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Où en est-on donc dans la lutte contre la corruption ? Le gouvernement dirigé par la formation islamiste du PFD depuis janvier 2012- Abdellah Benkirane puis Saâdeddine El Othmani depuis mars 2017- avait tant promis ! Qu’en est-il au vrai ? L’état des lieux n’est guère reluisant : tant s’en faut. Ainsi à la fin janvier 2020, Transparency International a publié son classement annuel. Il montre que le Maroc a reculé de 7 places, désormais au 80ème rang sur un total de 180 pays, avec un score de 41 sur 100. Il se situe dans le milieu du tableau de la région Afrique du Nord/ Mena laquelle a une moyenne de 39 sur 100. C’est mieux que l’Algérie et l’Egypte par exemple au 106ème rang mais moins que la Tunisie au 74ème.
La lutte contre la corruption est-elle improbable et pratiquement peu opératoire ? L’on est en droit de formuler cette interrogation de principe. En novembre 2017, le Chef du gouvernement actuel a bien signé un décret mettant sur pied la Commission nationale de lutte contre la corruption. Des engagements internationaux avaient été pris pour la ratification de la Convention des Nations Unies contre la corruption adoptée par l’Assemblée générale (R.584, 31 octobre 2003). Elle n’a été ratifiée par le Maroc qu’en 2017. Et il a fallu attendre près de huit ans pour qu’une stratégie soit définie par le gouvernement le 28 décembre 2015. Dans l’intervalle, la Constitution de juillet 2011 a consacré la création d’une Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte conte la corruption (article 36) avec le détail de sa mission (article 167). Restait le texte législatif à faire adopter par le Parlement.
Là encore, ce qui frappe c’est la lenteur de la procédure… Ce n’est en effet qu’en juin dernier qu’un projet de loi a été adopté par le Gouvernement. Il a été présenté par Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Economie et des Finances, devant la Commission de la justice et de la législation de la Chambre de représentants. Pour l’heure, ce texte est encore dans le circuit législatif, faute d’un accord… au sein de la majorité. Il présente des particularités. Ainsi, la définition même de la corruption est élargie aux infractions administratives et financières détaillées par les dispositions de l’article 23 de la Constitution : conflits d’intérêts, délits d’initié, trafic d’influence et de privilèges, abus de proposition dominante et de monopole, pratiques contraires aux principes de la concurrence libre et loyale dans les relations économiques.
Tout cela, pourrait-ton dire, c’est de l’institutionnel ; il reste à voir comment se fait son application. A la fin de l’année 2019, au Parlement, le débat s’est focalisé sur la pénalisation de l’enrichissement illicite. Ce qui était alors à l’ordre du jour, c’était la délibération sur le projet de loi relatif au code pénal par la Commission de la justice et de la législation de la Chambre des représentants. Un texte qui traînait depuis près de quatre ans… La Commission a connu de profondes divergences conduisant à un nouveau report, le quatrième. Déjà, dans la précédente mandature, les débats avaient été houleux lors de la présentation de ce même texte par l’ex-ministre de la Justice, Mustapha Ramid. Le PAM, par la voix de Abdellatif Ouahbi, avait même demandé la suppression dans le projet réforme de code pénal la suppression des articles relatifs à l’enrichissement illicite. Il avait argué que « ce sujet devait être traité par la Cour des comptes, chargée de réceptionner les déclarations de patrimoine des hauts cadres et des responsables gérant les dernier publics et habilitée à soumettre les dossiers au parquet général, en cas de poursuites judiciaires pour mauvaise gestion de l’argent public ». Le ministre a fini par supprimer la clause des sanctions pénales ; il a aussi restreint les catégories concernées par le texte aux seuls fonctionnaires assujettis à la déclaration obligatoire de patrimoine. Mais l’incrimination d’«enrichissement illicite » restait ambigüe et incertaine.
Mais le même ministre PJD, en charge désormais des Droits de l’homme, s’est de nouveau mobilisé pour défendre devant la Chambre des représentants la thèse de la criminalisation de l’enrichissement illicite. Une question s’est posée : celle du domaine de ses attribuions. Le projet de loi ne relève-t-il pas du département de la Justice dirigé par Mohamed Benabdelkader (USFP) ?
Voilà l’état de la question. Le principe de la reddition des comptes est expressément consacré par la Constitution nationale par rapport à la Convention des Nations unies de 2003, ratifiée par le Maroc en 2007 ; en son article 20, celle-ci prévoit la sanction pénale de toute infraction le fait d’enregistrer intentionnellement un enrichissement illégal.
Le 14 janvier dernier, lors de la séance mensuelle à la Chambres des conseillers, Saâdeddine El Othmani, a martelé qu’il « est inconcevable qu’un projet de loi qui vise à sanctionner l’enrichissement illicite reste bloqué pendant quatre ans au niveau de la Chambre des représentants. Depuis, l’on n’a pas encore enregistré d’avancée dans cette procédure. Cette infraction n’est sans doute pas simple ; elle pose des problèmes juridiques délicats : respect des principes fondamentaux du droit pénal, légalité des délits et des peines, présomption d’innocence, principes constitutionnelles,… Des outils de traçabilité doivent être mis sur pied pour prouver l’origine d’une fortune et partant sa licéité ou son illicéité. Enfin, il faut accentuer la répression alors que la situation créée par la pandémie fait redouter d’ores et déjà, une hausse des malversations et de l’enrichissement illicite.
Publié par Mustapha Shimi le 1er octobre 2020 sur www.quid.ma