armé… Il faut le reconnaître et cela a duré une bonne moitié de siècle (1975-2015), jusqu’à ce que le pouvoir à Paris commence à muter, et que de jeunes responsables peu au fait du très prégnant fait historique prennent les commandes. Cela avait coïncidé avec une prise de conscience du Maroc sur les mutations internationales et sur les évolutions des rapports de force entre puissances planétaires, puissances régionales et impuissance européenne. Les discours d’Abidjan, (2014) et de Riyad (2016) donnaient alors le ‘la’ de la nouvelle doctrine marocaine.
Décembre 2020. Donald Trump, sur le départ, signe l’accord tripartite reconnaissant la marocanité des provinces sahariennes, et il est suivi quelques temps après par les Allemands, puis les Espagnols puis les Israéliens, pour ne parler que de la sphère occidentale, et chacun de ces pays à sa manière. Dès lors, cela a ouvert sur deux conséquences : un Maroc plus sûr, plus confiant, volontiers offensif et à l’occasion agressif, et une France qui lit mal les évolutions du présent, ignore le passé et dédaigne, voire insulte l’avenir.
Puis, macronisme désinvolte et fermeté marocaine aidant, des crises ont éclaté, en cascades, orchestrées, dirigées et menées par le pouvoir central parisien, relayées par un journalisme qualifié de meute, ânonnant ce qu’on lui a dicté sans comprendre ni volonté d’apprendre. Rares sont, en France, ceux qui ont compris : l’irritation marocaine n’avait aucun lien avec le rapprochement franco-algérien, chaque pays étant libre d’agir comme il l’entend, selon la conception marocaine.
L’agacement du Maroc émanait plutôt de l’insouciance officielle française, d’un comportement condescendant et irrespectueux, d’une arrogance des nouveaux ‘princes’ de Paris et de la prise de conscience du Maroc de la nécessité de mettre fin à une interdépendance à sens unique. Affaire Hammouchi, Pegasus, intervention à la Cédéao, visas, parlement européen, indélicatesses diverses, mauvais casting diplomatique français à Rabat… Tout y est passé et la bonne entente a trépassé.
En 2022, le roi Mohammed VI, passablement excédé par le double jeu à triple bande français, définit alors le nouveau et désormais fameux prisme de la diplomatie marocaine, et un bras de fer s’engage alors, féroce et silencieux, entre le palais royal et celui de l’Elysée. Le premier a pour lui l’expérience et le temps, une massive adhésion populaire et la confiance en bandoulière, le second est affaibli, avec le temps désorienté, désavoué ici et là, perdant pied un peu partout. La France a ensuite cherché par tous...
les moyens à percer et franchir le prisme, mais sans succès, le Maroc et les Marocains tenant bon.
La solution est venue de cette simple réalité : Rabat, ayant engrangé assez de points ailleurs, cherche à gagner contre Paris et Paris veut éviter de tout perdre, ayant compris que le Maroc sera toujours un ami, sauf qu’il pose quelques conditions. Depuis quelques mois, et à travers deux ambassadeurs atypiques et engagés, l’éclaircie a commencé à poindre à l’horizon, puis à se rapprocher.
Le pouvoir marocain, tenu de respecter son opinion publique très remontée contre ce qu’elle considère comme une déloyauté française, avance à pas feutrés, prudents, alors que les Français, un temps ignorés et personæ non gratæ à Rabat, ont multiplié les visites de ministres (et de grands patrons), les petites phrases, les engagements, les sourires et les amabilités. On attendait alors LA décision, qui ne pouvait émaner que du plus haut niveau de l’Etat français. Las…
Elections en France, chaos institutionnel généralisé, Jeux et ‘trêve’ olympiques, on pensait impossible un engagement élyséen sur le Sahara, en faveur du Maroc, dans cette réalité politique hexagonale, sans gouvernement, sans majorité, sans autre perspective qu’attendre un an pour une autre dissolution. Impossible ? Mais « impossible n’est pas français », voyons !...
Le président Emmanuel Macron fait alors une belle lettre au roi Mohammed VI, et tout y est : l’argumentaire (« Maroc acteur incontournable en Afrique et dans le monde », « partenariat d’exception », « relever ensemble les nouveaux défis auxquels [nous faisons] face, avec le continent africain »,… ), la décision (« position claire et forte », « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », « le plan d'autonomie constitue désormais la seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies », …), et l’avenir (« la France entend agir en cohérence avec cette position à titre national et au niveau international », « j’espère pouvoir me rendre bientôt au Maroc à l’invitation [de Votre Majesté] », …).
Voilà, tout y est donc, ou presque, même la reconnaissance explicite de la marocanité du Sahara, exprimée dans le fameux style rhétorique de la grande diplomatie française : argumentation, déduction et déclaration. Après les Etats-Unis, la France est le second Etat du Conseil de sécurité de l’ONU à s’aligner sur les positions marocaines.
Réponse du roi Mohammed VI, elle aussi puisant dans les références de la vieille diplomatie marocaine, relevant les passages importants (« votre engagement personnel », « la position claire et forte que la France adopte au sujet du Sahara marocain », « plan proposé par le Maroc, dès 2007, comme la seule base de règlement du conflit », « agir en conséquence aux niveaux interne et international »,… ), complétant les omissions, volontaires ou pas (« [la France ] intime connaisseur du passé et du présent de l’Afrique du Nord et témoin privilégié de l’évolution de ce différend régional), et répondant à la sollicitation (« je serai heureux de vous recevoir au Maroc dans le cadre d’une visite d’Etat »).
Oui, la France connaît bien ce passé, documents et archives à l'appui, d'où sa responsabilité dans cette affaire.
Tout y est aussi, avec cette précision sur le « passé » que la France connaît bien, M. Macron s’étant contenté d’évoquer le présent et l’avenir, et occultant la responsabilité passée et très documentée de la France pour la question du Sahara.
Paris, donc, a franchi le pas, et c’est très important. L’insistance de voir la France reconnaître le Sahara marocain provient de la profonde connaissance qu’elle a de la question, et le roi l’a rappelé, et aussi du fait que, dans cet « ordre international » proclamé, la France « détient » encore et toujours la main sur la région, une sorte de délégation à elle concédée par ses alliés. On peut s’attendre aujourd’hui à une accélération de l’Historie dans cette région maghrébine, avec plus de reconnaissances de l’intégrité territoriale du Maroc.
Et maintenant ? Il faudra réparer les dégâts de cette relation abîmée entre France et Maroc, donner des gages aux Marocains pour qu’ils reprennent confiance en la France, agir dans un cadre de partenariat gagnant-gagnant et non un partenariat de domination, léonin, et… convaincre l’Algérie que cette position française n’est pas dirigée contre elle et la conduire à voir et percevoir le monde sous un autre angle, pour construire un Maghreb intégré, prospère, stable, sûr et puissant. Mais ça…
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost