Cher Tahar
J’ai lu avec plaisir et beaucoup d’intérêt ton ouvrage intitulé « Dictionnaire amoureux du Maroc », instructif et distrayant, qui présente « ce Maroc que nous aimons tant et qui nous rend vivants », comme tu l’écris si sincèrement dans la dédicace de l’exemplaire que tu as eu la bienveillance de m’offrir.
J’ai longtemps hésité à écrire cette lettre et longtemps hésité à la publier dans mon site préféré (Quid.ma). Hésité à l’écrire, parce que ce Maroc « est-ce Maroc personnel, profond et intérieur que tu portes en toi ... » depuis la naissance dont je respecte l’intense et sincère spécificité. Hésité à la publier, parce que je publie peu, habité par un devoir de réserve exigeant.
Pourquoi, pour une fois transcender cet impératif ? Parce que comme toi, à la Faculté des Lettres de Rabat où nous étions condisciples, nous avions suivi assidûment les cours de Roland Barthes et appris qu’une œuvre publiée ne reste plus la propriété de celui qui l’a écrite, mais devient celle de celui qui la lit et la « réécrit » en quelque sorte en la « lisant ».
Parce que « Verba Manant » (les écrits restent) quand les paroles s’envolent (Scripta Volent) comme le dit le proverbe latin. Parce que surtout tu as eu l’amitié de me confier qu’il se pourrait qu’il y ait une réédition, et cette confidence m’autorise à croire que tu accueilleras avec bonté, indulgence et générosité, les modestes observations et commentaires sur quelques entrées qui dans la deuxième édition pourrait être complétées, enrichies voire modifiées ou supprimées.
Parce qu’enfin, certaines d’entre elles peuvent peiner tous ceux qui comme toi aiment leur Maroc et en font passionnément la défense et l’illustration auprès de lecteurs avertis et surtout auprès de ceux qui ne le sont pas.
Entrée : B
Burqa
Ce mot dans un dictionnaire amoureux du Maroc surprend. Il est étranger à notre langue dialectale comme est étranger le vêtement qu’il nomme. Certes, une frange marginale de la population le porte, égarée par un prosélytisme désespérant, qui brouille un peu le paysage, à la plage ou à la ville.
Il est si étranger que dans le passage qui lui est consacré, le mot naturel dans l’habillement traditionnel « djellaba » surgit (l’illustration ne représente pas non plus la Burqa, mais bien la djellaba et le litham) comme si cette soudaine apparition est une revanche de l’authentique sur l’étranger. A la page 204 l’entrée consacrée au mot djellaba nous aurait dispensé de l’entrée Burqa.
Le mot « Haïk » aurait eu aussi sa place dans ce dictionnaire, moins présent, certes, dans notre quotidienneté urbaine, mais toujours visible dans notre environnement rural. Quant aux faits divers inquiétants que tu évoques, ils furent conjoncturels, non structurels. Si la burqa séduit encore quelques déviants, la djellaba, utilisée par les hommes comme par les femmes séduit l’univers de la mode nationale et internationale et fera sûrement dans un dictionnaire des modes une entrée flamboyante. Comme le laisse prévoir l’illustration choisie pour cette entrée.
Entrée : C
Chanson
Le pluriel aurait mieux convenu. « Le meuble faisant fonction de radio », qui diffusait aussi des émissions politiques et culturelles surtout celles qui parvenaient du Caire, diffusait comme tu le rappelles si justement des chansons populaires, celles de Haja Hamdaouia, de Hocine Slaoui, les débuts de Abdelwahab Doukkali, ou autres Abdelhadi Belkhayat. Diffusait aussi la musique andalouse et le Malhoun. Peut-être que pour décrire notre univers musical, une entrée Malhoun aurait été plus appropriée. Justice aurait été ainsi rendue à un art poético-musical populaire, forme d’expression artistique, considérée comme élément constitutif de notre identité culturelle.
L’UNESCO vient de l’inscrire sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, reconnaissant qu’il « aborde tous les aspects de la vie (...) Les vers sont chantés en arabe et parfois en hébreu. Ils sont accompagnés de musique jouée sur des instruments traditionnels, notamment le luth, le violon, le rebab et de petits tambours. Parmi les motifs populaires, on trouve l’amour, les joies de la vie, la beauté des gens, la nature, les prières, les supplications religieuses, le plaisir et la fête, la gastronomie, les voyages imaginaires, les évènements politiques et les questions sociales (…)
Les poèmes véhiculent également des messages moraux et encouragent à un discours constructif. Alliant chant, théâtre, métaphore et symbolisme dans un langage accessible et une ambiance festive, le Malhoun réunit tous les Marocains (…) ». Il est au Maroc une des sources des expressions théâtrale et musicale. De la parole malhounienne est né le théâtre de Tayyeb Seddiki. Du théâtre de cet immense artiste sont nés Nass EL Ghiwane, Jil Jilala, Elmchaheb, une période d’enchantement artistique.
Peut-être que Tayeb Seddiki mérite-t-il une entrée aux côtés de Amran El Maleh, Barbey Bruno, Pierre Bergé, BHL., Bowles Paul, Charles-Roux Edmonde, Darc Mireille. Eberhard Isabelle, Gad Elmaleh. Giacometti et autres célébrités auxquelles tu as consacré des entrées dans ce dictionnaire amoureux de notre Maroc.
J’ai lu avec plaisir et beaucoup d’intérêt ton ouvrage intitulé « Dictionnaire amoureux du Maroc », instructif et distrayant, qui présente « ce Maroc que nous aimons tant et qui nous rend vivants », comme tu l’écris si sincèrement dans la dédicace de l’exemplaire que tu as eu la bienveillance de m’offrir.
J’ai longtemps hésité à écrire cette lettre et longtemps hésité à la publier dans mon site préféré (Quid.ma). Hésité à l’écrire, parce que ce Maroc « est-ce Maroc personnel, profond et intérieur que tu portes en toi ... » depuis la naissance dont je respecte l’intense et sincère spécificité. Hésité à la publier, parce que je publie peu, habité par un devoir de réserve exigeant.
Pourquoi, pour une fois transcender cet impératif ? Parce que comme toi, à la Faculté des Lettres de Rabat où nous étions condisciples, nous avions suivi assidûment les cours de Roland Barthes et appris qu’une œuvre publiée ne reste plus la propriété de celui qui l’a écrite, mais devient celle de celui qui la lit et la « réécrit » en quelque sorte en la « lisant ».
Parce que « Verba Manant » (les écrits restent) quand les paroles s’envolent (Scripta Volent) comme le dit le proverbe latin. Parce que surtout tu as eu l’amitié de me confier qu’il se pourrait qu’il y ait une réédition, et cette confidence m’autorise à croire que tu accueilleras avec bonté, indulgence et générosité, les modestes observations et commentaires sur quelques entrées qui dans la deuxième édition pourrait être complétées, enrichies voire modifiées ou supprimées.
Parce qu’enfin, certaines d’entre elles peuvent peiner tous ceux qui comme toi aiment leur Maroc et en font passionnément la défense et l’illustration auprès de lecteurs avertis et surtout auprès de ceux qui ne le sont pas.
Entrée : B
Burqa
Ce mot dans un dictionnaire amoureux du Maroc surprend. Il est étranger à notre langue dialectale comme est étranger le vêtement qu’il nomme. Certes, une frange marginale de la population le porte, égarée par un prosélytisme désespérant, qui brouille un peu le paysage, à la plage ou à la ville.
Il est si étranger que dans le passage qui lui est consacré, le mot naturel dans l’habillement traditionnel « djellaba » surgit (l’illustration ne représente pas non plus la Burqa, mais bien la djellaba et le litham) comme si cette soudaine apparition est une revanche de l’authentique sur l’étranger. A la page 204 l’entrée consacrée au mot djellaba nous aurait dispensé de l’entrée Burqa.
Le mot « Haïk » aurait eu aussi sa place dans ce dictionnaire, moins présent, certes, dans notre quotidienneté urbaine, mais toujours visible dans notre environnement rural. Quant aux faits divers inquiétants que tu évoques, ils furent conjoncturels, non structurels. Si la burqa séduit encore quelques déviants, la djellaba, utilisée par les hommes comme par les femmes séduit l’univers de la mode nationale et internationale et fera sûrement dans un dictionnaire des modes une entrée flamboyante. Comme le laisse prévoir l’illustration choisie pour cette entrée.
Entrée : C
Chanson
Le pluriel aurait mieux convenu. « Le meuble faisant fonction de radio », qui diffusait aussi des émissions politiques et culturelles surtout celles qui parvenaient du Caire, diffusait comme tu le rappelles si justement des chansons populaires, celles de Haja Hamdaouia, de Hocine Slaoui, les débuts de Abdelwahab Doukkali, ou autres Abdelhadi Belkhayat. Diffusait aussi la musique andalouse et le Malhoun. Peut-être que pour décrire notre univers musical, une entrée Malhoun aurait été plus appropriée. Justice aurait été ainsi rendue à un art poético-musical populaire, forme d’expression artistique, considérée comme élément constitutif de notre identité culturelle.
L’UNESCO vient de l’inscrire sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, reconnaissant qu’il « aborde tous les aspects de la vie (...) Les vers sont chantés en arabe et parfois en hébreu. Ils sont accompagnés de musique jouée sur des instruments traditionnels, notamment le luth, le violon, le rebab et de petits tambours. Parmi les motifs populaires, on trouve l’amour, les joies de la vie, la beauté des gens, la nature, les prières, les supplications religieuses, le plaisir et la fête, la gastronomie, les voyages imaginaires, les évènements politiques et les questions sociales (…)
Les poèmes véhiculent également des messages moraux et encouragent à un discours constructif. Alliant chant, théâtre, métaphore et symbolisme dans un langage accessible et une ambiance festive, le Malhoun réunit tous les Marocains (…) ». Il est au Maroc une des sources des expressions théâtrale et musicale. De la parole malhounienne est né le théâtre de Tayyeb Seddiki. Du théâtre de cet immense artiste sont nés Nass EL Ghiwane, Jil Jilala, Elmchaheb, une période d’enchantement artistique.
Peut-être que Tayeb Seddiki mérite-t-il une entrée aux côtés de Amran El Maleh, Barbey Bruno, Pierre Bergé, BHL., Bowles Paul, Charles-Roux Edmonde, Darc Mireille. Eberhard Isabelle, Gad Elmaleh. Giacometti et autres célébrités auxquelles tu as consacré des entrées dans ce dictionnaire amoureux de notre Maroc.
Entrée : D
Désert
Le désert marocain n’est que partiellement décrit dans cette entrée. Tu en parles plus longuement et avec ferveur dans l’entrée Sahara.
J.M.G Le Clézio, Prix Nobel, aussi amoureux sinon plus du Maroc que les écrivains et artistes que tu cites, lui a consacré un roman puissant, justement intitulé « Désert ». A lire et à relire, et à conseiller à tous ceux qui sont amoureux du Maroc et de son désert. Je ne pense pas exagérer en affirmant que cette lecture évoquerait intensément en chacun de nous la vigueur de l’affluent « saharo-hassani » de notre identité. La présence du Maroc dans l’œuvre de cet écrivain à « l’identité nomade » (titre de son dernier ouvrage) émeut.
Il mérite d’être présent dans un dictionnaire sur le Maroc un peu plus que ceux chez qui cette présence est parcimonieuse, presque absente. Deux autres de ses écrits s’inspirent du Maroc : « Printemps et autres saisons » et « Poisson d’or ». Les héroïnes sont trois femmes marocaines d’une ténacité qui force l’admiration au point que je me suis demandé si J.M.G. Le Clezio n’a pas prêté son art aux contes et légendes de son épouse marocaine.
« Désert » est le récit d’une épopée, une longue marche des tribus, leur courage, leur dignité, remontant vers le nord fuyant l’oppression coloniale, univers d’émotions et de spiritualité dans une alternance entre l’évocation d’un passé lumineux et du présent colonial douloureusement pathétique. Le Clézio serait-il un écrivain français d’inspiration marocaine ? Le citer dans une entrée ou lui en consacrer une dans un « Dictionnaire amoureux du Maroc » aurait été légitime.
Entrée : E
Eberhart, Isabelle
Cette aventurière controversée, peut-être un peu espionne, mérite-t-elle de figurer dans ton dictionnaire ? Son aventure amoureuse avec Lyautey est pure légende bien qu’il ait un jour dit « Elle était ce qui m’attire le plus au monde ». Je ne crois pas que dans ses pérégrinations, elle ait traversé le Maroc du Nord au Sud. C’est plutôt vrai pour l’Algérie et c’est en Algérie qu’elle aurait rencontré Lyautey, pas encore général, affecté dans le Sud de ce pays en Novembre 1903, et c’est dans cette région qu’il a fait rechercher sa dépouille. Était-elle la première écrivaine maghrébine d’expression française ? Je veux bien le croire.
Fallait-il lui consacrer une entrée ? Ses « aventures » avaient été plutôt « algériennes ».
Entrées : M
Mekouar Zineb. Mernissi Fatema. Morsy Zaghloul
Le hasard a voulu que dans l’entrée M le lecteur rencontre trois écrivains :
Morsy Zaghloul, notre regretté professeur
Mernissi Fatéma, notre regrettée amie
Mekouar Zineb, que je ne connais pas
La comparaison s’est imposée à moi pour une raison simple. Pourquoi Mékouar a bénéficié d’un texte de 3913 caractères comparée à Mernissi 2756 caractères et à Morsy, 876 caractères.
Tout le monde connaît Fatéma Mernissi. Zaghloul Morsy a formé des générations. Zineb Mékouar selon le portrait que tu fais d’elle est une jeune écrivaine, autrice d’un premier roman plaisant, appelée peut-être à un grand avenir, mais que peu de gens connaissent ou ont lu au Maroc, sûrement moins que Yasmina Chami dont le récit « Cérémonie » a suscité des vocations chez des aspirantes écrivaines lors de son passage dans Apostrophes.
L’éloge que tu fais de F. Mernissi est pathétique. Toutefois, son œuvre que tu cites n’est guère la plus réussie, mais plutôt « Rêves de femmes », une autobiographie qui évoque le destin de femmes marocaines. Surtout son essai « Le Harem pluriel », qui vient d’être interdit au Salon du livre du Caire. Une velléité d’interdiction a bien eu lieu à sa publication chez nous, mais la censure de l’époque s’est très vite rendu compte que l’on ne censure pas Fatèma Mernissi.
De Zaghloul Morsy, notre professeur en propédeutique mais aussi en licence, tu dis : « C’était un poète rare ». Cette appréciation juste aurait suffi parce que son portrait de quelques lignes dans ce dictionnaire est imprécis et surtout incomplet. C’était aussi un « pédagogue rare », exigeant, « maîtres es langue française », qui ne supportait pas l’écriture flottante, capricieuse, incertaine. Il privilégiait le mot juste, unique et irremplaçable.
Il fut « faiseur de poètes » et eut comme disciples Abdelatif Laabi et Mohammed Loakira (que le paysage poétique marocain vient de perdre …), Driss Bellamine. Il « fut un éveilleur de consciences » incomparable. Il nous a certes appris à lire Montaigne. Mais, avant tout autre historien de sciences politiques, il nous a conseillé de lire l’essai « La Crise de la conscience européenne » de Paul Hasard, publié en 1935 pour comprendre les bouleversements que nous vivions dans les années 60 du siècle dernier.
Il fut enfin « un romancier rare » accompli, distingué, et magistral. Tu affirmes que son recueil « D’un soleil réticent » publié chez Grasset (1969) est son SEUL livre publié et écrit en français. Il a publié d’autres recueils, « Gué du temps », « la Pente », « les Crépuscules », une anthologie sur la Tolérance, une étude sur les « Penseurs » sur l’éducation (4 volumes) et un roman décisif dans la littérature maghrébine de langue française intitulé « Ishmael ou l’exil ».
Un roman qui aurait dû être primé comme il l’espérait (selon une confidence qu’il m’avait faite avant publication). Mais ne le fut pas. Roman qui fut ignoré, qui continue à l’être.
Ce fut, je le crois, le drame de sa vie. On ne résume pas « Ishmael ou l’exil ». On le lit avec patience et délectation. C’est l’histoire (la sienne) d’une passion d’un professeur pour son étudiante qui se trouve être juive marocaine. (Je fus observateur inquiet de cette passion dévastatrice).
C’est un amour interdit, condamné. Il y a dans ce récit des morceaux d’anthologie inoubliables, comme cette vente aux enchères dans un hôtel célèbre de Casablanca, une soirée tumultueuse chez un magnat de la même ville, ou cette traversée de Marrakech par le personnage principal, alors enfant, lauréat heureux de l’école coranique de son quartier. Un roman « total » qui ressuscite les années soixante du siècle dernier, décrit avec une nostalgie amère l’affaissement et le découragement d’une société, ses utopies, ses désillusions, dans une tentative désespérée de reconstitution de soi par une introspection douloureuse, pathétique. Mais la postérité a des tours et des détours bien impénétrables.
L’ouvrage est resté méconnu, à cause peut être d’une effervescence linguistique épuisante pour le lecteur, d’une ivresse surprenante des mots qui n’étonnera pas ceux qui ont connu Zaghloul Morsy. Sommes-nous dans ce roman en face d’un poète qui n’a pas su se libérer ni se débarrasser de la virtuosité poétique pour maîtriser la construction romanesque ? Peut-être. Mais la réussite créatrice est là que n’ont perçu ni les critiques pressés, ni les jurys sous influence.
Entrée : R
Rabat
C’est peine de constater que 80 mots ont suffi à peine dans cette entrée pour évoquer et décrire Rabat, capitale du Maroc. Quand il a fallu 103 pour Asilah, 507 pour Essaouira, 157 pour Larache, 90 pour Ouarzazate, 101 pour Taghazout. Quant aux grandes villes auxquelles le lecteur serait tenté de comparer Rabat, ce sont 285 mots pour Agadir, 1840 pour Casablanca, 861 pour Fès, 1414 pour Marrakech, 3258 pour Tanger. Il ressort de ces statistiques que Rabat, comme je l’avais écrit dans une des chroniques consacrées à mon amour pour ma ville, que Rabat reste peu aimée ou est toujours mal-aimée.
Pourtant, elle est une des plus belles cités, capitale flamboyante d’un royaume aux mille mystères et aux mille couleurs. Elle est la plus belle réussite architecturale depuis sa fondation à nos jours, la plus agréable où vivre, parce que la plus verdoyante dont les jardins luxuriants invitent ses habitants à des marches sportives, des déambulations méditatives, des promenades amoureuses, aussi la plus intellectuelle, frondeuse certes, comme assagie comme le deviennent les capitales. Toute l’histoire du Royaume la traverse, y est écrite. Mais peu savent la lire, la déchiffrer pour apprendre à l’aimer.
Contrairement à ce qu’affirme le texte, elle a beaucoup changé, telle qu’en elle-même enfin son charme séduit, semblable à elle-même, et reste étrange et étrangère à toutes les autres. Tout un dictionnaire lui est dédié. Il s’intitule « Parcours amoureux de Rabat », un beau livre publié chez « Bouillon de culture » qui dévoile ses secrets, et révèle ses mystères et raconte ses enchantements.
Tu me vois attristé, cher Taher, de constater une si belle initiative nécessiter les quelques aménagements que je te propose. Il y a d’autres entrées qui auraient pu être élues comme Afrique dans A où elle avait sa place, ou Méditerranée dans M, ou Tayeb Seddiki, le Molière marocain, pour T… afin que l’objectif souhaité soit encore plus atteint : faire aimer le Maroc.
Je suis persuadé que tu accueilleras et accepteras cette chronique avec indulgence parce que tu sais combien nous sommes engagés de nos jours dans ce monde submergé d’images dans une « bataille des signes » (l’expression est de Jacques Berque), de représentations où chaque mot, chaque écrit, chaque image peut enchanter et charmer, ou au contraire embrumer et chagriner.
Réponse de Tahar Benjelloun
Un grand merci mon cher Abdeljalil. Ta lecture si précise, si pertinente m'a enchantée ; je suis d'accord avec ce que tu proposes. Je ferai ces ajouts et certaines rectifications dans une prochaine réimpression. Pour Rabat, tu as raison, mais elle a tellement changé que je n'ai pas retrouvé la ville de notre jeunesse. Merci pour ce que tu m'apprends de Zagloul Morsy, un homme élégant, et qui a eu sur moi une influence immense. Il mérite une plus longue entrée. Il manque aussi l'Académie royale que je ne connaissais pas assez au moment de la rédaction de cet ouvrage. Bien sûr Tayeb Saddiki manque et bien d'autres comme Mohamed Loakira dont la disparition m'a beaucoup attristé.
Ta lecture est pour moi exceptionnelle. Sa Majesté m'a écrit une belle lettre, mais sans entrer dans les détails. Merci encore et je ne manquerai pas de tenir compte scrupuleusement de tes remarques si justes et précieuses.
A très bientôt mon ami
Désert
Le désert marocain n’est que partiellement décrit dans cette entrée. Tu en parles plus longuement et avec ferveur dans l’entrée Sahara.
J.M.G Le Clézio, Prix Nobel, aussi amoureux sinon plus du Maroc que les écrivains et artistes que tu cites, lui a consacré un roman puissant, justement intitulé « Désert ». A lire et à relire, et à conseiller à tous ceux qui sont amoureux du Maroc et de son désert. Je ne pense pas exagérer en affirmant que cette lecture évoquerait intensément en chacun de nous la vigueur de l’affluent « saharo-hassani » de notre identité. La présence du Maroc dans l’œuvre de cet écrivain à « l’identité nomade » (titre de son dernier ouvrage) émeut.
Il mérite d’être présent dans un dictionnaire sur le Maroc un peu plus que ceux chez qui cette présence est parcimonieuse, presque absente. Deux autres de ses écrits s’inspirent du Maroc : « Printemps et autres saisons » et « Poisson d’or ». Les héroïnes sont trois femmes marocaines d’une ténacité qui force l’admiration au point que je me suis demandé si J.M.G. Le Clezio n’a pas prêté son art aux contes et légendes de son épouse marocaine.
« Désert » est le récit d’une épopée, une longue marche des tribus, leur courage, leur dignité, remontant vers le nord fuyant l’oppression coloniale, univers d’émotions et de spiritualité dans une alternance entre l’évocation d’un passé lumineux et du présent colonial douloureusement pathétique. Le Clézio serait-il un écrivain français d’inspiration marocaine ? Le citer dans une entrée ou lui en consacrer une dans un « Dictionnaire amoureux du Maroc » aurait été légitime.
Entrée : E
Eberhart, Isabelle
Cette aventurière controversée, peut-être un peu espionne, mérite-t-elle de figurer dans ton dictionnaire ? Son aventure amoureuse avec Lyautey est pure légende bien qu’il ait un jour dit « Elle était ce qui m’attire le plus au monde ». Je ne crois pas que dans ses pérégrinations, elle ait traversé le Maroc du Nord au Sud. C’est plutôt vrai pour l’Algérie et c’est en Algérie qu’elle aurait rencontré Lyautey, pas encore général, affecté dans le Sud de ce pays en Novembre 1903, et c’est dans cette région qu’il a fait rechercher sa dépouille. Était-elle la première écrivaine maghrébine d’expression française ? Je veux bien le croire.
Fallait-il lui consacrer une entrée ? Ses « aventures » avaient été plutôt « algériennes ».
Entrées : M
Mekouar Zineb. Mernissi Fatema. Morsy Zaghloul
Le hasard a voulu que dans l’entrée M le lecteur rencontre trois écrivains :
Morsy Zaghloul, notre regretté professeur
Mernissi Fatéma, notre regrettée amie
Mekouar Zineb, que je ne connais pas
La comparaison s’est imposée à moi pour une raison simple. Pourquoi Mékouar a bénéficié d’un texte de 3913 caractères comparée à Mernissi 2756 caractères et à Morsy, 876 caractères.
Tout le monde connaît Fatéma Mernissi. Zaghloul Morsy a formé des générations. Zineb Mékouar selon le portrait que tu fais d’elle est une jeune écrivaine, autrice d’un premier roman plaisant, appelée peut-être à un grand avenir, mais que peu de gens connaissent ou ont lu au Maroc, sûrement moins que Yasmina Chami dont le récit « Cérémonie » a suscité des vocations chez des aspirantes écrivaines lors de son passage dans Apostrophes.
L’éloge que tu fais de F. Mernissi est pathétique. Toutefois, son œuvre que tu cites n’est guère la plus réussie, mais plutôt « Rêves de femmes », une autobiographie qui évoque le destin de femmes marocaines. Surtout son essai « Le Harem pluriel », qui vient d’être interdit au Salon du livre du Caire. Une velléité d’interdiction a bien eu lieu à sa publication chez nous, mais la censure de l’époque s’est très vite rendu compte que l’on ne censure pas Fatèma Mernissi.
De Zaghloul Morsy, notre professeur en propédeutique mais aussi en licence, tu dis : « C’était un poète rare ». Cette appréciation juste aurait suffi parce que son portrait de quelques lignes dans ce dictionnaire est imprécis et surtout incomplet. C’était aussi un « pédagogue rare », exigeant, « maîtres es langue française », qui ne supportait pas l’écriture flottante, capricieuse, incertaine. Il privilégiait le mot juste, unique et irremplaçable.
Il fut « faiseur de poètes » et eut comme disciples Abdelatif Laabi et Mohammed Loakira (que le paysage poétique marocain vient de perdre …), Driss Bellamine. Il « fut un éveilleur de consciences » incomparable. Il nous a certes appris à lire Montaigne. Mais, avant tout autre historien de sciences politiques, il nous a conseillé de lire l’essai « La Crise de la conscience européenne » de Paul Hasard, publié en 1935 pour comprendre les bouleversements que nous vivions dans les années 60 du siècle dernier.
Il fut enfin « un romancier rare » accompli, distingué, et magistral. Tu affirmes que son recueil « D’un soleil réticent » publié chez Grasset (1969) est son SEUL livre publié et écrit en français. Il a publié d’autres recueils, « Gué du temps », « la Pente », « les Crépuscules », une anthologie sur la Tolérance, une étude sur les « Penseurs » sur l’éducation (4 volumes) et un roman décisif dans la littérature maghrébine de langue française intitulé « Ishmael ou l’exil ».
Un roman qui aurait dû être primé comme il l’espérait (selon une confidence qu’il m’avait faite avant publication). Mais ne le fut pas. Roman qui fut ignoré, qui continue à l’être.
Ce fut, je le crois, le drame de sa vie. On ne résume pas « Ishmael ou l’exil ». On le lit avec patience et délectation. C’est l’histoire (la sienne) d’une passion d’un professeur pour son étudiante qui se trouve être juive marocaine. (Je fus observateur inquiet de cette passion dévastatrice).
C’est un amour interdit, condamné. Il y a dans ce récit des morceaux d’anthologie inoubliables, comme cette vente aux enchères dans un hôtel célèbre de Casablanca, une soirée tumultueuse chez un magnat de la même ville, ou cette traversée de Marrakech par le personnage principal, alors enfant, lauréat heureux de l’école coranique de son quartier. Un roman « total » qui ressuscite les années soixante du siècle dernier, décrit avec une nostalgie amère l’affaissement et le découragement d’une société, ses utopies, ses désillusions, dans une tentative désespérée de reconstitution de soi par une introspection douloureuse, pathétique. Mais la postérité a des tours et des détours bien impénétrables.
L’ouvrage est resté méconnu, à cause peut être d’une effervescence linguistique épuisante pour le lecteur, d’une ivresse surprenante des mots qui n’étonnera pas ceux qui ont connu Zaghloul Morsy. Sommes-nous dans ce roman en face d’un poète qui n’a pas su se libérer ni se débarrasser de la virtuosité poétique pour maîtriser la construction romanesque ? Peut-être. Mais la réussite créatrice est là que n’ont perçu ni les critiques pressés, ni les jurys sous influence.
Entrée : R
Rabat
C’est peine de constater que 80 mots ont suffi à peine dans cette entrée pour évoquer et décrire Rabat, capitale du Maroc. Quand il a fallu 103 pour Asilah, 507 pour Essaouira, 157 pour Larache, 90 pour Ouarzazate, 101 pour Taghazout. Quant aux grandes villes auxquelles le lecteur serait tenté de comparer Rabat, ce sont 285 mots pour Agadir, 1840 pour Casablanca, 861 pour Fès, 1414 pour Marrakech, 3258 pour Tanger. Il ressort de ces statistiques que Rabat, comme je l’avais écrit dans une des chroniques consacrées à mon amour pour ma ville, que Rabat reste peu aimée ou est toujours mal-aimée.
Pourtant, elle est une des plus belles cités, capitale flamboyante d’un royaume aux mille mystères et aux mille couleurs. Elle est la plus belle réussite architecturale depuis sa fondation à nos jours, la plus agréable où vivre, parce que la plus verdoyante dont les jardins luxuriants invitent ses habitants à des marches sportives, des déambulations méditatives, des promenades amoureuses, aussi la plus intellectuelle, frondeuse certes, comme assagie comme le deviennent les capitales. Toute l’histoire du Royaume la traverse, y est écrite. Mais peu savent la lire, la déchiffrer pour apprendre à l’aimer.
Contrairement à ce qu’affirme le texte, elle a beaucoup changé, telle qu’en elle-même enfin son charme séduit, semblable à elle-même, et reste étrange et étrangère à toutes les autres. Tout un dictionnaire lui est dédié. Il s’intitule « Parcours amoureux de Rabat », un beau livre publié chez « Bouillon de culture » qui dévoile ses secrets, et révèle ses mystères et raconte ses enchantements.
Tu me vois attristé, cher Taher, de constater une si belle initiative nécessiter les quelques aménagements que je te propose. Il y a d’autres entrées qui auraient pu être élues comme Afrique dans A où elle avait sa place, ou Méditerranée dans M, ou Tayeb Seddiki, le Molière marocain, pour T… afin que l’objectif souhaité soit encore plus atteint : faire aimer le Maroc.
Je suis persuadé que tu accueilleras et accepteras cette chronique avec indulgence parce que tu sais combien nous sommes engagés de nos jours dans ce monde submergé d’images dans une « bataille des signes » (l’expression est de Jacques Berque), de représentations où chaque mot, chaque écrit, chaque image peut enchanter et charmer, ou au contraire embrumer et chagriner.
Réponse de Tahar Benjelloun
Un grand merci mon cher Abdeljalil. Ta lecture si précise, si pertinente m'a enchantée ; je suis d'accord avec ce que tu proposes. Je ferai ces ajouts et certaines rectifications dans une prochaine réimpression. Pour Rabat, tu as raison, mais elle a tellement changé que je n'ai pas retrouvé la ville de notre jeunesse. Merci pour ce que tu m'apprends de Zagloul Morsy, un homme élégant, et qui a eu sur moi une influence immense. Il mérite une plus longue entrée. Il manque aussi l'Académie royale que je ne connaissais pas assez au moment de la rédaction de cet ouvrage. Bien sûr Tayeb Saddiki manque et bien d'autres comme Mohamed Loakira dont la disparition m'a beaucoup attristé.
Ta lecture est pour moi exceptionnelle. Sa Majesté m'a écrit une belle lettre, mais sans entrer dans les détails. Merci encore et je ne manquerai pas de tenir compte scrupuleusement de tes remarques si justes et précieuses.
A très bientôt mon ami