Boujloud : une polémique en plein essor


Rédigé par le Jeudi 27 Juin 2024

Boujloud, Bilmawen, ou Boulebtayne, le rituel traditionnel associé à l'Aid Al Adha, suscite à nouveau la controverse cette année. Les critiques se multiplient, accusant cette fête de promouvoir l'homosexualité, de perpétuer des pratiques païennes, voire satanistes, et de dénaturer le patrimoine amazigh.



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Tout comme l’année dernière, dès le lendemain de Aid Al Adha, les réseaux sociaux sont inondés par les photos des festivités de Boujloud. Des jeunes déguisés en animaux, portant d’énormes perruques et vêtus de costumes en peaux de moutons et de chèvres.

Des personnages aux allures tantôt démoniaques tantôt burlesques arpentant les rues en dansant et chantant tout en attirant une belle foule curieuse… Des festivités réjouissantes qui font pourtant l’objet d’une grande controverse sur les réseaux sociaux et ailleurs.

 

Ne touchez pas à mon Boujloud !

"Depuis quand Aid Al Adha est-il devenu une occasion de se donner en spectacle de cette manière ? Des hommes travestis en femmes et en animaux, et qui en sont fiers en plus ?" critique un internaute en réaction à une vidéo des festivités de Boujloud à Dchira, dans la région d’Agadir.

Ce commentaire fait écho à des centaines d'autres qui dénoncent "des pratiques païennes en contradiction avec l'Islam et son esprit", comme ils l'affirment.
"Ne prétendez surtout pas que c'est une tradition amazighe. En tant que Soussis, nous savons que Boujloud n'a jamais été une gay pride comme on le voit aujourd'hui. Certes, c'était une pratique ludique où l'on se déguisait en monstre poilu pour divertir, mais rien de plus. Ce que l'on voit maintenant n'a rien d'amazigh," défend une internaute d'Agadir.

"Patrimoine dénaturé"

Peu enthousiastes face à l'aspect carnaval et parade du festival traditionnel, ses détracteurs dénoncent la dénaturation d'un héritage ancestral avec des « pratiques étrangères qui n'ont rien de marocain ».

Des accusations qui ne sont pas entièrement infondées. Boujloud ou Boulebtayne, ancré dans les traditions des différentes régions du Maroc, est une fête étroitement liée à l'Aid Al Adha.
« Cette pratique est influencée par la couleur locale et varie d'une région à l'autre. Le phénomène Boujloud reflète en effet un mélange de chorégraphies et de rituels chargés culturellement, civilisationnellement et cultuellement », explique le chercheur en anthropologie Mohamed Akdime.

Selon lui, chaque région a son propre « Boujloud » avec une identité locale distincte. En décrivant les influences qui ont façonné cette fête à Imintanout, Akdime évoque un impressionnant melting pot « où se croisent les danses d’Ahwach et des Rwayess, la danse Taskiwine des montagnes, la danse Ahiyad de la région de Haha, la danse sahraouie des tribus Ouled Bou Sbaa, ainsi que l'influence de la culture juive », détaille-t-il au microphone de la MAP.

Rituel en mutation

Les influences « originelles » s'ajoutent désormais à des influences modernes « importées » par des jeunes plus ouverts, comme l'explique l'acteur associatif local Mbarek Ezzabak. Il souligne également l'apparition de nouveaux personnages aux côtés du traditionnel Boujloud, justifiée par le besoin de « moderniser » le rituel et d'améliorer le spectacle en y intégrant d'autres « monstres » pour dynamiser la performance.

Cependant, cette nouveauté n'est pas du goût de tout le monde et suscite de nombreuses protestations. Certains dénoncent la connotation homosexuelle de la parade, tandis que d'autres vont jusqu'à parler de pratiques sataniques. Les prédicateurs des réseaux sociaux critiquent sévèrement l'aspect anti-islam des festivités. « Comment peut-on se réjouir et s'amuser avec Boujloud et ses dérivés efféminés alors que nos frères vivent un enfer à Gaza ?! », s'indignent-ils.

Au-delà de la solidarité avec les Gazaouis et de l'aspect païen, le festival dérange par sa « mutation ». « Quelle est la place de l'identité culturelle amazighe authentique dans cette sorte de carnaval latino-américain qui a dénaturé les festivités de Boujloud ces quatre dernières années ? Quel sera le destin du patrimoine culturel local actuellement broyé par cette machine impitoyable ? Quelle est la valeur ajoutée de l'adoption de certains aspects du carnaval de Rio de Janeiro dans la célébration de Boujloud ? », s'interroge l'écrivain Mohamed Akdime dans un post daté du 20 juin 2024 sur Facebook.

Au-delà du spectacle et de l'aspect festif, Boujloud devient chaque Aid Al Adha une problématique identitaire qui divise les « modernistes » désireux de suivre la « cadence », et les « conservateurs » attachés à la spécificité culturelle marocaine et amazighe. Qui l'emportera au final ? À suivre.

BOUJLOUD, AGADIR, HISTOIRE, AID_AL_ADHA

Salma LABTAR




Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC En savoir plus sur cet auteur
Jeudi 27 Juin 2024
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