La quantification du risque est guidée par la science plutôt que par la foi, mais elle ne doit pas devenir une nouvelle «religion»
Comment gérer un risque sanitaire? Une question qui prend évidemment un relief particulier avec cette pandémie Covid- 19. La quantification est nécessaire, faute de quoi la décision est binaire: on interdit, on autorise... tous les pays touchés n’arrivent pas -encore?- à sortir de cette équation. Mais, dès que le risque est quantifié, même de manière approximative, sa gestion s’en trouve relativement facilitée et même maîtrisée. Pourquoi ? Parce que prévaut alors un raisonnement, ou, si l’on préfère, une évaluation de type risque/bénéfice sur la base de différents scénarios pertinents et opératoires.
Comment quantifier alors? En faisant appel aux études épidémiologiques. Depuis les années 80, une démarche formalisée d’évaluation quantitative des risques est mise en oeuvre. Elle réalise une synthèse quantitative des connaissances et des données sur les risques sanitaires et les traduit, en termes intelligibles, pour les gestionnaires des risques. Elle combine les données épidémiologiques et les compense par des hypothèses de travail.
S’est ainsi opérée une rupture dans l’ingénierie décisionnelle des pouvoirs publics sur les risques sanitaires. L’on anticipe les impacts futurs, l’avenir devenant pratiquement le déterminant du présent. Pareille démarche supporte, bien entendu, des limites mais elle
permet d’avancer des ordres de grandeur. De quoi orienter l’action des politiques publiques malgré bien des incertitudes. La notion de risque devient ainsi opérationnelle: elle signe un refus de la fatalité.
Cela dit, force est de faire ce constat: les risques sanitaires ont changé de nature. Ils ont en effet pris de nouveaux visages par suite d’une prolifération de situations dangereuses liées à l’évolution des conditions de vie, de production, de transport, de travail, de consommation et d’habitation, sans oublier les échanges internationaux intenses. Tout cela crée les conditions d’une diffusion massive des expositions à des agents dangereux.
Aujourd’hui la pandémie du coronavirus SARS-Cov-2 s’inscrit dans ce schéma. Autrefois, les dangers avaient surtout une expression locale, surtout là où se trouvaient des activités de production émettrices de substances toxiques (usines chimiques, métallurgie, tanneries...). Tel n’est plus le cas aujourd’hui: le risque n’est plus une affaire locale: il est devenu global. Un nouveau paysage des risques s’est affirmé et déployé avec de forte niveaux d’incertitudes.
Le risque sanitaire donc mais aussi sa perception: un autre volet à ne pas évacuer. Il est établi, sur la base de nombreux travaux de sociologie, que le ressenti des risques ne dépend pas seulement de sa dimension qualitative. Des voix insistent aujourd’hui sur le différentiel entre les victimes de la Covid-19, d’un côté, et celles plus élevées du cancer,
du tabac ou de l’alcoolisme, par exemple.
La peur est grande aujourd’hui, l’angoisse s’est installée -une psychose individuelle générale... La pandémie est considérée comme étant de nature catastrophique; la menace est invisible. Il faut ajouter dans cette même ligne que les controverses entre experts de tous bords pèsent également sur le niveau de la peur dans la population ainsi que dans le niveau de la crainte ressentie. D’où un décalage qui a été pointé entre le niveau de la peur dans la population et la réalité épidémiologique du risque. C’est que ce qui est incertain est plus inquiétant que ce qui est établi, l’intolérance à l’incertitude étant un trait psychologique de la nature humaine.
Si l’on parle de risque, il faut également évoquer qu’il est, au-delà de sa perception, autre chose: une croyance -et donc une construction sociale. Si la quantification du risque est utile sous forme de probabilité, elle ne signifie pas pour autant que l’avenir est écrit par avance. Même quantifié avec les nouvelles approches de modélisation, il renvoie à une incertitude.
Les économistes soutiennent, eux, que le risque est de l’incertitude structurée par des probabilités objectives. La norme ISO 31000 (management du risque) définit le risque comme «l’effet de l’incertitude sur l’atteinte des objectifs». La quantification du risque est guidée par la science plutôt que par la foi, sans doute, mais elle ne doit pas devenir une nouvelle «religion» ni une dictature technologique.
Elle éclaire un débat social et politique; elle ne s’y substitue pas. Et l’enjeu de la gestion des situations de risques, incertaines donc, est celui de la confiance sociale. Un enjeu politique; il pose des questions fondamentales: celles du lien social et de la gouvernance des politiques publiques - de la société aussi...
Rédigé par Mustapha sehimi le 16 novembre 2020 sur www.maroc-hebdo.press.ma
Comment gérer un risque sanitaire? Une question qui prend évidemment un relief particulier avec cette pandémie Covid- 19. La quantification est nécessaire, faute de quoi la décision est binaire: on interdit, on autorise... tous les pays touchés n’arrivent pas -encore?- à sortir de cette équation. Mais, dès que le risque est quantifié, même de manière approximative, sa gestion s’en trouve relativement facilitée et même maîtrisée. Pourquoi ? Parce que prévaut alors un raisonnement, ou, si l’on préfère, une évaluation de type risque/bénéfice sur la base de différents scénarios pertinents et opératoires.
Comment quantifier alors? En faisant appel aux études épidémiologiques. Depuis les années 80, une démarche formalisée d’évaluation quantitative des risques est mise en oeuvre. Elle réalise une synthèse quantitative des connaissances et des données sur les risques sanitaires et les traduit, en termes intelligibles, pour les gestionnaires des risques. Elle combine les données épidémiologiques et les compense par des hypothèses de travail.
S’est ainsi opérée une rupture dans l’ingénierie décisionnelle des pouvoirs publics sur les risques sanitaires. L’on anticipe les impacts futurs, l’avenir devenant pratiquement le déterminant du présent. Pareille démarche supporte, bien entendu, des limites mais elle
permet d’avancer des ordres de grandeur. De quoi orienter l’action des politiques publiques malgré bien des incertitudes. La notion de risque devient ainsi opérationnelle: elle signe un refus de la fatalité.
Cela dit, force est de faire ce constat: les risques sanitaires ont changé de nature. Ils ont en effet pris de nouveaux visages par suite d’une prolifération de situations dangereuses liées à l’évolution des conditions de vie, de production, de transport, de travail, de consommation et d’habitation, sans oublier les échanges internationaux intenses. Tout cela crée les conditions d’une diffusion massive des expositions à des agents dangereux.
Aujourd’hui la pandémie du coronavirus SARS-Cov-2 s’inscrit dans ce schéma. Autrefois, les dangers avaient surtout une expression locale, surtout là où se trouvaient des activités de production émettrices de substances toxiques (usines chimiques, métallurgie, tanneries...). Tel n’est plus le cas aujourd’hui: le risque n’est plus une affaire locale: il est devenu global. Un nouveau paysage des risques s’est affirmé et déployé avec de forte niveaux d’incertitudes.
Le risque sanitaire donc mais aussi sa perception: un autre volet à ne pas évacuer. Il est établi, sur la base de nombreux travaux de sociologie, que le ressenti des risques ne dépend pas seulement de sa dimension qualitative. Des voix insistent aujourd’hui sur le différentiel entre les victimes de la Covid-19, d’un côté, et celles plus élevées du cancer,
du tabac ou de l’alcoolisme, par exemple.
La peur est grande aujourd’hui, l’angoisse s’est installée -une psychose individuelle générale... La pandémie est considérée comme étant de nature catastrophique; la menace est invisible. Il faut ajouter dans cette même ligne que les controverses entre experts de tous bords pèsent également sur le niveau de la peur dans la population ainsi que dans le niveau de la crainte ressentie. D’où un décalage qui a été pointé entre le niveau de la peur dans la population et la réalité épidémiologique du risque. C’est que ce qui est incertain est plus inquiétant que ce qui est établi, l’intolérance à l’incertitude étant un trait psychologique de la nature humaine.
Si l’on parle de risque, il faut également évoquer qu’il est, au-delà de sa perception, autre chose: une croyance -et donc une construction sociale. Si la quantification du risque est utile sous forme de probabilité, elle ne signifie pas pour autant que l’avenir est écrit par avance. Même quantifié avec les nouvelles approches de modélisation, il renvoie à une incertitude.
Les économistes soutiennent, eux, que le risque est de l’incertitude structurée par des probabilités objectives. La norme ISO 31000 (management du risque) définit le risque comme «l’effet de l’incertitude sur l’atteinte des objectifs». La quantification du risque est guidée par la science plutôt que par la foi, sans doute, mais elle ne doit pas devenir une nouvelle «religion» ni une dictature technologique.
Elle éclaire un débat social et politique; elle ne s’y substitue pas. Et l’enjeu de la gestion des situations de risques, incertaines donc, est celui de la confiance sociale. Un enjeu politique; il pose des questions fondamentales: celles du lien social et de la gouvernance des politiques publiques - de la société aussi...
Rédigé par Mustapha sehimi le 16 novembre 2020 sur www.maroc-hebdo.press.ma