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Par Aziz Boucetta
Et pourtant, il a longuement hésité, avant de franchir le pas. Jeune, né après les indépendances, il a eu immédiatement à cœur, sitôt sa prise de fonction, de mettre une distance entre lui et ses prédécesseurs, entre le temps présent, le sien, et celui de cette Histoire qui submerge si souvent le présent, celui des autres. Mais il a commis la grosse erreur de nourrir de grands desseins pour l’Algérie qui, elle, reste engluée dans un passé figé ; il est resté sur sa faim.
Cet homme instruit et cultivé ignore pourtant l’Histoire. Celle-ci n’est pas uniquement formée de dates et de guerres, d’événements et de soubresauts, mais aussi de mémoire et de nations. Et Emmanuel Macron n’a compris ni les unes ni les autres. Jeune et enthousiaste, il a surgi en 2017 avec ses bottes de sept lieues, des chausses qui lui ont permis d’avancer vite, de parcourir de grandes distances, sans prendre le temps d’en regarder le détail. Or le diable, cela a été prouvé, se niche dans le détail et Nietzsche nous enseigne que Dieu n’entre pas dans le détail. Jupiter non plus, mais pour lui, c’est une erreur. A force de faire du « rentre-dedans », il a fini par risquer de sortir de l’histoire.
Car, en politique, ne pas entrer dans le détail conduit à des catastrophes… comme créer le désordre dans la classe politique française, plus sourcilleuse qu’elle n’en a l’air, et dans la vénérable diplomatie française, plus soucieuse du détail ; ne pas se préoccuper du détail mène à un brutal rejet par l’Afrique dans son ensemble, à une humiliante expulsion du Sahel en particulier et, pour détailler les choses, à une profonde et durable crise avec le Maroc. Ne pas se soucier de l’Histoire, c’est ignorer ce que fut le Maroc, ce qu’est sa société, ce que pourraient être ses réactions. Résultat : une rupture de la dynamique ayant toujours lié Rabat à Paris.
M. Macron, dans son insondable légèreté, avait cru possible de tenir à distance les uns et de tenir en laisse les autres. Il n'a réussi qu’à être délaissé par les uns et à créer une (grosse) distance avec les autres. Lui qui dit connaître l’histoire ne l’aime pas, et il a paradoxalement misé sur l’Algérie, pour laquelle tout est histoire, que des histoires. Mais en ignorant l’histoire et en la refoulant dans son passé, elle s’est à son habitude brutalement rappelée à son souvenir dans le présent et pour le futur.
Avec le Maroc, n’ayant pu maintenir des relations d’Etat et de chef d’Etat avec le roi du Maroc, il a cru pouvoir le dépasser et s’adresser directement aux Marocains. Funeste erreur, s’ajoutant à sa très peu avisée décisions de restreindre les visas, portée par son ex-ambassadrice à Rabat, une dame à l’allure de résidente générale qui a brillamment réussi à détruire ce qui ne l’était pas encore dans la relation multiséculaire entre les deux pays.
Emmanuel Macron, homme instruit donc, devrait savoir que dans une relation avec un roi, il existe ce qu’on appelait en France et même ailleurs une étiquette : on ne touche pas un monarque avec familiarité, on ne donne pas d’ordres à un roi, plutôt habitué à en donner, on ne manque pas de respect à un roi au téléphone ou ailleurs, on ne s’adresse pas directement aux sujets d’un roi. On ne peut ni l’enjamber ni le traiter par-dessus la jambe.
Un roi du Maroc est un roi du Maroc, Monsieur le Président ; il n’est ni un président cowboy américain, ni un roitelet belge, ni un général algérien ni un tueur israélien. Un roi du Maroc est un héritier chérifien, et il s’en contente mais il peut se montrer mécontent si on s’approche trop de lui. A quoi est donc parvenu le président avec le Maroc ?
A tout perdre, et en premier l’estime, ensuite les marchés et plus globalement toutes sortes d’intérêts. Il aura fallu les louables efforts de son ambassadeur (celui qui a remplacé la résidente générale), les froncements de sourcils de sa droite et même de sa gauche (avec les quelques excités qui confirment la tendance), les grognements de ses grandes entreprises, et les conseils de quelques géopolitologues et gens de raison pour que M. Macron change d’avis et nous sorte une de ses belles phrases dont cet homme (qu’on sait instruit…) possède le secret : « Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent sous la souveraineté du Maroc ». Aussi beau que la France d’autrefois…
Et finalement, tout est bien qui… reprend bien. Le roi du Maroc, et à sa suite les Marocains, avaient défini un prisme à travers lequel ils envisagent le monde. Ou tu reconnais que le Sahara est marocain, où tu oublies tes intérêts chez nous ; ou tu relis bien l’Histoire et tu lui fais honneur, ou tu malmènes le présent et obère le futur. La logique vaut pour le monde entier, et un jour, Emmanuel Macron a compris qu’elle s’appliquait, aussi, à lui et à son pays. Maintenant qu’il a franchi le pas qui lui était demandé, il est donc, finalement, le bienvenu sur nos terres, sous nos cieux, entre les deux, où il veut.
Et comme la France a pour diverses et différentes raisons une position particulière au Maroc – et comme aussi elle vient de reconnaître le Sahara marocain – son président et sa (très) forte délégation auront droit à tout le faste, l’apparat et le grand protocole que sait déployer le Maroc pour manifester sa satisfaction ou son bonheur. Un faste qui rappellera sans doute en contraste l’extrême froideur et l’immense distance qui étaient celles du royaume, de ses officiels et de sa population voici seulement quelques mois encore et dont pourra témoigner l’ambassadeur de France (et qu’il aura patiemment œuvré à résorber).
La visite est incontestablement historique, sans galvauder le mot plus qu’il ne l’est déjà. Elle est en effet historique car elle intervient à l’issue d’une rupture de fond, d’une remise en question structurelle des relations entre la France et le Maroc. La crise dont sortent les deux pays avait pour cause non l’économie ou l’ego ou même la-très-inquiétante-émigration, mais la conception que se fait chaque peuple de l’autre. Avec cette rupture et les dégâts qu’elle a occasionnés, les Marocains voient la France d’un autre œil et les Français conçoivent le Maroc différemment. La crise n’opposait pas les deux Etats autant qu’elle a secoué les deux sociétés (du moins ceux de ses membres qui se soucient de la France au Maroc et du Maroc en France). Un ébrouement salutaire qui place la relation retrouvée et renouée sur d’autres plans et à un autre niveau : une indépendance accrue et une interdépendance renforcée.
Cela étant, il serait peut-être judicieux de ne pas tout accorder à M. Macron, sachant qu’il viendra avec ses entrepreneurs, ses investisseurs, ses négociateurs, ses ex et ses futurs responsables, ses grognards et quelques ringards… pour rafler la mise (rail, armes, avions, énergie, éducation…). Or, la France n’est pas la seul à reconnaître le Sahara, l’Espagne aussi, même du bout des lèvres. Nos amis espagnols ne doivent pas faire les frais de la « réconciliation » avec la France, cela en découragerait d’autres, comme les Anglais et les Allemands, et même les Espagnols ! Le Maroc n’est pas la Chine, son marché est limité, et il est important qu’il y en ait pour tout le monde et pas que pour la France…
Bienvenue donc, quand même, et finalement, M. Macron !
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost