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Débats sociétaux, le gouvernement ne dit rien et la société n'arrive à rien


En naviguant sur la toile ou en lisant des périodiques qui existent encore crânement, un observateur peut avoir le sentiment que ça bouge dans le pays, que la société est parcourue de débats enflammés, de discussions passionnées. Mais constatons… constatons que sitôt lancé, un débat s’arrête, sitôt apparue, une idée a vite disparu, et sitôt allumée, une flamme s’éteint. Phénomène intéressant à étudier, un jour venu, par des sociologues…



A lire ou à écouter en podcast :


Par Aziz Boucetta

Depuis le début de ce siècle, le Maroc vit au rythme d’une société civile animée, engagée, parfois enragée, très souvent enflammée. Deux camps se disputent et parfois même, discutent… Lesdits plutôt progressistes et lesdits globalement conservateurs. Tout tourne autour de ces deux idées, de ces deux postures, et en premier lieu les questions et thématiques liées à la société. Et à la foi.
 

Puis, plus rien… des cris poussés ici et là, des énervements enregistrés un peu partout, des vérités assénées par les uns aux autres, et inversement, sans qu’ils ne s’écoutent. Au lieu de débat, de courtes cacophonies enfiévrées, et c’est tout.
 

Que s’est-il donc produit pour que les choses se calment autant, qu’il n’y ait plus ou presque de grands débats, sachant qu’un grand débat n’est pas un simple jaillissement éphémère d’opinions et de statuts, de commentaires et autres prises de positions, mais au contraire, une chose qui s’inscrit dans le temps, qui est longuement discutée, argumentée, défendue, et ses conclusions, fruits de consensus laborieusement construits, mises en œuvre et appliquées ?… Le rôle de la femme dans la cité, la pertinence de l’existence d’un parti plus ou moins religieux, ou de reliques administratives du siècle dernier se croyant partis politiques, les langues d’apprentissage de l’école à l’université, la normalisation avec Israël, les règles de l’héritage et, plus généralement, le code de la famille, les libertés individuelles, l’épineuse question de l’agriculture et de sa nécessaire réforme face au manque d’eau, la vaste thématique de la non moins vaste communauté des Marocains du monde… Même le roi a dû s’y reprendre à deux reprises avec le gouvernement pour les deux questions éminemment sociétales que sont celles de la communauté marocaine à l’étranger et de la réforme du code de la famille ; d’abord un discours à la nation, ensuite un rappel avec délai.
 

Plusieurs raisons peuvent être avancées à tout cela mais une étude sociologique serait la bienvenue pour expliquer ce qui arrive à nos compatriotes pour escamoter des débats qui, pourtant, feront le lit et la base de la société de demain. Est-ce cette propension à l’immédiateté, et donc à la fugacité, des informations qui affluent d’ici et de là, sur les réseaux ? Est-ce aussi, et toujours dans les réseaux, cette culture de l’oubli des faits et cette habitude de l’information jetable, de la réflexion de surface, qui est véhiculée par les Facebook, X, Instagram, LinkedIn et assimilés… ? Est-ce la très profonde vacuité de la classe politique, ou pusillanime, ou très, trop prudente, ou idéologiquement et culturellement indigente ?

 


Une raison à proposer serait qu’un débat de société doit en principe avoir un prolongement législatif et institutionnel. Dans le cas contraire, il n’aurait pas d’intérêt. Cela suppose une implication de la classe politique, émanation théorique de la société, puis son implication à tous les niveaux territoriaux pour faire sens et donner une territorialité nationale aux débats. Mais cela n’est pas, rien ne se passe, les gens disent ce qu’ils veulent sur ce qu’ils veulent, puis vaquent à leurs occupations, les politiques restant dans leur coin, faisant… de la politique ; les élus locaux sont de culture approximative et les élus nationaux sont pour une très grande part davantage intéressés par eux-mêmes que par leurs électeurs. Il manque à ce pays cette nécessaire passerelle entre la société et la politique, qui nous manque aujourd’hui si cruellement.
 

Le fait d’avoir un gouvernement technocratique depuis trois ans doit jouer un rôle dans cette situation, tant il est vrai que sous la nouvelle constitution, le chef du gouvernement, et donc son cabinet avec lui, détiennent un rôle central dans l’animation du débat national et l’arbitrage entre les idées émises. Mais Aziz Akhannouch, technocrate invétéré, a le nez sur le guidon et les yeux rivés aux chiffres ; il n’a ni le temps, ni ne s’est donné la compétence, de « penser la société », de le dire, de concevoir des idées, de les partager, les discuter et les défendre. Depuis 25 ans, nous n’avons eu en réalité que deux chefs de gouvernement à avoir eu cette capacité et à l’avoir mise en œuvre : Abderrahmane el Youssoufi et Abdelilah Benkirane. Avec leurs méthodes différentes, le premier silencieux, le second tonitruant, ils ont joué leur rôle de premier ministre/chef du gouvernement. Ça bougeait, de leur temps… Avec le gouvernement actuel et son chef, rien, le silence du grand Bleu, qui est aussi la couleur du parti conduisant la majorité.
 

Et pourtant, nous avons des universités et des universitaires, des think tank et leurs légions de penseurs et d’érudits, des partis politiques ou du moins se présentant comme tels et leurs idéologues (pour certains de ces partis seulement, néanmoins…), des associations qui vont du quartier à l’ensemble du territoire, des influenceurs/youtubeurs parfois intelligents, … Mais nous n’avons pas cette chose, cet élément, ce truc qui mettrait tout cela en orchestre…
 

Au final, nous construisons un pays mais pas ses hommes et ses femmes ; car ses hommes et ses femmes ne peuvent se construire et se bâtir que dans un cadre social animé, vivant, où rien n’est imposé, où les choix opérés ont fait l’objet de discussions, puis imprimeront l’esprit des lois à venir. C’est peut-être là la raison qui pousse tant des nôtres à aller ailleurs, y chercher une vie moins monotone, plus colorée, plus diverse et diversifiée (aux dernières nouvelles, ils seraient plus de 6 millions des nôtres à vivre hors des frontières).
 

Dans l’attente de trouver une raison à cette atonie et d’y faire face, de proposer une explication à cette prostration et d’y remédier, continuons d’essayer de débattre et d’ouvrir de grandes réflexions sur nous, notre société, notre passé et notre avenir. Amorcer un débat est toujours meilleur que pas de débat du tout !
 

Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost 




Vendredi 31 Janvier 2025

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