Exportations marocaines agricoles sous pression : quel impact de l’accord UE-MERCOSUR ?




Pas Anass ERRADI

Le 6 décembre 2024, l'UE et le Mercosur ont signé l'accord de libre-échange, marquant une étape importante dans leurs relations commerciales. Les négociations pour cet accord, ayant officiellement commencé en 2010, ont connu plusieurs interruptions et reprises au fil des années en raison de divergences sur des questions clés telles que la protection de l'environnement et les normes de sécurité alimentaire ; jusqu’au 29 juin 2019, où ils ont signé un accord politique qui a marqué un pas considérable dans les négociations de ce dit accord.
 
Cette nouvelle zone de libre-échange, touchant à des enjeux de commerce et investissement, sécurité alimentaire et incarnant des valeurs d’écoresponsabilité et de protection, est désormais la plus vaste zone de libre-échange au monde. Toutefois, elle ne s’annonce pas dans la scène géopolitique internationale sans marquer un potentiel impact sur les échanges commerciaux Maroc-UE d’abord, puis sur un potentiel envisageable d’être exploité avec la zone MERCOSUR.
 
 Le Maroc, ayant déjà l’UE comme premier partenaire commercial stratégique, compte plus de 60% de ses exportations vers celle-ci, ce chiffre étant à majorité une offre exportable agricole.  Ainsi, face à ce nouveau partenariat stratégique, le Maroc, pour consolider la place de ses exportations agricoles dans le commerce mondial, est amené à redessiner la stratégie au moyen de laquelle il marque sa présence sur la scène commerciale mondiale. 
 
L'agriculture, étant un pilier essentiel des exportations marocaines, avec des produits majoritairement des fruits et légumes, en l’occurrence les agrumes, les tomates, les poivrons et les melons, sont désormais susceptibles de faire face à une concurrence accrue, notamment avec l'arrivée massive de produits agricoles du Mercosur sur le marché européen suite à l'accord de libre-échange conclu récemment. 

Cet accord pourrait donc éroder les parts de marché des produits marocains, tels que les agrumes et les fruits et légumes, en faveur des produits sud-américains comme la viande bovine et le soja, déjà assez compétitifs sur le marché international. De plus, les exigences strictes en matière de sécurité alimentaire imposées par l'UE obligent les producteurs marocains à investir dans des pratiques agricoles durables et à obtenir des certifications biologiques et des indications géographiques protégées pour se différencier sur le marché européen. 
 
Ainsi, l’alignement requis entre la politique agricole et la politique commerciale du Royaume marque encore des écarts ; une forte offre exportable n’implique pas directement l’aspect quantitatif mais également l’aspect qualitatif : quelque soit le volume des exportations, la compétitivité de celles-ci repose sur les conditions de production à savoir la modernisation des pratiques agricoles notamment le digital farming, des pratiques au cœur de la durabilité et soutenabilité, une agriculture résiliente aux aléas climatiques, réduction des intrants chimiques… Ces pratiques et approchent qui renvoient directement au respect à une normalisation et conformité exigible par le marché européen que le Maroc s’efforce de respecter en vue de consolider son partenariat stratégique avec l’UE, ce qui puisse être moins énergivore pour la zone MERCOSUR. 
 
Un benchmark Maroc- quelques pays du MERCOSUR a permis de relever les statistiques suivantes :
 
- Pour le Maroc, environ 60-70% de l'agriculture marocaine est traditionnelle, tandis que 30-40% est moderne
- Argentine : Envron 40-50% de l'agriculture est traditionnelle, principalement dans les zones rurales et montagneuses, tandis qu’environ 50-60% de l'agriculture est moderne, avec une forte utilisation de technologies avancées et de pratiques durables.
- Brésil : Environ 30-40% de l'agriculture est traditionnelle, avec une forte présence dans les régions amazoniennes et les zones rurales, tandis qu’environ 60-70% de l'agriculture est moderne, avec une grande partie des terres dédiées à l'agriculture de précision et à l'irrigation.
- Paraguay : Environ 50-60% de l'agriculture est traditionnelle, surtout dans les zones rurales et les petites exploitations, tandis qu’environ 40-50% de l'agriculture est moderne, avec une augmentation des investissements dans des technologies agricoles.
- Uruguay : Environ 30-40% de l'agriculture est traditionnelle, avec une transition progressive vers des pratiques modernes, tandis qu’environ 60-70% de l'agriculture est moderne, avec une utilisation extensive de techniques avancées et de systèmes d'irrigation.

Les résultats tels qu’exposés, ne permettent malheureusement pas de situer le Maroc en position de force, ce qui amènerait le Royaume à adopter une réflexion sur une politique de riposte à cet accord qui forme désormais la plus grande zone de libre-échange au monde, prometteuse d’une concurrence extrême, promouvant ainsi la compétitivité intra-membres de cette zone, et constituant une menace pour les partenaires et alliés antérieurs de chaque bloc à part, ce qui est le cas pour le Maroc-UE. 
 
Au vu de toutes ces observations et constats, la question qui se pose est : quelle stratégie de riposte ? comment y procéder ? quels organismes impliqués ? Beaucoup de questions qui se posent, beaucoup de réponses possibles, beaucoup d’efforts à fournir, beaucoup d’acteurs impliqués.
Implication d’acteurs publics : 
 
Pour la promotion de l’investissement dans le secteur de l’agriculture par l’Agence du Développement Agricole (ADA) à travers des dispositifs d’accompagnement personnalisés de bout en bout, organisation de salons et de programmes de financement pour appuyer l’émergence de l’innovation dans ce secteur, et éventuellement attirer de nouveaux investisseurs étrangers à apporter leur savoir-faire en la matière.

Pour la promotion du produit agricole Made in Morocco sur le marché international par l’Agence Marocaine du Développement des Investissements et des Exportations à travers l’organisation de salons professionnels et de foires, également de missions B2B/ B2G (Business to Business / Business to Government).
 
Pour mise en œuvre et suivi, gouvernance territoriale agricole ambitionnant des pôles (régions chacune selon sa production ) de compétitivité, promotion et marketing, investissement… par l’ONCA,  le Ministère de tutelle, nonobstant l’importance de la concertation avec le Ministère de l’Industrie et du Commerce pour conduire des veilles sectorielles et des négociations stratégiques.
 
Investissement en infrastructures et en dispositif agricole modernisé :
 
A travers des investissements publics privés, ou en optant pour des partenariats internationaux, allant de mandater des cabinets de conseils pour mener des enquêtes de faisabilité de développement des filières agricoles à la concrétisation des solutions proposées et éventuellement l’acquisition d’équipements agricoles de pointe.
 
Prévoir des lignes budgétaires suffisantes pour la mise en œuvre des programmes de développement régionaux (PDR). Evidemment, mobiliser des fonds régionaux et nationaux pour financer des projets d'infrastructure dans les zones rurales et urbaines, afin de réduire les disparités régionales serait aussi pertinent.
 
Le capital humain dans tout cela
 
En effet, le capital humain est tenu d’être impliqué à travers la favorisation du dialogue social, réflexion et adoption de politiques publiques s’articulant autour de l’inclusion des agriculteurs et de la société civile dans cette question, l’organisation de sessions de formations adaptées aux différents niveaux (personnalisées aux groupes) des professionnels de l’agriculture, nonobstant la capitalisation sur la R&D pour ce secteur.
 
En définitive, l'accord de libre-échange UE-MERCOSUR représente un tournant crucial pour le commerce mondial, en particulier pour les exportations agricoles marocaines. La concurrence accrue des produits agricoles sud-américains impose au Maroc de réévaluer et de renforcer sa stratégie exportatrice pour maintenir sa compétitivité. 
 
Malgré les défis, le Maroc possède des atouts significatifs pour tirer parti de cette situation. La diversification des produits, l'investissement dans des technologies agricoles avancées et la modernisation des infrastructures logistiques sont essentiels pour répondre à cette nouvelle donne. Aussi, la coopération stratégique avec l'UE demeure une priorité pour le Royaume, lui offrant des opportunités pour accéder à des marchés de niche 
 
Ainsi, face à l'accord UE-MERCOSUR, le Maroc doit transformer ces défis en opportunités pour solidifier son partenariat avec l'UE et assurer la pérennité de ses exportations agricoles.


Mercredi 18 Décembre 2024

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