Code de la Famille : la deuxième révolution par le haut


Le roi Mohammed VI présidant la séance de travail consacrée à la Moudawana. Le Code de la Famille connait ainsi en vingt ans, dans une société qui reste marquée par ses conservatismes et ses misogynies, sa seconde révolution



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Par Naim Kamal

Mardi, 24 décembre 2024, au siège de l’Académie du Royaume, la matinée commence et se termine dans une ambiance de branle-bas de combat. La veille, le Roi Mohammed VI avait présidé au Palais Royal de Casablanca une séance de travail consacrée à la question de la révision du Code de la Famille en présence du chef du gouvernement Aziz Akhannouch, des ministres de la Justice Abdellatif Ouahbi, des Habous et des Affaires islamiques Ahmed Toufiq, et de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille, Naïma Ben Yahia.

Ensemble, ils se retrouvent ce matin au siège de l’Académie qui a abrité cette première sortie médiatique.  D’autres ministres et d’autres personnalités plus ou moins directement concernés y sont également. C’est qu’instruction royale a été donnée au gouvernement et à la commission en charge de la révision du Code de la famille de communiquer tous azimuts avec l’opinion publique. 

S’il est revenu à Aziz Akhannouch d’introduire la présentation, c’est à Ahmed Toufiq et à sa consœur Naïma Benyahaya qu’a incombé la charge de planter le décor. Le premier pour esquisser un tableau de ce que sont Imarate Almouminine (Commanderie des croyants), la Bya’â, son mécanisme et ses implications, ainsi que le rôle des oulémas (théologiens). La seconde s’est attachée à rappeler les engagements internationaux et les conventions onusiennes auxquelles le Maroc a adhéré. 
 

Une distribution des rôles bien réglée avec laquelle on ne pouvait pas ne pas comprendre, si on ne l’avait pas déjà saisi, que la deuxième réforme de la Moudawana sous le règne de Mohammed VI allait subtilement naviguer entre ces deux eaux. Ce qui ne signifie pas que les grandes orientations et axes de la réforme en élaboration contournent ou éludent les sujets qui fâchent. Bien avant qu’on ne rentre dans le vif du sujet, Ahmed Toufiq s’était fait fort de souligner que quatre des cinq fondements de la baya’â se retrouvent dans toutes les constitutions des pays qui préservent à leurs citoyens leurs différentes dignités, le cinquième étant consacré dans l’acte d’allégeance à la préservation de la religion.   

21 axes, 5 d’ordre général et 16 en rapport avec la charia
 

Le la ainsi donné, la révision du Code de la Famille, telle que l’a voulue le Roi, se présente profonde. Et c’est à l’explication de cette profondeur que s’est attelé, avec sa théâtralité habituelle, Abdellatif Ouahbi. Elle se décline en vingt-et-un axes, cinq d’ordre général et seize en rapport avec la charia et qui ont nécessité donc l’avis du conseil supérieur des oulémas.

Cette seconde catégorie concerne particulièrement des articles, les plus sujet à controverses, candidats à des évolutions importantes. On retrouve ainsi dans ce chapitre, entre autres : l’âge de mariage fixé à 18 ans, et, en deçà, limité à 17 ans, strictement encadré pour qu’il relève de l’exception.

La polygamie qui devrait connaitre de nouvelles restrictions. Le divorce par consentement mutuel qui se passera désormais de recours devant la justice.

La gestion des biens acquis par les époux durant les mariages et la valorisation du rôle de l’épouse au sein du foyer en le considérant comme une contribution au développement des biens acquis durant la relation conjugale. Le droit partagé des deux époux dans la tutelle des enfants aussi bien durant le mariage qu’en cas de séparation, ainsi que les droits de garde de la femme divorcée et la non-déchéance du droit de garde de la femme divorcée et remariée. L’égalité également dans la représentation légale des enfants. L’instauration aussi de la possibilité de legs testamentaire ou par don entre époux de religions différentes. Et last but not least, l’héritage de la fille qui s’ouvre sur le don (hiba) déplafonné. 
 


Des règles juridiques et intelligibles  

L’acquis aujourd’hui, en attendant que le nouveau Code de la famille trouve sa formulation juridique définitive, est que la réforme connait en vingt ans sa seconde révolution par le haut dans et pour une société qui reste marquée par ses conservatismes et ses misogynies. A l’inverse toutefois de la réforme de 2004 qui a pris plusieurs années pour aboutir, s’est déroulée dans un affrontement sociétal qui a frôlé la rupture, et accouchée aux forceps, la réforme de 2024 se passe dans un environnement apaisé où le fight à venir sera fort probablement sans grands éclats, quand bien même il ne manquera pas de barouds ‘’d’honneur’’. 
 

Nul doute qu’en termes d’évolution sociétale, la réforme substantielle en cours et qui viendra bientôt devant le Parlement, marquera une date importante dans l’histoire du Royaume. Il faut cependant rester attentif à la rédaction et par la suite, s’ils ont lieu, aux amendements des articles de ce qui sera sans conteste une nouvelle Moudawna. 
 

C’est bien connu, le diable est dans le détail. Une tournure à la place d’une autre, un mot qui nuance ou dilue son synonyme, une virgule ici plutôt que là, et le tour est souvent joué. Une évidence à laquelle le Roi a été particulièrement attentif. Le communiqué du Cabinet royal de lundi a ainsi tenu à être clair «concernant la phase législative de la révision du Code de la Famille ». Il exige une « forme de règles juridiques claires et intelligibles, afin d’éviter les lectures judiciaires contradictoires et les cas de conflit dans leur interprétation ». Il insiste enfin sur « la nécessité de garder à l’esprit la volonté de réforme et d’ouverture sur le progrès, voulue par le souverain à travers le lancement de cette initiative prometteuse de réforme (…). »

Rédigé par Naim Kamal sur Quid 



Mercredi 25 Décembre 2024

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