Par Aziz Boucetta
Cette « courte visite » au Maroc est en réalité un double évènement : la présence de Xi Jinping sur nos terres et aussi l’émergence progressive et symbolique du prince héritier Moulay el Hassan sur l’échiquier diplomatique du royaume. Tout le monde au Maroc et même ailleurs aura regardé ces images du Prince recevant le président chinois, faisant montre d’habileté tout à fait improvisée pour la séquence des dattes (image), puis devisant paisiblement avec lui. L’histoire politique, monarchique et dynastique du royaume continue de s’écrire.
Au-delà de cela, qu’est venu faire Xi Jinping au Maroc ? Les Marocains, à leur habitude, ne pipent pas mot. Il a fallu aller chercher chez les Chinois, et plus précisément dans leur agence officielle d’information Xinhua, pour avoir des éléments de réponse. Des échanges donc sur la coopération bilatérale, revenant sur les acquis de cette relation, sur la séquence Covid, sur les partenariats conclus et sur les aspects culturels liant les deux pays ; l’investissement est mentionné dans les déclarations du Président et du Prince, de même que, bien évidemment, la Route de la Soie.
M. Xi a indiqué que « la Chine soutient les efforts du Maroc dans la préservation de la sécurité et de la stabilité nationales et est prête à continuer à travailler avec le Maroc pour se soutenir fermement sur les questions concernant leurs intérêts fondamentaux respectifs », ce à quoi Moulay el Hassan a répondu que « la partie marocaine était prête à travailler avec la Chine pour se soutenir mutuellement dans la préservation de la souveraineté nationale, de la sécurité et de la stabilité». Les deux pays ont inscrit en tête de leurs priorités diplomatiques la reconnaissance de leur souveraineté nationale par la communauté internationale, Taiwan pour la Chine, le Sahara pour le Maroc.
Mais pourquoi M. Xi a-t-il donc décidé de faire relâche au Maroc, pour un peu moins de 24 heures, durée trop longue pour une escale technique et trop courte pour une visite officielle ou de travail ? Si aucun avion commercial n’offre de vol direct Rio de Janeiro-Pékin, on peut supposer que l’avion présidentiel chinois, lui, pourrait franchir cette distance sans escale. Et quand bien même il en faudrait une, pourquoi choisir le Maroc ? Pourquoi y passer la nuit ? En diplomatie, rien ne se fait dans l’aléatoire et tout est explicable. Il faut juste disposer des éléments d’explication, ce qui n’est pas le cas. Alors osons la réflexion…
La visite intervient quelques semaines après le triomphe électoral de Donald Trump, version 2024. Un Donald Trump survolté et qui, dès le 21 janvier 2025, disposera pratiquement des pleins pouvoirs. Un Donald Trump qui promet de reprendre son bras de fer avec la Chine, sur Taiwan certes mais aussi sur le reste, l’économie, la technologie, le commerce, et le leadership mondial. Un Donald Trump qui s’entoure d’ores et déjà de pourfendeurs de l’Europe, du libre-échange, de l’OTAN… et de soutiens inconditionnels, quasi obsessionnels, d’Israël.
Quant au Maroc, qui avait durci son ton à l’égard des Européens dès le lendemain de l’Accord tripartite, il se trouve aujourd’hui considérablement renforcé dans son Sahara depuis le spectaculaire changement de politique de la France sur cette question. Aussi, Rabat pourrait anticiper une réaction dure et imprévisible de Donald Trump, qu’on dit déjà « contrarié » par le rapprochement Rabat-Pékin et qui pourrait vouloir imposer un « réchauffement » entre Rabat et Tel Aviv, sous peine de reculer sur un accord qu’il a lui-même signé. Il n’en serait pas à sa première volte-face et il pourrait rejoindre Benyamin Netanyahou dans sa politique de chaud et froid qu’il souffle depuis trois ans sur ses relations avec Rabat. Que le Maroc se cale encore un peu plus qu’il ne l’est déjà sur la Chine n’est qu’une anticipation ou une précaution, ou les deux. D’où les considérables investissements chinois au Maroc, comme dans la Cité Mohammed VI Tanger Tech, les multiples lots de l’extension de la LGV à Marrakech, ou encore pour la giga-factory de batteries à Kenitra, le royaume offrant en outre une ouverture sur l’Afrique mais aussi et surtout sur l’Europe (accords de libre-échange et Statut avancé). Et d’où aussi cette visite du Chinois, bien conscient de la stratégie et des enjeux marocains.
Madrid, de son côté aussi, qui a reçu Xi Jinping aux Canaries sur sa route pour Lima, serait avisé de renforcer ses liens avec la Chine. L’Espagne, en sérieuse rupture de ban avec l’Occident sur l’épineuse question israélienne, en délicatesse avec l’UE quant aux relations de l’Union avec le Maroc, anticipe également sur un affaiblissement à terme de l’UE et privilégie de bonnes relations avec le Maroc (pêche, migrations, passage vers l’Afrique…) et la Chine, d’où la visite de Xi Jinping aux Îles Canaries voici trois semaines, la troisième effectuée sur l’archipel en 10 ans.
Il apparaît donc clairement que la Chine, sensible à l’intérêt géostratégique et géoéconomique de la zone de Gibraltar, sécurise cette partie de l’Atlantique, avançant ses « pièces » sur l’échiquier planétaire et préparant une possible et même probable extension des routes de la Soie vers et par cet espace. Le Maroc, diplomatiquement lucide, sait ne pas pouvoir – ni devoir – faire confiance à l’Occident, en particulier à l’Amérique trumpiste.
Or l’Amérique trumpiste n’aura que quatre ans d’âge (sauf cataclysme intérieur…) alors que le Maroc est une monarchie au temps long et que Xi Jinping ne semble pas songer à quitter ses fonctions dans les prochaines années.
On comprend dès lors mieux le sens de cette visite, tout en symboles : Le prince Moulay el Hassan recevant le président Xi Jinping pour une « courte visite », avec le seul chef du gouvernement, sans Nasser Bourita, alors même que son homologue chinois Wang Yi était présent… le même Moulay el Hasan qui précise que « la famille royale et le gouvernement marocains sont fermement engagés dans le développement des relations bilatérales ».
Avec cette phrase prononcée par le Prince héritier, tout est dit. Le Maroc « s’immunise » contre toute volte-face de ses « amis » pour la question du Sahara et au-delà, pour les thèmes liés au développement économique.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost