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Fluctuat Nec Mergitur, une devise pour tous ?




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Par Ali Bouallou

Je vais tout d’abord commencer par traduire cette locution latine. Elle signifie « il ou elle est battue par les flots, mais ne sombre pas ». Des fois, elle est traduite « il ou elle tangue mais ne sombre pas ».
Je vais à présent expliquer les trois mots composant cette formule. 

Fluctuat est la troisième personne du singulier de l’indicatif présent du mot latin fluctuo qui peut signifier être balloté par les flots, aller et venir, être irrésolu et incertain. Il rappelle également le verbe « fluctuer ».

Nec du latin nescius est une conjonction signifiant anciennement ignorant voire insensé mais en adverbe elle signifie « ne pas », « ni », « non plus », « mais »…Je me permets de vous rappeler un usage connu de nec dans « nec plus ultra ».  

Mergitur est la troisième personne du singulier de l'indicatif présent passif du mot latin mergo qui signifie plonger, engloutir, cacher ou rendre invisible. 
  
En résumé, cette expression pourrait être présentée sous la forme simple suivante : « fluctuer sans jamais sombrer ». Au-delà de son statut de devise Parisienne, pourrait-elle être la devise de tout un chacun ?  

La fluctuation de nos pensées est liée à nos incertitudes dans la vie et à l’intuition qui les accompagne. Les incertitudes d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier et ne seront certainement pas celles de demain. 

Cette recherche de principes rationnels s’appelle l’expérimentation et celle-ci lorsqu’elle est enveloppée dans l’espace temporel alors elle aboutit à la connaissance et au développement de l’intelligence.

Kant définit l’intelligence comme « la quantité d’incertitudes que l’individu est capable de supporter ».

Les incertitudes accumulées c.à.d. les fluctuations de pensées seraient donc un fardeau, et tout fardeau entrave la liberté, perçue ici comme capacité d’innover selon Hannah Arendt.   

La question qui s’impose alors est la suivante : Est-ce que l’individu devrait-il vivre avec ses incertitudes ou a-t-il tout intérêt à s’affranchir de ce sable mouvant de conjectures pour être libre ?      

Nietzsche dit : « tout ce qui commence se sait avec certitude au milieu de l’incertain ». On associe en général à cette maxime, la naissance, car hormis celle-ci, rien n’est sûr ! 

Prenons l’exemple de la science, qui est une matérialisation de la connaissance et donc de la vérité. Toutes les découvertes scientifiques ont démarré par des questions et ont fini avec des réponses. La science révèle un désir de connaitre le présent en apportant des solutions à la vie courante, et un désir aussi de prédire le futur en expliquant les mystères de l’univers.

La science a pour objectif de décrire la nature par l’intermédiaire de l’universel et de la causalité. 
L’universel est ce qui est tourné vers l’un mais c’est aussi ce qui est selon le tout. L’universel désigne ce qui unit la totalité des êtres et des choses. 

La causalité est la relation de cause à effet, autrement dit c’est ce qui fait qu’une chose agit comme elle le fait. Le principe de causalité est l’un des fondements de la physique classique. 

Expliquer la science par l’universel et la causalité n’est pas chose évidente car il faut constamment examiner, comparer et opposer le sensible, le monde qui bouge, à l’intelligible, le monde stable, et ce afin d’atteindre la tranquillité de l’âme ou ce qu’Aristote appelle le Souverain Bien.

Cette pensée Sceptique ou Pyrrhonique, du nom du fondateur de  ce courant antique Pyrrhon, a pour objectif principal de faire éviter l’erreur, en réfutant le doute et tout dogme religieux ou philosophique, afin de parvenir à la quiétude. La conclusion morale de ce courant philosophique se résume en deux principes, l’ataraxie et l’acatalepsie, c.à.d. respectivement la tranquillité et l’absence d’une souffrance qui serait due à une compréhension incomplète de la vérité.             
 
Dans tout principe de fluctuation ou d’incertitude, la nature du temps qu’on y appose joue un rôle important. Pour Platon, le temps est éternité. Pour Bergson, le temps est la mesure du mouvement. Pour Kant, le temps est ce qui fait que les choses passent et durent. 

Mais il existe une autre conception philosophique du temps, celle de la Cosmologie (la science qui étudie la genèse et l’évolution de l’Univers dans son ensemble). Il s’agit de la théorie de l’Univers-bloc qui considère que l’Univers tout entier se déploie dans un continuum d’espace-temps où les événements passés ainsi que les événements futurs ont autant d'actualité que les événements présents. 

Cette conception du temps a pour nom Éternalisme par opposition à Présentisme qui est une théorie métaphysique du temps ou seul le présent existe. 

Cette idée d’Éternalisme s’applique parfaitement à l’humanité. En tant qu’être humain et quelque soit mon degré de conscience et d’éveil, je suis et resterai un éternel cheminant vers la vérité sans que « la douleur soit mon maitre », pour paraphraser Alfred de Musset.

La théorie de l’Univers-bloc cité auparavant s’oppose à la relativité générale dans laquelle l’espace-temps est déformé par des masses qui s’attirent de manière gravitationnelle. Dans la relativité restreinte, le temps s’écoule plus lentement pour un système en mouvement rectiligne uniforme que pour un système fixe.    

En tant qu’êtres humains, nous nous devons de maintenir une morale collective exemplaire, dans la droiture et la fraternité, pour le bien commun et pour des relations pérennes et réciproques avec nos semblables, et ce tout au long de notre cheminement initiatique. 

Le cheminant doit donner sens à ce qu’Hannah Arendt appelle « la Vita Activa » ou la vie active qu’elle matérialise en trois activités fondamentales : le travail du corps, l’œuvre de la main et l’action ou la prise d’initiative. 

Le cheminant doit également donner sens à son opposé « la Vita Contemplativa » ou la vie contemplative qui consiste à comprendre la nature du bien qui convient le mieux à l’humanité et les moyens pour l’atteindre. Ainsi, l’être humain est invité à étudier le monde dans toutes ses facettes pour donner un sens à sa vie et comprendre sa propre finitude. 

Il s’agit donc de confronter constamment les incertitudes aux certitudes pour arriver à des conclusions justes et parfaites.

Sans cette confrontation (incertitudes versus certitudes), l’être humain sombre dans l’Entropie, terme emprunté à la Thermodynamique et qui signifie l’augmentation du désordre ou bien l’affaiblissement de l’ordre. 

Cette entropie s’opère sous les auspices d’un Destructeur de l’Univers que chaque religion a qualifié à sa manière : Sheitan pour l’islam, Satan/Lucifer pour le christianisme, Yetser Hara pour le judaïsme, et que l’on pourrait aussi appeler « forces du mal radical ou fondamental » que Kant décrit comme le mal à la racine qui corrompt toute action.  

« L'assombrissement du monde n'atteint jamais la lumière de l'être » selon Heidegger. L’ontologie de l’être humain ne doit en aucun cas être altérée par le mal, les tentations et les fantasmes destructeurs. 

L’être humain se doit de contempler la vérité pour elle-même de manière intègre et parfaitement désintéressée. Il devrait fonder ainsi sa morale pour préserver son être et augmenter sa puissance d’agir. C’est « la loi fondamentale de la vie » selon Spinoza.  

Les fluctuations de la pensée chez Pascal sont souffrances intérieures. Il nous suggère d’apprendre à vivre en composant avec ses faiblesses sans essayer de s’en détourner pour ne pas se fragiliser davantage et donc sombrer. Pascal dit « la grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable ». 

Si Pascal fait de Dieu le Souverain Bien, il appelle à prendre conscience que nos faiblesses, c.à.d. les fluctuations de nos pensées, sont au contraire les sources de notre grandeur et de notre force morale. 

Alors oui, Fluctuat Nec Mergitur, fluctuer à cause des incertitudes de la vie mais ne jamais sombrer dans les méandres de la pensée !   



Mercredi 20 Décembre 2023


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