Fnidek, le double défi des autorités




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Par Bargach Larbi

Il y a quelques semaines, une invitation au voyage a été lancée via les réseaux sociaux, avec au programme l’ouverture des frontières en vue d’un passage en force à Sebta le 15 septembre 2024. Cet appel, lancé via plusieurs plateformes et initié probablement par des comptes malveillants, a eu un succès considérable. Plusieurs centaines de jeunes, parfois des mineurs, se sont retrouvés très tôt au rendez-vous aux alentours de Fnidek à l’heure fixée. Les comptes anonymes à l’origine de cet appel sont probablement marocains.

L’enquête en cours le déterminera. Ils cherchent à recruter parmi ceux qui ont perdu un avantage financier à la fermeture des frontières douanières avec Sebta et à la fin des trafics frontaliers. Le passage de la frontière a fait, par le passé, le bonheur de plusieurs sections mafieuses de la région. Ceux qui pensent que le mouvement a été provoqué par les services secrets d’un pays étranger se trompent, même si, parmi les candidats à l’émigration, les autorités ont identifié un grand nombre de jeunes originaires de pays voisins.

Les jeunes candidats à l’émigration clandestine sont attirés par la lumière qui brille de l’autre côté de la Méditerranée, avec des motivations multiples. Confrontés aux difficultés de l’économie locale, au manque de couverture sociale et à l’absence de perspectives en phase avec leurs compétences et savoir-faire, ils cherchent des alternatives qu’ils supposent meilleures ailleurs. Dans pratiquement toutes les familles frontalières, il y a un frère, un cousin, un oncle ou un neveu à l’étranger. Son succès apparent les conforte dans leur désir de partir loin. Ces jeunes Marocains vivent avec un sentiment d’abandon persistant malgré les énormes investissements effectués dans la région du nord depuis 25 ans. Ils ont l’impression de vivre à l’écart de la société et hors des radars des institutions gouvernementales.

Il n’y a pas que les motivations économiques ou sociales qui expliquent ce désir de partir. Certains fuient le carcan sociétal qui pèse sur la vie privée d’un grand nombre d’entre eux. La liberté d’expression, de conviction et d’opinion fait partie des objectifs des postulants à l’émigration clandestine.

C’est difficile de vivre à Fnidek et de savoir que si l’on tombe malade, il faudra de l’argent et un déplacement de plusieurs kilomètres pour être pris en charge. C’est difficile de vivre à Fnidek et de croire en l’école publique comme tremplin vers un avenir meilleur. C’est aussi difficile de s’adapter, du jour au lendemain, à un avenir sans petits trafics lucratifs. Tous les projets engagés dans la région n’ont pas suffi à convaincre les jeunes.

Parce qu’il faut le dire : on ne peut pas nier la transformation radicale du nord du Maroc et de la zone entourant Sebta. Jadis enclavée, la zone nord est aujourd’hui largement accessible grâce à un réseau autoroutier de premier ordre. L’impact du port de Tanger Med sur la région est très significatif.

C’est aujourd’hui l’un des tous premiers ports de la Méditerranée et il figure dans le top 20 des plus grands ports du monde. La plateforme industrielle qui s’est développée dans son environnement a généré une multitude d’emplois et la création d’emplois nouveaux suit une bonne dynamique. L’augmentation significative du PIB de la région aurait dû changer la donne ; c’est le contraire qui s’est produit. Il faut se poser la question du pourquoi. Les réponses des candidats sur les vidéos qui n’ont pas manqué de circuler méritent une sérieuse analyse et une réponse appropriée : politique, économique et sociale. La réponse sécuritaire ne suffit pas, même si l’on peut considérer que cette fois les autorités ont réussi partiellement leur pari : assurer la sécurité et respecter l’humain.

Ce grand déplacement humain a nécessité, de la part des « promoteurs », une préparation logistique sérieuse malgré sa spontanéité. Les autorités avisées consultent comme nous les réseaux sociaux ; elles ont suivi et scruté chaque étape. Il fallait absolument éviter de revivre le couac de l’affaire Ghali, dont les vidéos ont fait beaucoup de mal à l’image sérieuse et responsable du Maroc. Cette fois, les autorités ne se sont pas laissées débordées. Aux aguets, elles ont verrouillé tous les passages possibles vers l’enclave « espagnole » et se sont préparées à faire face à toutes les vagues humaines en s’entourant d’un maximum de précautions légales.

Selon les premières déclarations officielles du Maroc et de l’Espagne, la situation aurait été globalement maîtrisée et sans violence avérée. Ces déclarations sont contredites par la circulation d’images faisant état de violences perpétrées par la police. Publiées sur différentes plateformes, elles montrent des jeunes victimes d’abus. Une enquête judiciaire diligentée par les autorités marocaines va déterminer le degré de violence et la responsabilité dans ces violences policières tout en vérifiant la véracité des vidéos publiées souvent qualifiées d’anciennes et hors contexte. Ce n’est jamais facile pour personne de veiller au maintien de l’ordre chez des personnes prêtes à en découdre tout en respectant les droits humains.

Cette journée du 15 septembre ne restera pas isolée ; Fnidek dispose d’une position géographique idéale pour ce type de projets. Les zones de cachettes à proximité de ce village sont nombreuses et particulièrement appropriées pour les candidats à l’émigration. Il faut par conséquent relever deux défis : l’un immédiat, celui du respect des droits humains dans un contexte devenu de plus en plus violent pour les candidats au départ ; l’autre, plus important, consiste à s’attaquer à l’origine du mal. Cela nécessite des gestes forts capables de contrecarrer les propositions de ceux qui promettent l’argent facile.

Bargach Larbi


Samedi 21 Septembre 2024

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