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La semaine dernière, la République en Marche, le parti du président français Emmanuel Macron, ouvrait une antenne à Dakhla, pour raisons le concernant. Il n’aura fallu que quelques jours pour que des députés interpellent le gouvernement en la personne d’un certain Gérard Beaune, lequel a répondu que « le gouvernement français regrette cette décision ».
Mais que vouliez-vous qu’il fît contre trois élus ? Qu’il rusât, ou que d’une belle pirouette alors s’eclipsât ! Ne voulant, ou ne pouvant, faire l’une et l’autre, il affirma que « le gouvernement français regrette cette décision », sur un sujet « hautement sensible ». Il l’est, en effet. Clément Beaune, c’est ce même secrétaire d’Etat (que le Canard enchaîné appelle sous-ministre) qui avait dit en novembre dernier à propos de pays qui refuseraient de reprendre leurs ressortissants radicalisés que « [la France a] des leviers pour le faire, par exemple les visas, en ciblant des responsables politiques, des responsables économiques. Oui, c’est un des leviers que le président de la République, que le ministre de l’Intérieur envisagent ». Le gouvernement français n’avait pas alors « regretté » ces propos d’un autre âge, plutôt moyen.
Et puisque nous en sommes aux « regrets », qu’il me soit aussi ici permis de regretter, à mon tour…
Je regrette que cette ci-devant belle relation entre la France et le Maroc, fruit du travail de longue haleine de grands esprits, soit aujourd’hui réduite à de petits calculs, qui ne semblent avoir pris la mesure ni de la grande Histoire ni des petites histoires.
Je regrette que le fameux concept d’antan de l’indépendance dans l’interdépendance ait glissé avec le temps en volonté de dominance et rime aujourd’hui avec suffisance, voire arrogance, à la recherche unilatérale de l’opulence.
Je regrette que « le gouvernement français » regrette l’ouverture d’un petit comité LREM à Dakhla mais qu’il ne regrette point, au contraire, l’installation d’imposantes structures industrielles et de beaux lycées français à Dakhla, et même à Laâyoune.
Je regrette que la Chambre française de commerce organise ses agapes dans la même Dakhla, pour causer affaires (photo), mais dont les membres, par infortune, oublient leur intégrité morale quand il s’agit de l’intégrité territoriale de la nation qui les a reçus et choyés. Bon appétit, Messieurs…
Je regrette que Jean-Yves Le Drian vienne sur nos terres nous rappeler que l’AFD prête chaque année 400 millions d’euros au Maroc, remboursables à faible intérêt, omettant de préciser que les étudiants marocains en France reçoivent de leurs familles 400 millions d’euros par an, non remboursables.
Je regrette que ma culture francophone, qui est aussi celle de quelques centaines de milliers de Marocain(e)s, cette culture si gracieuse, si riche, si porteuse de si grandes valeurs que celle des Lumières, soit à ce point dévoyée par des individus ombrageux qui font plus de mal à cette culture que l’anglicisme le plus coriace.
Je regrette que notre diplomatie ne soit pas aussi cinglante avec Paris, et Madrid aussi, quand la France, et l’Espagne aussi, oublient leurs devoirs à notre égard et notre mémoire commune pluriséculaire. Je regrette que la France ait si vite oublié que nous fûmes autrefois deux grands empires qui entretinrent des siècles durant des relations empreintes de respect et de considération, d’égards et d’attentions.
Je regrette, dans le même ordre d’idées, cette étrange indulgence dont témoignent certains Marocains, officiels ou particuliers, à chaque égarement de nos « amis » hexagonaux, des égarements et des écarts qui s’accélèrent et prolifèrent, contre nos diplomates et nos ouvriers, contre nos sécuritaires et nos universitaires, nos étudiants et nos ingénieurs. Je regrette cette coupable indulgence, donc, mais je constate une louable évolution, qui s’esquisse au Conseil de sécurité…
Je regrette que le gouvernement français ait caressé une volonté de subtilité mais sans le renfort du talent pour « jouer » en même temps le Maroc et l’Algérie, et de mécontenter dans le même temps Rabat et Alger. Jadis, de Gaulle dissertait sur « les histoires d’Arabes », affirmait que « par le fait nous aidons Marocains et Algériens à s’entretuer, mais nous devons agir comme si nous étions neutres » ; le général aurait-il trouvé de dignes successeurs ?
Dois-je regretter que nos satellites soient français, que notre TGV, et peut-être le suivant, soit également français, que nos trams soient français, que tant de choses moins avouables soient françaises ? Nombre de personnes ont déjà franchi le pas du regret, ultime étape avant de franchir le Rubicon.
Et c’est regrettable.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com