Adnane Benchakroun

Comme tous les économistes, on ne peut que saluer l’initiative du Haut-Commissariat au Plan (HCP) d’attirer l’attention sur les coûts d’opportunité liés à l’exclusion économique des femmes rurales. Le message est fort : une meilleure intégration des femmes dans le tissu économique permettrait d’augmenter de 2,2% le PIB national. Mais derrière cette affirmation chiffrée, plusieurs réserves émergent dès que l’on scrute la robustesse méthodologique du rapport.
La première limite tient à la surmodélisation d’une réalité extrêmement hétérogène. Le rapport agrège des données sur le travail non rémunéré, l’inactivité féminine, les écarts d'accès aux infrastructures ou aux financements, et en déduit une perte de richesse nationale. Or, le lien direct entre autonomisation et PIB est loin d’être linéaire. L'entrée massive de femmes rurales sur le marché du travail ne garantit pas mécaniquement une création de valeur ajoutée, surtout dans un tissu productif rural peu structuré, dominé par l’informel, l’agriculture de subsistance et les services non marchands.
Deuxième réserve : la faiblesse des données disponibles sur le temps consacré par les femmes aux tâches domestiques et aux soins non rémunérés, pourtant au cœur de la démonstration. Le rapport affirme que les femmes rurales passent en moyenne 5h33 par jour à ces activités. Ce chiffre, pourtant central pour estimer les « heures économiquement perdues », n’est pas sourcé avec rigueur. Or, à notre connaissance, l’enquête nationale sur les budgets-temps, qui seule permettrait de quantifier de manière crédible le travail domestique non rémunéré, n’a pas encore été lancée au moment de la publication du rapport. Comment alors ces durées ont-elles été calculées ? À partir d’estimations anciennes ? D’extrapolations internationales ? Le flou est total.
Troisièmement, le rapport semble ignorer les effets d’éviction possibles sur le marché du travail. L’intégration massive de femmes inactives peut générer une pression à la baisse sur les salaires, particulièrement dans les zones rurales où la demande d’emploi est déjà largement supérieure à l’offre. Sans croissance simultanée de la productivité ou des débouchés économiques, le résultat pourrait être une augmentation de l’informalité, et non une contribution nette au PIB.
Autre interrogation : l’absence d’un cadre contrefactuel clair. Le rapport parle d’un "manque à gagner", mais ne précise pas selon quel scénario alternatif : un taux d’activité féminin rural de 30% ? 50% ? L’absence de ce benchmark rend difficile l’évaluation de l’écart réel entre ce qui est et ce qui aurait pu être.
Enfin, le rôle de l’offre publique dans la réduction des inégalités est sous-estimé. Améliorer l’accès à la garde d’enfants, aux crèches, aux services de proximité ne dépend pas que de la "volonté" des femmes rurales d’entreprendre, mais d’investissements publics massifs. Or, le rapport reste flou sur les coûts de ces politiques et leur faisabilité.
Un étonnement académique demeure : comment peut-on affirmer avec certitude que les femmes rurales passent cinq heures par jour aux travaux domestiques, alors que l’enquête nationale sur les budgets-temps n’a pas encore débuté ? Cet outil est pourtant la seule base fiable pour mesurer le travail invisible. En science économique, on ne quantifie pas l’invisible sans instruments de mesure. Sans ces données, toute estimation chiffrée du "coût d’opportunité" repose davantage sur des intentions politiques que sur une base empirique solide.
La première limite tient à la surmodélisation d’une réalité extrêmement hétérogène. Le rapport agrège des données sur le travail non rémunéré, l’inactivité féminine, les écarts d'accès aux infrastructures ou aux financements, et en déduit une perte de richesse nationale. Or, le lien direct entre autonomisation et PIB est loin d’être linéaire. L'entrée massive de femmes rurales sur le marché du travail ne garantit pas mécaniquement une création de valeur ajoutée, surtout dans un tissu productif rural peu structuré, dominé par l’informel, l’agriculture de subsistance et les services non marchands.
Deuxième réserve : la faiblesse des données disponibles sur le temps consacré par les femmes aux tâches domestiques et aux soins non rémunérés, pourtant au cœur de la démonstration. Le rapport affirme que les femmes rurales passent en moyenne 5h33 par jour à ces activités. Ce chiffre, pourtant central pour estimer les « heures économiquement perdues », n’est pas sourcé avec rigueur. Or, à notre connaissance, l’enquête nationale sur les budgets-temps, qui seule permettrait de quantifier de manière crédible le travail domestique non rémunéré, n’a pas encore été lancée au moment de la publication du rapport. Comment alors ces durées ont-elles été calculées ? À partir d’estimations anciennes ? D’extrapolations internationales ? Le flou est total.
Troisièmement, le rapport semble ignorer les effets d’éviction possibles sur le marché du travail. L’intégration massive de femmes inactives peut générer une pression à la baisse sur les salaires, particulièrement dans les zones rurales où la demande d’emploi est déjà largement supérieure à l’offre. Sans croissance simultanée de la productivité ou des débouchés économiques, le résultat pourrait être une augmentation de l’informalité, et non une contribution nette au PIB.
Autre interrogation : l’absence d’un cadre contrefactuel clair. Le rapport parle d’un "manque à gagner", mais ne précise pas selon quel scénario alternatif : un taux d’activité féminin rural de 30% ? 50% ? L’absence de ce benchmark rend difficile l’évaluation de l’écart réel entre ce qui est et ce qui aurait pu être.
Enfin, le rôle de l’offre publique dans la réduction des inégalités est sous-estimé. Améliorer l’accès à la garde d’enfants, aux crèches, aux services de proximité ne dépend pas que de la "volonté" des femmes rurales d’entreprendre, mais d’investissements publics massifs. Or, le rapport reste flou sur les coûts de ces politiques et leur faisabilité.
Un étonnement académique demeure : comment peut-on affirmer avec certitude que les femmes rurales passent cinq heures par jour aux travaux domestiques, alors que l’enquête nationale sur les budgets-temps n’a pas encore débuté ? Cet outil est pourtant la seule base fiable pour mesurer le travail invisible. En science économique, on ne quantifie pas l’invisible sans instruments de mesure. Sans ces données, toute estimation chiffrée du "coût d’opportunité" repose davantage sur des intentions politiques que sur une base empirique solide.
Une attente de clarification sereine
Malgré les interrogations soulevées sur la solidité empirique des estimations avancées, il convient de rappeler que le Haut-Commissariat au Plan (HCP) a toujours su faire preuve de rigueur, de transparence et de pédagogie face aux critiques méthodologiques. Son expertise statistique n’est plus à démontrer, et ses équipes ont, par le passé, su répondre avec précision et sérénité aux remarques formulées par la communauté scientifique et les observateurs.
C’est pourquoi, à ces points d’interrogation légitimes – qu’ils concernent la disponibilité des données sur le travail non rémunéré, la validité des hypothèses ou la construction des scénarios contrefactuels – nous sommes confiants que le HCP saura, comme à son habitude, y répondre de manière argumentée. Mieux encore, ces échanges pourraient enrichir le débat national sur les politiques publiques à adopter en faveur des femmes rurales, en y apportant plus de clarté, de nuances et de données solides.
C’est pourquoi, à ces points d’interrogation légitimes – qu’ils concernent la disponibilité des données sur le travail non rémunéré, la validité des hypothèses ou la construction des scénarios contrefactuels – nous sommes confiants que le HCP saura, comme à son habitude, y répondre de manière argumentée. Mieux encore, ces échanges pourraient enrichir le débat national sur les politiques publiques à adopter en faveur des femmes rurales, en y apportant plus de clarté, de nuances et de données solides.