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Se présentant tous les deux comme une alternative à un troisième mandat du PJD à la tête du gouvernement, chacun des deux partis affiche clairement son ambition de diriger la future coalition gouvernementale, en arrivant premier aux législatives. Ils ne sont pas les seuls, puisque le PAM vise également le même objectif, mais n’a pour l’instant présenté aucun projet politique ou économique pour y arriver. Contrairement à l’Istiqlal ou au RNI qui ont déjà montré leurs cartes…
Des cartes très similaires, qui jouent sur la social-démocratie comme idéologie centrale du futur mandat gouvernemental, avec les mêmes priorités : investir sur le capital humain, l’éducation, la santé, la protection sociale, booster la création d’emplois, protéger au mieux le tissu productif tout en captant les nouvelles opportunités qui s’ouvrent dans les nouveaux métiers post-Covid comme le digital, l’économie de la vie, et le passage à un système productif écologique, compatible avec les nouvelles normes mondiales, notamment européennes, qui se mettent en place.
Sur ce registre de l’idéologie, du programme les deux partis se marchent ainsi sur les plates-bandes. Et entrent donc dans un match serré, en jouant des mêmes cartes, du même discours, avec comme ultime objectif : battre le PJD et constituer une nouvelle alternative aux deux gouvernent successifs présidé par les islamistes.
Une même tactique, mais deux équipes totalement différentes
Une même ambition, un même discours, et deux programmes similaires certes, mais qui sont portés par deux partis à l’ADN totalement différents.
Un Istiqlal qui traîne toujours une certaine légitimité historique de parti nationaliste, bien ancré dans les territoires et dans l’imaginaire populaire, et doté d’une vieille et grosse machine électorale, avec un staff d’inspecteurs régionaux unique en son genre, bien rôdé pour remporter une élection.
Un parti aussi qui a une vrai (et vieille) base militante, composé de couches populaires, d’une partie de la classe moyenne, et de larges franges de fonctionnaires, et qui est dirigé par des profils istiqlaliens classiques : de hauts fonctionnaires et commis de l'État, des cadres de la fonction publique issus de familles politiques istiqlaliennes de père en fils, avec une petite dose d’entrepreneurs moyens, de fonctionnaires de divers services et administrations publiques et de métiers libéraux.
Tout l’inverse de la structure sociale du RNI, formation créée dans les années 1970 par le beau-frère de Hassan II, qui traîne encore (et un peu malgré elle) l’étiquette de parti de l’administration, et dirigée par une élite venue essentiellement du monde des affaires, de hauts cadres du secteur privé, de grands notables régionaux alliant pouvoir politique et business, avec une petite dose de « Oulad Cha3b » qu’on fait monter dans les instances décisionnaires pour diluer un peu l’image de parti des riches.
Un parti qui est en pleine réorganisation, qui construit à peine une certaine base militante depuis l’arrivée de Aziz Akhannouch à sa tête en 2016, mais dont le bureau politique ressemble à un Conseil d’administration d’une grosse holding à la capitalisation qui se chiffre en dizaines de milliards de dirhams.
Un match qui se joue avec les mêmes armes (ou presque), mais entre deux équipes totalement différentes. C’est le "RNI S.A" contre "l’Office Chérifien de l’Istiqlal". Le Réal Madrid, club centenaire de la capitale espagnole, rôdé à la Champions League, contre le PSG du qatari Nasser Al Khelaifi, homme aux gros moyens qui a fait d’une équipe parisienne sans âme une machine à coopter des stars mondiales à coups de milliards d’euros pour remporter le prestigieux titre et déclasser les traditionnelles équipes du vieux continent.
Qui l’emportera ? Les pronostics des commentateurs politiques sont presque tous unanimes : avantage à l’Istiqlal.
"Entre l’Istiqlal et le RNI, il est clair que l’Istiqlal a plus de potentiel en termes de capacité électorale que le RNI. L’Istiqlal a une grosse machine électorale, que le RNI n’a pas, et qu’il a essayé avec Aziz Akhannouch de construire et d’organiser en sillonnant le royaume depuis son élection, en lançant des instances parallèles, la jeunesse, la femme, les corps de métiers… Mais tout cela reste assez récent et cette machine en construction n’a pas encore montré son efficacité dans une vraie course électorale. Sans oublier que le RNI fait face à certaines difficultés internes, au moment où l’Istiqlal semble plus uni et mobilisé que jamais", nous dit le professeur Mustapha Sehimi, pour qui le match est clairement en faveur du parti de Nizar Baraka, même s’il croit profondément que ni l’un ni l’autre n’arriveront à contrer la puissance électorale du PJD, restée intacte malgré les dissensions internes que vit le parti.
"Le match Istiqlal-RNI ne se jouera pas sur la première place, mais sur le classement : la deuxième, troisième et quatrième places, car le PAM est aussi un gros challenger du PI et du RNI. Le scénario dont je suis convaincu, c’est que le PJD arrivera le premier, et les trois autres se battront sur les trois places qui restent… L'enjeu qui reste pour ces trois partis, c’est de peser sur les futures négociations qui vont à mon avis aboutir à un échec du Chef de gouvernement désigné à constituer une majorité pour gouverner", ajoute-t-il. Un scénario de travail dont il est convaincu et qu’il nous a détaillé dans une analyse sur la situation actuelle du PJD et ses prévisions post-électorales.
Un autre politologue rejoint Sehimi dans son analyse, mais pense plutôt que ce qui tranchera dans ce match entre le RNI et l’Istiqlal, c’est l’image que renvoient ces deux partis à l’opinion publique.
"Les deux formations se disent des partis de Oulad Nass, et jouent sur le registre de la social-démocratie. Mais le RNI, malgré les énormes efforts consentis par son président sur le terrain ces quatre dernières années, aura du mal à convaincre les masses populaires car il traîne l’image de parti des riches. Il est pour de nombreux citoyens l’archétype du mélange entre business et politique, ce que les gens rejettent de plus en plus, comme on l’a vu dans le mouvement du boycott, ou dans les discussions sur les réseaux sociaux sur le dossier des hydrocarbures qui entache encore aujourd’hui l’image de Aziz Akhannouch. Nizar Baraka et l’Istiqlal sont perçus différemment. Si vous interrogez à leur sujet n’importe quel citoyen marocain, il vous répondra qu’il est conscient que les Istiqlaliens ne sont pas tous des saints, mais qu’au moins à leur époque (référence au gouvernement El Fassi, ndlr), « ils mangeaient, et on mangeait aussi avec eux (Kiyaklou wi Wekkelou) » comme le dit l’expression populaire".
Le SG de l’Istiqlal dit à peu près la même chose. Mais en des mots plus subtils, plus politiquement corrects. Lors de son passage au Grand Oral des Alumni de ScPo, il s’est montré très critique vis-à-vis du RNI et du PJD, qu’il considère co-responsables de la situation actuelle du pays, de la baisse du rythme de croissance, de la destruction d’emplois et du manque de confiance qui règne dans l’atmosphère générale.
Pour Baraka, le RNI n'est pas une alternative crédible
Un bilan, dit-il, dont le RNI est comptable au vu de sa politique ultra libérale de ruissellement, qui converge avec les convictions du PJD. Politique qui a plus donné aux riches qu’aux classes moyennes et populaires. Une raison suffisante, selon lui, pour que le RNI, qui a participé aux deux gouvernements PJD, celui de Benkirane et d’El Othmani, ne soit pas une alternative crédible pour mettre en place une politique nouvelle.
"Le gouvernement Benkirane a apporté certes des réformes essentielles, et certains ministres RNI ont réalisé de belles performances, mais nous considérons aujourd’hui que nous avons beaucoup perdu... Et le gouvernement est comptable de ses politiques libérales. Ce que nous proposons est aux antipodes de ces politiques : un libéralisme social, avec plus de justice sociale, libérer les énergies et augmenter la part du gâteau pour un meilleur partage au lieu de défendre la petite part de gâteau existante", a déclaré Nizar Baraka pour marquer la différence de son parti avec la formation de Aziz Akhannouch.
RNI: l'Istiqlal responsale d'une grande partie des politiques publiques des 20 dernières années
Un discours qu’une source au RNI qualifie de "pas sérieux" venant d’un homme comme Nizar Baraka, dont le parti est responsable d’une grande partie des politiques publiques menée ces 20 dernières années.
"Dans son discours, Nizar Baraka fait de la politique politicienne. Et c’est dommage. Il essaie par exemple de donner une certaine légitimité au gouvernement Benkirane, parce que son parti y a participé et a continué de le soutenir politiquement même en étant dans l’opposition. Il ne ménage pas en revanche le gouvernement El Othmani. C’est une manière de justifier son soutien à Benkirane et de cibler en même temps le RNI qui a été à la tête de postes stratégiques dans l’exécutif actuel. Ce n’est pas fair play", nous dit notre source au parti de la Colombe.
Pour elle, le RNI ne se dédouanera pas du bilan du gouvernement actuel, et défendra le bilan de toute l’équipe, et notamment celui de ses ministres.
"Nous entrons dans une compétition électorale. Et comme dans toute compétition sportive, si on participe, c’est pour gagner et non pour animer simplement le championnat. Notre ambition est claire. Mais au-delà de l’ambition, il y a un bilan que nous allons défendre. Un bilan que nous assumons solidairement avec les autres partis du gouvernement. Ce n’est pas une situation confortable, comme peut l’être celle de l’Istiqlal ou du PPS, mais il faut être honnête avec les gens. On a participé à ces deux gouvernements sur la base d’un contrat moral, d’un projet commun. Ça ne veut pas dire que tout a été positif. Mais nos ministres, que nous avons le droit de défendre, ont fait, surtout dans l’agriculture et l’industrie, un excellent travail, en menant des stratégies claires et ambitieuses et en les actualisant pour en faire des visions pour l’avenir. Et aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie, ces visions sont devenues désormais des stratégies d’Etat", expose notre source.
Quant au clash de Baraka sur l’ultra libéralisme, le ruissellement, on pense au RNI que ce sont de simples éléments de langage politique qui ne collent pas à la réalité.
"L’Istiqlal essaie de dessiner une rupture entre un Benkirane social et un El Othmani libéral, pour nous viser car nous avons plus de poids dans le gouvernement actuel. Or, Benkirane a été le Chef de gouvernement le plus libéral de toute l’histoire du Maroc, et qui revendiquait publiquement le retrait de l'État de l’éducation par exemple. Si on veut parler de libéralisme d’Etat, il faut être sérieux. Ce sont des politiques qui ont été menées depuis 20 ans. Et c’est une responsabilité collective de tous les partis qui ont participé aux gouvernements successifs, l’Istiqlal à leur tête, puisqu’il a été non seulement pratiquement dans tous ses gouvernements, mais en a dirigé un entre 2007 et 2011. Un gouvernement où il avait des postes sociaux et n’a rien réalisé de ce qu’il prétend porter aujourd’hui comme projet", tonne notre source au RNI.
L’Etat social n’est le monopole d’aucun parti
Et d’ajouter que cette accusation d’ultra libéralisme qu’on veut coller au RNI est non fondée.
"Quand le Roi a appelé au lancement d’une réflexion sur le nouveau modèle de développement, nous avons été les premiers à répondre à l’appel en éditant un livre intitulé La voie de la confiance. Et dans ce livre, le parti a marqué clairement son positionnement et a appelé à un État social, concept plus approprié que la social-démocratie à l’européenne qui ne correspond pas au contexte marocain. Aziz Akhannouch et Moulay Hafid Elalamy ont signé d’ailleurs deux textes où ils appellent à la construction d’un système public fort et de qualité aussi bien dans l’éducation que dans la santé. Et ce bien avant la crise Covid. Aujourd’hui, avec la crise du Covid, tout le monde appelle au retour de l’Etat social. Ça montre la clairvoyance de notre vision qui était basée sur les attentes des Marocains. Et c’est tant mieux si on est tous d’accord sur cet élément, puisque on ne va plus perdre de temps dans des débats idéologiques qui bloquent l’action de l’exécutif. C’est déjà ça de gagné", explique notre source au RNI.
Dans la même veine de sa réponse au discours que tient Nizar Baraka, notre source au RNI tient à préciser que ce retour à l'État social, que certains appellent la social-démocratie, n’est le monopole d’aucun parti politique. Ni de l’Istiqlal, ni du RNI.
"Soyons clairs, l’Etat social, c’est une orientation royale à laquelle tous les partis adhèrent, y compris le PJD, le PAM, le PPS, l’USFP et d’autres. C’est un tournant de règne. Tout le monde est d’accord sur la nécessité d’infléchir notre modèle, de passer de l’investissement massif dans les infrastructures, à l’investissement dans le capital humain, l’éducation, la santé, la protection sociale. Et c’est quelque chose qu’on a touché sur le terrain dans notre tournée des 100 villes. Les citoyens, même dans les zones les plus reculées, considèrent que les infrastructures sont désormais un acquis, et demandent désormais plus d’Etat, un meilleur service public, une éducation et un accès aux soins de qualité. Il y a donc unanimité sur tout cela. Et c’est tant mieux. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir de débat, bien au contraire. Mais l’enjeu actuel, ce n’est pas de parler d’idéologie, ce qui peut être intéressant et rend une élection attrayante, mais l’enjeu, le vrai, c’est de livrer", insiste notre source.
Au-delà du match idéologique, l’enjeu actuel c’est de livrer selon le RNI
Et c’est là, nous dit-elle, que le RNI peut constituer une réelle alternative.
"Le temps de l’action gouvernementale est très court. La première année, vous travaillez sur une loi des finances établie par l’ancien gouvernement. Et la dernière année, il y a les élections. Le temps de l’action se résume en réalité à trois ans. Et dans ce laps de temps, il faut avoir la capacité de livrer. Et c’est ici que réside notre principale force, car nous avons la capacité de mobiliser des compétences, de gérer des projets, de recruter des profils managériaux qui savent planifier, prioriser, gérer des équipes, des projets et délivrer… C’est cela notre vraie valeur ajoutée".
"On est aujourd’hui dans le temps de la compétition. Chaque parti essaie de construire un discours, se différencier… Mais la réalité de notre mode de scrutin fait qu’une fois tout cela terminée, on se mettra tous autour de la même table pour monter un projet commun. Que l’on soit premier, ou pas, que le PJD arrive en tête ou pas, que l’Istiqlal gagne ou pas… On sera peut-être tous au même gouvernement et on négociera ensemble un projet commun pour répondre aux grands défis qui attendent le pays. Il y a le temps de la compétition, et le temps des coalitions, des alliances, des concessions… C’est cela la réalité de notre pays. Mais c’est bien qu’on ait un débat idéologique, car ça peut mobiliser les Marocains, rendre les élections plus attractives. Et c’est tant mieux", ajoute notre source.
Un discours assez technocratique qu’assume notre source au RNI, pour qui finalement ce match idéologique RNI-Istiqlal n’en est pas vraiment un. Et que la réalité est autre.
"Nous sommes des compétiteurs, et nous voulons gagner. Ce match ne se joue pas qu’avec l’Istiqlal, mais également avec le PJD et le PAM qui ont tous le potentiel d’arriver premiers. Et les attentes des Marocains sont connues. Elles sont simples : avoir une vie digne, un emploi, un service public de qualité. Et au final, c’est à l’électeur de décider qui peut le mieux répondre concrètement à ses attentes par ses actions, et non par un discours idéologique…", nous explique notre source.
En attendant le match, le mercato qui bat son plein
Mais en derrière de ce match idéologique, se joue sur le terrain une véritable course aux candidats. Un mercato politique qui bat son plein surtout après le changement du quotient électoral qui fera que seules les têtes de listes passeront et qui pousse ceux qui se positionnaient deuxième ou troisième à chercher un parti qui leur donnera l’opportunité d’être tête de liste et avoir des chances de passer.
Un mercato où pour l’instant l’Istiqlal est très actif. Et le RNI, selon notre source, est le grand perdant.
"En 2016, on accusait le PAM de piquer des candidats aux autres partis. On essaie aujourd’hui de nous faire porter cette image, qui est totalement fausse. Car pour l’instant, ce sont nos candidats qui partent, notamment à l’Istiqlal", signale notre source au RNI.
Après Bouaida, qui a été viré du RNI, et coopté par Hamdi Ould Errachid pour représenter l’Istiqlal dans la Région de Guelmim, le RNI risque de perdre selon nos sources, un de ses vieux notables à Taounat, Mohammed Abbou, qui partira lui aussi à l’Istiqlal. Une circonscription où Abbou assurait toujours la victoire au RNI…
Mais le parti de la colombe ne se laissera pas faire. Face à Bouaida, il est probable, nous dit-on, qu’il mette en face, sa cousine Mbarka Bouaida. Un match qui divisera le clan des Bouaida... Idem à Taounat, où le RNI compte présenter Lhaj Boussouf, un des grands notables de la région, entrepreneur dans l’agriculture, pour battre Abbou.
Une autre grande bataille entre les deux partis se jouera également au Souss, fief de Aziz Akhannouch. Une région où l’Istiqlal mise sur le clan des Qayouh pour gratter des sièges au RNI.
Le match entre les deux partis se jouera également dans les grandes villes, comme Casablanca où l’Istiqlal pourra miser sur ses traditionnels cadors de la capitale économique, Baddou, Ghellab et les autres. Des ministres de la génération Jettou qui croiseront le fer avec les Chafik Benkirane, Boudrika ou encore Benomar… cartes maîtresses du RNI à Casablanca.
Des matchs régionaux qui promettent un grand suspense et dont personne ne peut pronostiquer les résultats… Sauf si tous arrivent à passer, avec les candidats PAM et PJD. Car avec le nouveau quotient électoral, personne ne pourra désormais faire table rase sur une circonscription. Et les sièges seront répartis mécaniquement entre les partis arrivés aux premières places ou presque… Une nouvelle donne qui diminuera la force de frappe du PJD, pénalisera un peu le PAM mais qui profitera essentiellement au RNI et à l'Istiqlal. Reste à savoir qui des deux va en tirer le plus de bénéfices.
Rédigé par Mehdi Michbal sur https://medias24.com