Par Aziz Boucetta
On ne sait plus trop où nous en sommes dans cette crise entre le Maroc et l’Espagne… Une crise inédite dans son ampleur, avec notre ambassadrice rappelée à Rabat et un climat général de défiance et d’énervement. Il est difficile de dire, lors d’une pareille crise, qui est le vainqueur et qui est le vaincu… si tant est qu’on puisse utiliser cette nomenclature.
Revenons sur les faits. L’Espagne reçoit discrètement le chef des séparatistes du Polisario, en le cachant au Maroc qui, à juste titre, signifie son irritation. Réaction condescendante de Madrid. Déclarations, contre-déclarations, convocation indigne (« en moins de 30 mn », rapporte Nasser Bourita) de notre ambassadrice au ministère espagnol et, à sa sortie, son rappel pour consultation à Rabat. Une crise migratoire éclate, dans la crise, et l’UE intervient et prend position pour Madrid. Plus tard, Brahim Ghali, accusé par des tiers de viol, torture, génocide… est entendu très formellement par un juge qui l’écoute à distance et avec une certaine nonchalance. Il ne classe pas le dossier, mais décide de laisser l’homme à l’identité multiple libre de ses mouvements, malgré les très graves chefs d’inculpation pour lesquels il demeure poursuivi. On peut contester cela aussi, même de la part d’une justice dite indépendante… et logiquement, Ghali quitte précipitamment l’Espagne, dans une forme d’aveu de culpabilité (« Puisque j’ai une fenêtre pour fuir avant que les choses ne se corsent, fuyons ! »). Le Maroc publie une déclaration où il constate la rupture de confiance, et avertit que cela aura des conséquences.
Voilà pour la narration rapide des évènements de ces deux deniers mois. Résultat : Madrid et Rabat sont au bord de la rupture diplomatique.
Dans cette affaire, disons-le, le Maroc est dans son droit car il est légitime et universel d’exiger de ses partenaires de la confiance, de la pertinence et, éventuellement, de l’élégance. L’Espagne a révélé son vrai visage et l’Union européenne sa vraie nature, faits de sentiment de domination et d’un zeste de condescendance, reléguant le Maroc, qui refuse, dans son rôle principal de « concierge de l’Europe » (le mot, juste et pertinent, est de Nasser Bourita).
Mais, pour autant, et pour reprendre la question posée par notre diplomatie à l’Espagne sur ce qu’elle veut : « Que veut le Maroc ? », au-delà de ses exigences de respect et de confiance ? On sait qu’en matière de relations internationales, il n’y a ni respect ni confiance, mais des intérêts intégrés dans des rapports de force. Ces intérêts avec l’Espagne et, au-delà, avec l’UE, ont-ils changé, évolué, muté ? Les rapports de force ont-ils désormais basculé vers une alliance israélo-anglo-saxonne, plus sûre, plus directe, moins unilatérale et moins dominatrice ?
Le très large soutien de l’opinion publique marocaine dont a bénéficié et bénéficiera encore la diplomatie nationale dans son bras de fer avec les pays européens et l’Espagne en particulier mériterait plus d’explications de la part de M. Bourita. Nous disons être un pays démocratique, dont les dirigeants sont à l’écoute de leur opinion ; soit. Dans les pays démocratiques, dont les dirigeants sont à l’écoute de leur opinion, ces dirigeants expliquent, font des communications au parlement (en commission, là où des questions sont posées, directement, au ministre), organisent des conférences de presse, exposent leurs arguments et expliquent leurs politiques. Pas tout, mais assez pour comprendre et pour maintenir une forme de mobilisation citoyenne.
On a en effet vu le soutien populaire se fissurer face aux images des migrants marocains à Sebta (Ceuta, pour les Espagnols), et plusieurs observateurs ont peu, ou pas, saisi le sens de la (très) longue déclaration du ministre des Affaires étrangères, qui ne s’est exprimé jusque-là que dans des médias étrangers : EFE, Europe1, LCI principalement. Les Marocains méritent plus d’attention pour soigner leur compréhension…
Le roi Mohammed VI avait délivré son grand discours diplomatique de Riyad en 2016, les Européens n’ont pas compris le concept de l’ « étranger proche » qu’est pour eux le Maghreb et le Maroc, et les Anglo-saxons (USA et Royaume-Uni) ont lancé une vaste offensive sur le terrain africain, appuyés par l’Etat hébreu. Tout cela participe d’une bascule géopolitique et géostratégique que Nasser Bourita gagnerait à expliquer aux Marocains qui l’ont tant applaudi ces dernières semaines. Rupture diplomatique ? Fracture économique ? Tensions frontalières ? Pression migratoire ? M. Bourita doit expliquer tout cela…
A défaut, il s’expose aux erreurs de son homologue espagnole Arancha Gonzalez Laya, inaudible et maladroite au regard de son opinion publique, et cela donnerait l’image d’un Bourita qui combat héroïquement, et inutilement, des moulins bien campés sur leurs positions… Une sorte de don Bourita de la Mancha, ou de l’Arancha, avec toute la symbolique de cette figure historico-littéraire espagnole.
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