Par Mustapha Sehimi
Lors d'un «ftour-débat», mardi dernier, à Casablanca, Karim Cheikh, président du GIMAS (Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales) -il a aussi en charge la formation au sein de la CGEM- a traité de ce thème: «La formation continue à l'aune des défis du Maroc».
Ce qu’il s'est passé en 2020-2021 par suite de la pandémie Covid-19 a jeté une lumière crue sur la situation de ce secteur. Que s'est-il passé? Le dispositif de la formation continue des employés n'a pas fonctionné dans des conditions minimales au moins: tant s'en faut. L'OFPPT n’a pas voulu en effet rembourser les formations à distance. Pourquoi? Parce que celles-ci ne figurent pas dans le manuel des procédures. «Circulez, il n'y a rien voir», donc...
De quoi handicaper lourdement un dispositif en difficulté, si mal exploité. La formation continue? Un droit des salariés: il est garanti par la loi dans les entreprises en situation régulière avec la CNSS.
Paradoxe: ces unités économiques n'y recourent que très faiblement. Ce droit à la formation continue est financé par les cotisations des employés et ce, via la taxe de formation professionnelle versée par la CNSS à l'OFPPT. Et 30% de cette taxe sont consacrés au remboursement de la formation continue.
Pour 2020-2021, il est vrai que les départements concernés (Education nationale, Formation professionnelle et Economie) ont bien pris des mesures en faveur des entreprises pour ce qui est des délais tant des demandes de financement que de la réalisation des actions de formation planifiées.
Mais aucune d'entre elles ne regarde la promotion et l'élargissement des formations en ligne -une opportunité qui n'a pas été saisie pour faire basculer le système actuel vers le numérique... Si bien que les formations réalisées en ligne, par suite des contraintes de Covid-19, n'ont pas fait l'objet d'un remboursement. Un refus irrecevable.
La situation subie par les employés -baisse d'activité voire chômage- aurait dû en effet être saisie pour aider à l'acquisition ou à l'amélioration de leurs compétences professionnelles. Il aurait simplement suffi de faire montre d'agilité en amendant, sur des points particuliers, la réalisation de programmes dans le cadre des CSE (contrats spéciaux de formation).
Cela dit, un autre paradoxe: peu d’enregistrement au dispositif de la formation continue. Pour la période 2015-2018, seuls 1.500 dossiers ont été traités, soit 30% du budget pourtant alloué de l’ordre de 166 millions de dirhams. Sur une période plus large, les chiffres sont encore plus significatifs: 95 millions de dirhams de remboursement sur un budget CSF de 767 millions de dirhams -moins de 12%; 1.454 entreprises ont eu accès aux CSF alors que 188.000 ont cotisé.
Il faut y ajouter d'autres paramètres: aucune formation groupée pour les TPME n'a été entreprise depuis... 2006; les délais moyens de traitement de remboursement des dossiers sont de 9 mois.
Enfin, ceci: le nombre excessif des intermédiaires pour l'accès à la formation ( Conseil d'administration de l'OFPPT, Comité de gestion de l'OFPPT, comité central des contrats spéciaux de formation, Comités régionaux des CSF (12), Groupement professionnel d'aide au conseil (9), Unités de gestion des CSF (12), etc.).
Tout cela doit être réformé. Un discours officiel ne manque pas de le réitérer -le programme du nouveau gouvernement y fait référence. Sur la table, l'ampleur de l'état de dysfonctionnement est patente.
La taxe de formation professionnelle déclarée en 2021 est de 2,1 milliards de dirhams; la part de cette TFP prévue pour le financement de la formation continue est de 800 millions de dirhams; le montant accordé en financement potentiel se situe autour de 180 millions de dirhams; mais le financement réel versé à 1.080 entreprises couvre majoritairement le remboursement de formations non planifiées…
Alors voilà bien un grand chantier à réorganiser et à opérationnaliser dans les meilleurs délais. Il est transversal; il est transpartisan aussi -difficile d'identifier de fortes nuances ni des divergences profondes entre les trois composantes de la majorité actuelle, ni même du coté de celles de l'opposition.
Quels peuvent être les objectifs à retenir? Prendre des mesures de nature à permettre aux PME et à leurs salariés de bénéficier de la formation continue.
Le nouveau système doit prendre en compte plusieurs préoccupations: la simplicité des procédures avec la mise en place d'une totale dématérialisation, une remontée de l'information rapide et utile pour une évaluation fréquente et efficace, un format mutualiste, inclusif et solidaire adapté aux spécificités des différentes cibles. Autant de pistes qui ne peuvent faire l'économie d'une autre gouvernance.
Il faudra bien instituer la représentativité à parts étales des représentants Etat -employeurs-syndicats. En même temps, la réduction du nombre d'intervenants s'impose à l'évidence, tant il est vrai que c'est là un facteur de bureaucratisation et même de dilution de responsabilités.
Pour ce qui est, par ailleurs, du financement, il s'agit d'assurer la sécurisation des 30% de la TPF et ce au seul profit de la formation et à l’initiative de l'entreprise. De nouveaux modes de financement ont été proposés par la CGEM: un financement direct sur la base d'un plan de formation préparé par les fédérations, la prise en charge pour les PME et les TPE, le tiers payant pour les autres catégories.
Ce sont les plans de formation sectoriels qui doivent articuler et orienter les programmes. S'agissant des procédures, qu'est-ce qui bloque encore une plateforme digitale? Ce qui ne peut que réduire les délais de traitement -«zéro papier…».
Le déclaratif pourrait également être institué mais avec un contrôle a posteriori et même des «blacklists», le cas échéant. Enfin, en ce qui concerne l'impact, il conviendrait de faciliter l'accès de la TPME à ce nouveau système. Aujourd'hui, l'on ne compte que 1.454 entreprises de cette dimension alors qu'un objectif ambitieux de 10.000 est atteignable à l'horizon 2025 -2026.
Réviser le manuel des procédures de la formation continue: telle est une première action urgente. Une autre intéresse l'amendement de la loi 60-17 pour ce qui est des deux volets de la gouvernance et du financement.
En juillet 2015, le précédent cabinet avait adopté une stratégie nationale de la formation professionnelle dans le cadre de la réforme globale du système d'éducation et de formation, telle que définie par le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS). La vision est celle de «l'équité et de l'égalité des chances» pour assurer et garantir «la formation partout, pour tous et tout au long de la vie».
Pour ce qui est en particulier de la formation continue, de nouveaux droits et mécanismes sont à instituer. Le crédo est double favoriser l'amélioration des compétences et valoriser les acquis des travailleurs.
Des compétences techniques, sans doute, mais aussi des compétences-clés (Soft-skills) dans les programmes de formation initiale et de formation continue. De quoi contribuer à mieux connaître l'évolution du marché de l'emploi avec en particulier la mise en place de référentiels emplois/métiers, compétences.
Dans ce chantier, la région et les territoires doivent être pleinement associés; ils sont un acteur de premier plan dans l'identification des besoins en formation (élaboration de cartes prévisionnelles de l'offre de formation, financement, modulation des programmes, etc.).
Ce qu’il s'est passé en 2020-2021 par suite de la pandémie Covid-19 a jeté une lumière crue sur la situation de ce secteur. Que s'est-il passé? Le dispositif de la formation continue des employés n'a pas fonctionné dans des conditions minimales au moins: tant s'en faut. L'OFPPT n’a pas voulu en effet rembourser les formations à distance. Pourquoi? Parce que celles-ci ne figurent pas dans le manuel des procédures. «Circulez, il n'y a rien voir», donc...
De quoi handicaper lourdement un dispositif en difficulté, si mal exploité. La formation continue? Un droit des salariés: il est garanti par la loi dans les entreprises en situation régulière avec la CNSS.
Paradoxe: ces unités économiques n'y recourent que très faiblement. Ce droit à la formation continue est financé par les cotisations des employés et ce, via la taxe de formation professionnelle versée par la CNSS à l'OFPPT. Et 30% de cette taxe sont consacrés au remboursement de la formation continue.
Pour 2020-2021, il est vrai que les départements concernés (Education nationale, Formation professionnelle et Economie) ont bien pris des mesures en faveur des entreprises pour ce qui est des délais tant des demandes de financement que de la réalisation des actions de formation planifiées.
Mais aucune d'entre elles ne regarde la promotion et l'élargissement des formations en ligne -une opportunité qui n'a pas été saisie pour faire basculer le système actuel vers le numérique... Si bien que les formations réalisées en ligne, par suite des contraintes de Covid-19, n'ont pas fait l'objet d'un remboursement. Un refus irrecevable.
La situation subie par les employés -baisse d'activité voire chômage- aurait dû en effet être saisie pour aider à l'acquisition ou à l'amélioration de leurs compétences professionnelles. Il aurait simplement suffi de faire montre d'agilité en amendant, sur des points particuliers, la réalisation de programmes dans le cadre des CSE (contrats spéciaux de formation).
Cela dit, un autre paradoxe: peu d’enregistrement au dispositif de la formation continue. Pour la période 2015-2018, seuls 1.500 dossiers ont été traités, soit 30% du budget pourtant alloué de l’ordre de 166 millions de dirhams. Sur une période plus large, les chiffres sont encore plus significatifs: 95 millions de dirhams de remboursement sur un budget CSF de 767 millions de dirhams -moins de 12%; 1.454 entreprises ont eu accès aux CSF alors que 188.000 ont cotisé.
Il faut y ajouter d'autres paramètres: aucune formation groupée pour les TPME n'a été entreprise depuis... 2006; les délais moyens de traitement de remboursement des dossiers sont de 9 mois.
Enfin, ceci: le nombre excessif des intermédiaires pour l'accès à la formation ( Conseil d'administration de l'OFPPT, Comité de gestion de l'OFPPT, comité central des contrats spéciaux de formation, Comités régionaux des CSF (12), Groupement professionnel d'aide au conseil (9), Unités de gestion des CSF (12), etc.).
Tout cela doit être réformé. Un discours officiel ne manque pas de le réitérer -le programme du nouveau gouvernement y fait référence. Sur la table, l'ampleur de l'état de dysfonctionnement est patente.
La taxe de formation professionnelle déclarée en 2021 est de 2,1 milliards de dirhams; la part de cette TFP prévue pour le financement de la formation continue est de 800 millions de dirhams; le montant accordé en financement potentiel se situe autour de 180 millions de dirhams; mais le financement réel versé à 1.080 entreprises couvre majoritairement le remboursement de formations non planifiées…
Alors voilà bien un grand chantier à réorganiser et à opérationnaliser dans les meilleurs délais. Il est transversal; il est transpartisan aussi -difficile d'identifier de fortes nuances ni des divergences profondes entre les trois composantes de la majorité actuelle, ni même du coté de celles de l'opposition.
Quels peuvent être les objectifs à retenir? Prendre des mesures de nature à permettre aux PME et à leurs salariés de bénéficier de la formation continue.
Le nouveau système doit prendre en compte plusieurs préoccupations: la simplicité des procédures avec la mise en place d'une totale dématérialisation, une remontée de l'information rapide et utile pour une évaluation fréquente et efficace, un format mutualiste, inclusif et solidaire adapté aux spécificités des différentes cibles. Autant de pistes qui ne peuvent faire l'économie d'une autre gouvernance.
Il faudra bien instituer la représentativité à parts étales des représentants Etat -employeurs-syndicats. En même temps, la réduction du nombre d'intervenants s'impose à l'évidence, tant il est vrai que c'est là un facteur de bureaucratisation et même de dilution de responsabilités.
Pour ce qui est, par ailleurs, du financement, il s'agit d'assurer la sécurisation des 30% de la TPF et ce au seul profit de la formation et à l’initiative de l'entreprise. De nouveaux modes de financement ont été proposés par la CGEM: un financement direct sur la base d'un plan de formation préparé par les fédérations, la prise en charge pour les PME et les TPE, le tiers payant pour les autres catégories.
Ce sont les plans de formation sectoriels qui doivent articuler et orienter les programmes. S'agissant des procédures, qu'est-ce qui bloque encore une plateforme digitale? Ce qui ne peut que réduire les délais de traitement -«zéro papier…».
Le déclaratif pourrait également être institué mais avec un contrôle a posteriori et même des «blacklists», le cas échéant. Enfin, en ce qui concerne l'impact, il conviendrait de faciliter l'accès de la TPME à ce nouveau système. Aujourd'hui, l'on ne compte que 1.454 entreprises de cette dimension alors qu'un objectif ambitieux de 10.000 est atteignable à l'horizon 2025 -2026.
Réviser le manuel des procédures de la formation continue: telle est une première action urgente. Une autre intéresse l'amendement de la loi 60-17 pour ce qui est des deux volets de la gouvernance et du financement.
En juillet 2015, le précédent cabinet avait adopté une stratégie nationale de la formation professionnelle dans le cadre de la réforme globale du système d'éducation et de formation, telle que définie par le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS). La vision est celle de «l'équité et de l'égalité des chances» pour assurer et garantir «la formation partout, pour tous et tout au long de la vie».
Pour ce qui est en particulier de la formation continue, de nouveaux droits et mécanismes sont à instituer. Le crédo est double favoriser l'amélioration des compétences et valoriser les acquis des travailleurs.
Des compétences techniques, sans doute, mais aussi des compétences-clés (Soft-skills) dans les programmes de formation initiale et de formation continue. De quoi contribuer à mieux connaître l'évolution du marché de l'emploi avec en particulier la mise en place de référentiels emplois/métiers, compétences.
Dans ce chantier, la région et les territoires doivent être pleinement associés; ils sont un acteur de premier plan dans l'identification des besoins en formation (élaboration de cartes prévisionnelles de l'offre de formation, financement, modulation des programmes, etc.).
Une obligation de moyens pesant sur le gouvernement. De résultats, aussi!
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Le 360