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Par Mustapha Sehimi
Voici un nouveau livre de l’historien Nabil Mouline («Drapeaux du Maroc », Sochepress éditions, 2023). Le drapeau? Ce n’est, pourrait-on dire, qu’une pièce d’étoffe attachée à une hampe, un long manche en bois. Mais il est autre chose: il représente une personne morale. Il est surtout une projection identitaire. Il symbolise des valeurs, il est porteur de sens, il a une fonction sociale. Il est objet de fierté, de passion, de déchirement ou de rassemblement. Il est l’emblème d’une nation.
Tous les Marocains connaissent leur drapeau, rouge, frappé d’un pentagramme vert. Depuis plus d’un siècle -1915 précisément, il présente cette identité. Mais il se distingue par une histoire plus que millénaire, avec des variations et des strates symboliques liées à des séquences multiples. Pour l’auteur, «l’histoire et la signification du drapeau marocain restent une énigme: si tout le monde le reconnaît, seule une petite minorité peut prétendre le connaître vraiment». D’où l’intérêt de cet ouvrage qui se propose d’appréhender les multiples facettes et phases d’une appropriation culturelle, symbolique et nationale.
Mais d’où vient l’origine du drapeau? Il est lié à l’art de la guerre: il est ainsi un signe d’identification, aussi considéré comme «une sorte de talisman», protégeant les combattants et incarnant la force et la cohérence des combattants. Avec les monarques, il prend un caractère particulier, en ce sens qu’il devient un attribut de pouvoir. En terre d’Islam, les usages du drapeau vont s’uniformiser à travers les siècles. Il faudra en effet attendre les Abbassides (750-1258) pour davantage de clarté -la couleur noire, comme signe de ralliement et de mobilisation. Les Omeyyades d’Andalousie (756-1031) et les Fatimides (909-1171) adoptent, eux, la couleur blanche, un choix d’indépendance assorti sans doute de prétentions califales.
Question de statut donc. Ibn Khaldouôn, cité par l’auteur, s’en est expliqué à propos des emblèmes de la royauté. Le Souverain a besoin de se distinguer par «l’amour du faste et de l’ostentation». À ce titre, dans le registre des privilèges de la souveraineté, il faut mentionner «le droit de déployer des drapeaux et des étendards, de faire battre les tambours et de faire sonner des trompettes et des cors…». La pratique historique de ce droit a été variable, suivant les dynasties et les empires. Mais a toujours prévalu finalement l’emploi des emblèmes dans les schémas guerriers.
Cela dit, la chronologie des drapeaux du Maroc se décline autour de nombreuses périodes. Celles des Almoravides (1040-1147), des Almohades (I120-1269), des Mérinides (1244-1465), des Zaydanides (1510- 1658) et celle des Alaouites, depuis 1640. Cette nouvelle dynastie ne reprend pas al’Alam al-mansour, «symbole califal par excellence depuis plusieurs des siècles». Elle le remplace par un drapeau vert, utilisé par des grandes confréries soufies. Pour la population, la couleur verte est celle du jihad. La nouvelle maison régnante monopolise ainsi l’usage du drapeau vert, fait prévaloir également sa sacralité et «sa suprématie en tant que dépositrice exclusive de l’héritage temporel et spirituel de la prophétie».
Tous les Marocains connaissent leur drapeau, rouge, frappé d’un pentagramme vert. Depuis plus d’un siècle -1915 précisément, il présente cette identité. Mais il se distingue par une histoire plus que millénaire, avec des variations et des strates symboliques liées à des séquences multiples. Pour l’auteur, «l’histoire et la signification du drapeau marocain restent une énigme: si tout le monde le reconnaît, seule une petite minorité peut prétendre le connaître vraiment». D’où l’intérêt de cet ouvrage qui se propose d’appréhender les multiples facettes et phases d’une appropriation culturelle, symbolique et nationale.
Mais d’où vient l’origine du drapeau? Il est lié à l’art de la guerre: il est ainsi un signe d’identification, aussi considéré comme «une sorte de talisman», protégeant les combattants et incarnant la force et la cohérence des combattants. Avec les monarques, il prend un caractère particulier, en ce sens qu’il devient un attribut de pouvoir. En terre d’Islam, les usages du drapeau vont s’uniformiser à travers les siècles. Il faudra en effet attendre les Abbassides (750-1258) pour davantage de clarté -la couleur noire, comme signe de ralliement et de mobilisation. Les Omeyyades d’Andalousie (756-1031) et les Fatimides (909-1171) adoptent, eux, la couleur blanche, un choix d’indépendance assorti sans doute de prétentions califales.
Question de statut donc. Ibn Khaldouôn, cité par l’auteur, s’en est expliqué à propos des emblèmes de la royauté. Le Souverain a besoin de se distinguer par «l’amour du faste et de l’ostentation». À ce titre, dans le registre des privilèges de la souveraineté, il faut mentionner «le droit de déployer des drapeaux et des étendards, de faire battre les tambours et de faire sonner des trompettes et des cors…». La pratique historique de ce droit a été variable, suivant les dynasties et les empires. Mais a toujours prévalu finalement l’emploi des emblèmes dans les schémas guerriers.
Cela dit, la chronologie des drapeaux du Maroc se décline autour de nombreuses périodes. Celles des Almoravides (1040-1147), des Almohades (I120-1269), des Mérinides (1244-1465), des Zaydanides (1510- 1658) et celle des Alaouites, depuis 1640. Cette nouvelle dynastie ne reprend pas al’Alam al-mansour, «symbole califal par excellence depuis plusieurs des siècles». Elle le remplace par un drapeau vert, utilisé par des grandes confréries soufies. Pour la population, la couleur verte est celle du jihad. La nouvelle maison régnante monopolise ainsi l’usage du drapeau vert, fait prévaloir également sa sacralité et «sa suprématie en tant que dépositrice exclusive de l’héritage temporel et spirituel de la prophétie».
Le drapeau comme charge symbolique perd quelque peu sa centralité à la fin du 18ème siècle et au début du 19ème siècle. Cela tient à certaines vicissitudes politiques de l’époque, mais aussi à la volonté de centralisation des Alaouites comme «la marque distinctive de la souveraineté». Les sultans imposent finalement le rouge: il est associé à la vie, à la force, à la gloire et au sacrifice -il incite à l’action. Mais durant le 19ème siècle, les drapeaux vert et rouge cohabitent et sont mis en valeur -ensemble ou séparément- lors des cérémonies officielles. Le vert est l’ambition d’incarner l’autorité religieuse en tant que koutb. Le rouge est, quant à lui, le désir ou la volonté de monopoliser le pouvoir politique.
Avec la période contemporaine, le drapeau rouge est le symbole de l’indépendance du Maroc, de l’unité nationale et de l’égalité entre les Marocains. Une forme d’expression symbolique, une nouvelle identité du Maroc, une modernité à l’ordre du jour. Un changement pratiquement copernicien décliné autour du Sultan, mais avec une «centralité en faveur de la nation, du fait du transfert de la souveraineté au peuple et le pouvoir à l′État». L’auteur rappelle que le nouveau drapeau de l’Empire chérifien a été publié au Bulletin officiel et scellé par le Sultan Moulay Youssef en novembre 1915. Ce sera l’emblème rouge avec, au centre, une étoile à cinq branches. Le chiffre cinq est étroitement lié à l’islam: les cinq piliers, les cinq membres de la famille sacrée (le Prophète, Fâtima, ‘Ali, al-Hassan et al-Housayn), les cinq prières, les cinq clés du mystère coranique, etc.
Le drapeau va faire l’objet d’une appropriation par le nationalisme marocain, effervescent durant le Protectorat. Il est brandi dans toutes les manifestations et de manière encore plus marquée lors de la première célébration de la Fête du Trône, en 1934. Il devient un véritable emblème national flottant au fronton des édifices publics, dans les échoppes, les maisons et les ruelles. Il est porté par une lame de fond d’émancipation et de libération. Mohammed V ordonne de le hisser sur l’un des pavillons du palais de Rabat à l’occasion d’une cérémonie officielle, le 19 mai 1947. Un État-nation émerge, qui va arracher son indépendance en 1956.
Le drapeau marocain va ensuite retrouver toute sa fonction historique et politique lors de la Marche verte de novembre 1975. Une épopée où 350.000 marcheurs, répondant à l’appel du Roi Hassan II, franchissent les frontières de l’ex-Sahara occidental sous occupation espagnole, pour parachever l’intégrité territoriale du Royaume. Leurs armes? Le Coran dans une main et le drapeau dans l’autre. La nation comme communauté organique prend en main son destin. Aujourd’hui, une grammaire du drapeau est présente et structurante dans le champ politique et émotionnel du peuple marocain. Elle s’exprime en différentes circonstances, notamment en décembre 2022, avec les victoires des Lions de l’Atlas à la Coupe du monde au Qatar. Un langage commun. Et un référentiel partagé.
Le drapeau marocain, hier et aujourd’hui? N’est-ce pas en dernière analyse une histoire plurielle à découvrir ou à redécouvrir? Un livre stimulant, renouvelant bien des approches historiques, avec des pistes et des clés d’une meilleure appréhension des passés marocains.
Avec la période contemporaine, le drapeau rouge est le symbole de l’indépendance du Maroc, de l’unité nationale et de l’égalité entre les Marocains. Une forme d’expression symbolique, une nouvelle identité du Maroc, une modernité à l’ordre du jour. Un changement pratiquement copernicien décliné autour du Sultan, mais avec une «centralité en faveur de la nation, du fait du transfert de la souveraineté au peuple et le pouvoir à l′État». L’auteur rappelle que le nouveau drapeau de l’Empire chérifien a été publié au Bulletin officiel et scellé par le Sultan Moulay Youssef en novembre 1915. Ce sera l’emblème rouge avec, au centre, une étoile à cinq branches. Le chiffre cinq est étroitement lié à l’islam: les cinq piliers, les cinq membres de la famille sacrée (le Prophète, Fâtima, ‘Ali, al-Hassan et al-Housayn), les cinq prières, les cinq clés du mystère coranique, etc.
Le drapeau va faire l’objet d’une appropriation par le nationalisme marocain, effervescent durant le Protectorat. Il est brandi dans toutes les manifestations et de manière encore plus marquée lors de la première célébration de la Fête du Trône, en 1934. Il devient un véritable emblème national flottant au fronton des édifices publics, dans les échoppes, les maisons et les ruelles. Il est porté par une lame de fond d’émancipation et de libération. Mohammed V ordonne de le hisser sur l’un des pavillons du palais de Rabat à l’occasion d’une cérémonie officielle, le 19 mai 1947. Un État-nation émerge, qui va arracher son indépendance en 1956.
Le drapeau marocain va ensuite retrouver toute sa fonction historique et politique lors de la Marche verte de novembre 1975. Une épopée où 350.000 marcheurs, répondant à l’appel du Roi Hassan II, franchissent les frontières de l’ex-Sahara occidental sous occupation espagnole, pour parachever l’intégrité territoriale du Royaume. Leurs armes? Le Coran dans une main et le drapeau dans l’autre. La nation comme communauté organique prend en main son destin. Aujourd’hui, une grammaire du drapeau est présente et structurante dans le champ politique et émotionnel du peuple marocain. Elle s’exprime en différentes circonstances, notamment en décembre 2022, avec les victoires des Lions de l’Atlas à la Coupe du monde au Qatar. Un langage commun. Et un référentiel partagé.
Le drapeau marocain, hier et aujourd’hui? N’est-ce pas en dernière analyse une histoire plurielle à découvrir ou à redécouvrir? Un livre stimulant, renouvelant bien des approches historiques, avec des pistes et des clés d’une meilleure appréhension des passés marocains.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Le 360