A lire ou à écouter en podcast :
L’antagonisme est célèbre entre les deux villes et leurs deux populations, mais il ne remonte pas à très loin. Depuis une cinquantaine d’années, ces populations se démarquent l’une par rapport à l’autre, chacune tirant la couverture à elle, chacune exprimant son leadership dans une sympathique compétition. Les Casaouis, c’est le pouvoir de l’argent et la belle vie, les Rbatis, c’est le pouvoir tout court, dans le silence.
Historiquement, Rabat est plus ancienne que Casablanca, mais les deux cités ont été secouées par les influences étrangères, elles-mêmes dues à la proximité avec l’Espagne en particulier et l’Europe en général. Aujourd’hui, la vie dans les deux villes est inscrite sous un antagonisme clair : l’économie et l’argent pour Casablanca, la politique et le pouvoir pour Rabat. De ce fait, Casablancais et Rbatis défendent farouchement (mais pacifiquement) leurs particularités, les premiers allant chercher le passe-droit à Rabat, persiflent les Rbatis, les seconds venant à Casablanca pour le passe-temps, plaisantent bruyamment les Casablancais.
Mais en réalité, autant Casablanca est une ville tumultueuse, volontiers frondeuse, fière de ce qu’elle fut, de ce qu’elle est et de ce qu’elle apporte, apporta et apportera au pays, autant Rabat reste une ville silencieuse, qui tire les ficelles, tout aussi silencieusement. De par son histoire, Rabat est une ville fermée, à la population renfermée, historiquement constituée de descendants des Morisques chassés d’Espagne, des familles fortunées soucieuses de leur différence et exclusive des autres. A l’inverse, Casablanca s’est peu à peu enrichie des afflux d’étrangers, s’ouvrant sur l’international, s’ouvrant tout court, puis elle fut le réceptacle par excellence de l’exode rural paupérisé et énervé puis des familles fassies nanties et opportunistes, venues y faire prospérer leurs fortunes déjà fort consistantes.
Un rapport dialectique s’installe avec le temps entre les deux populations : Casablanca est convaincue que sans elle, pas de Maroc, et Rabat sourit avec indulgence, rétorquant que le Maroc, c’est elle. Mais à se promener dans les deux cités et en rencontrant leurs personnalités, on note qu’un Rbati reste plutôt discret, voire taiseux, imprégné de la mentalité verticale du Makhzen historique, où le doigt pointé révérencieusement vers le haut, avec une teinte de crainte, revient souvent dans les discussions… A Casablanca, on multiplie les blagues et on parle ouvertement, quoique respectueusement, du roi, en moquant les Rbatis et leur légendaire discrétion qui confine souvent à la pusillanimité.
La différence entre les deux villes se voit jusque dans la circulation… Dans la bruyante Casablanca, même les voitures hurlent, dans une cacophonie d’avertisseurs et un admirable embrouillamini d’embouteillages, contrairement aux conducteurs sagement assagis de la capitale, où même le klaxon est respectueux et prudent. Le code de la route est facultatif à Casa, aisément transgressé dès que la maréchaussée regarde ailleurs, alors même qu’à Rabat, le respect de la loi est plus prégnant.
Alors, les castes de Rabat ou le faste de Casa ? Le stress de Rabat ou le strass de Casa ? Casablanca l’impérieuse ou Rabat l’impériale ? Tout, dans ce pays, dépend de Rabat, mais c’est Casa qui en procure les moyens par l’économie et la finance. Avec ses banques, son OCP, ses assurances, ses immobiliers et ses valeurs mobilières, Casablanca est la ville marocaine la plus africaine, mais c’est à Rabat que tout se décide pour l’Afrique.
Sur le terrain politique, les Casablancais observent, tantôt amusés, plutôt désabusés, quelque fois irrités, les Rbatis essayer d’apporter de la logique et du dynamisme aux institutions, comme cette trituration de l’esprit qu’est ce nouveau quotient électoral. Mais les joyeux Casablancais ne comprennent pas que c’est parce qu’ils boudent les urnes que les taciturnes de Rabat ont concocté ce nouveau mode de calcul, inédit et truffé de non-dits.
Et donc, Casablanca ou Rabat ? En réalité, l’une ne peut aller sans l’autre, étant toutes deux les jambes et les supports du reste de ce corps étrange qu’est le Maroc.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com