Émancipation à l'étranger : les défis des jeunes femmes marocaines


Rédigé par le Vendredi 27 Octobre 2023

Après avoir effectué leurs études à l'étranger, certaines jeunes femmes marocaines préfèrent ne pas retourner au Maroc en raison de préoccupations concernant les restrictions sociales et le rythme lent du changement de mentalités, ce qui continue de restreindre la liberté des femmes.



A lire ou à écouter en podcast :


L'un des dilemmes qui préoccupe de nombreuses étudiantes marocaines à l'étranger une fois qu'elles ont terminé leurs études universitaires est de décider entre rester dans leur pays d'études ou retourner au Maroc. Leur amour pour leur patrie est incontestable, mais elles se retrouvent face à un choix difficile. Ce qui pèse dans leur décision, c'est l'environnement où les hommes et les femmes sont traités sur un pied d'égalité, offrant aux femmes la possibilité de vivre sans la contrainte de la tutelle et du jugement.

Les agressions verbales, les regards insistants, les appels non sollicités, les commentaires offensants, les insultes, la traque, et autres formes de harcèlement représentent un grave problème. Selon l'enquête IMAGES sur "les masculinités et l'égalité des sexes" réalisée en 2016 dans la région Rabat-Salé-Kénitra* et publiée en 2018 par l'ONU Femmes pour les pays arabes en collaboration avec Promundo, pas moins de 63% des femmes interrogées ont admis en avoir été victimes.

De plus, 53% des hommes reconnaissent avoir harcelé une femme ou une fille, dont 35% au cours des trois derniers mois. Ce comportement ne semble pas susciter de remords chez près de 60% d'entre eux, car ils admettent l'avoir fait, dans un espace public, par simple amusement ou plaisir. Plus inquiétant encore, pour plus de 60% des hommes interrogés, la tenue qu'ils jugent "provocatrice" et la présence d'une femme dans un lieu public la nuit sont considérées comme des "raisons légitimes" justifiant leur comportement.

Des corps broyés

Les incidences de la violence sont alarmantes. Selon un rapport du Haut-Commissariat au Plan (HCP) datant de 2019, plus de 7,6 millions de femmes, soit 57,1%, ont été confrontées à au moins un acte de violence, quelle que soit sa forme ou son contexte. La violence psychologique demeure la plus courante, touchant près de 47,5% des femmes, soit environ 6,4 millions d'entre elles. D'autres formes de violence sont également préoccupantes : 1,9 million de femmes ont été victimes de violence économique (taux de prévalence de 14,3%), 1,8 million de violence sexuelle (13,6%), et 1,7 million de violence physique (12,9%). La cyberviolence affecte près de 1,5 million de femmes (13,8%).

Au cours des dernières années, de nombreux engagements en faveur d'une meilleure protection des femmes ont vu le jour. Ces engagements comprennent l'abrogation de l'article 475 du Code pénal, qui permettait à un violeur d'échapper aux poursuites en épousant sa victime, ainsi que l'entrée en vigueur en 2018 de la loi n°103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes. Malheureusement, cette loi ne répond pas aux attentes des militantes des associations de défense des droits des femmes, qui pointent un certain nombre de lacunes, notamment l'absence d'une définition du viol conjugal.

 

Lacunes juridiques

En dépit des progrès accomplis, la Moudawana, réformée en 2004, n'accorde pas aux femmes divorcées les mêmes droits qu'aux hommes en ce qui concerne la tutelle. L'équilibre fait défaut. En cas de divorce, le père demeure le tuteur légal de l'enfant, tandis que la mère en est la gardienne. En pratique, même si la mère conserve la garde, elle ne dispose d'aucun pouvoir décisionnel. Elle dépend entièrement de son ex-époux. Plus problématique encore, l'article 173 du Code de la famille donne au père la possibilité de retirer la garde de l'enfant à la mère si elle se remarie...

Un cri d'espoir commun parmi la communauté féminine qui attend avec impatience la réforme du Code de la famille. Suite au discours royal du 10 octobre 2003 et à l'annonce de la Constitution de 2011 en faveur de l'égalité entre les sexes, le Roi Mohammed VI a ouvert la voie à cette révision en 2022.

En réalité, l'avortement demeure illégal, sauf en cas de menace pour la santé de la mère. Même dans ce cas, trouver un médecin prêt à poser un tel diagnostic peut s'avérer difficile. L'avortement est passible de six mois à deux ans d'emprisonnement pour la femme qui y a recours, et jusqu'à 5 ans pour les personnes pratiquant l'intervention.

En 2015, le Maroc avait néanmoins engagé un débat sur l'assouplissement de sa législation. Une commission officielle avait recommandé l'autorisation de l'avortement dans "quelques cas de force majeure", notamment en cas de viol ou de graves malformations. Jusqu'à présent, aucun progrès législatif n'a été accompli pour entériner ces recommandations, bien que celles-ci aient reçu un soutien ardent de la part des défenseurs des droits des femmes.

“L’expatriation féminine est un nouveau phénomène”

L'envie des jeunes femmes marocaines de demeurer à l'étranger après leurs études représente un phénomène social relativement récent. Il fut un temps où peu de jeunes filles marocaines partaient étudier à l'étranger, et celles qui le faisaient avaient souvent des parents ouverts d'esprit et des moyens financiers conséquents. Aujourd'hui, la donne a changé. Les jeunes femmes issues des grandes villes ont plus facilement la possibilité de voyager et de s'installer à l'étranger pour poursuivre leurs études. Elles vivent dans des pays où les conditions pour les femmes sont meilleures, et elles en sont conscientes. Elles aspirent à un avenir plus prometteur, s'investissent dans leurs études et cherchent activement des opportunités de travail correspondant à leurs aspirations, leur permettant d'évoluer. À leurs yeux, leur carrière revêt une importance cruciale, car elle représente un moyen de liberté et d'émancipation.

Le fait que ce phénomène suscite de l'attention aujourd'hui tient au fait qu'il concerne les femmes. En revanche, lorsque les hommes choisissent de rester à l'étranger, cette question n'est souvent même pas soulevée. La société patriarcale souhaite généralement exercer un certain contrôle sur les femmes. Cependant, ces jeunes femmes décident de voler de leurs propres ailes et de s'affranchir des contraintes qui limitent leur liberté.




Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 27 Octobre 2023
Dans la même rubrique :