Barbie Réinventée : Le Triomphe Féministe de Greta Gerwig


Rédigé par le Jeudi 27 Juillet 2023

Greta Gerwig a réussi avec éclat à moderniser la poupée de Mattel, longtemps critiquée pour son corps stéréotypé et perçu comme sexiste. Cette tâche n'était pas facile, mais elle l'a relevée avec brio, utilisant une ironie subtile pour promouvoir sa pensée féministe. Voici notre avis sur le film mettant en vedette Margot Robbie et Ryan Gosling, sans révéler d'éléments clés de l'intrigue.



Depuis la publication des premières images du film Barbie réalisé par Greta Gerwig le 27 avril 2022, jusqu'à sa sortie officielle, une véritable vague rose a submergé les mondes de la mode et de la décoration : le phénomène Barbiecore. Cette tendance semble destinée à perdurer pendant plusieurs mois, portée par le succès du film qui a récolté 155 millions de dollars de recettes lors de son week-end de lancement aux États-Unis, établissant ainsi le record du meilleur démarrage cinématographique de l'année 2023.

La poupée, bien qu'elle ne soit pas récente, suscite à nouveau des passions ardentes et est maintenant considérée comme une icône féministe. Revenons sur son parcours historique ainsi que sur le triomphe du film qui l'a remise sous les feux des projecteurs. 

En 1959, l'entreprise Mattel a lancé la toute première Barbie, créée par Ruth Handler, l'épouse d'un des fondateurs de la société – un aspect de son histoire qui est évoqué dans le film. Cependant, le long-métrage ne révèle pas que Barbie a été inspirée par un personnage de bande dessinée appelé Lilli, qui était présent dans le quotidien allemand Bild Zeitung et décliné en poupées de collection. Dès ses débuts, Barbie a connu un succès phénoménal auprès des jeunes filles américaines, puis a conquis le monde entier, avec plus d'un milliard de poupées vendues à ce jour. Son apparence adulte et élégante a rompu avec les traditionnels poupons qui étaient jusque-là proposés aux enfants.

Dès son origine, Barbie a fait l'objet de critiques concernant son apparence, car elle représentait tous les clichés de la beauté considérée comme "occidentale", avec sa peau claire et ses cheveux blonds. Elle se distinguait également des autres poupées par ses mensurations exagérées, mettant en avant une poitrine développée et une taille excessivement fine.

Toutefois, elle fut rapidement mise en avant comme une "femme émancipée", ayant la propriété de sa propre "maison de rêve" et d'une voiture de luxe assortie à ses tenues (une Corvette Stingray 1956 rose dans le film). Elle embrassa une variété de professions, tant celles traditionnellement considérées comme "féminines" – top-modèle, hôtesse de l'air, baby-sitter – que celles considérées comme "masculines" – chirurgienne, conductrice de train, astronaute.

La réalisatrice Greta Gerwig et Mattel mettent en avant le message central de la franchise dès le début du film : "Barbie can be anything !" Ainsi, Barbie parvient à concilier une apparence très féminine, où le rose, symbole par excellence de la féminité, est omniprésent, tout en offrant aux filles la possibilité de s'imaginer dans une multitude de professions qu'elles pourraient exercer à l'âge adulte.

Au fil du temps, Barbie est devenue l'objet de débats animés sur la conception et la perception de la féminité, divisant ceux qui la considèrent comme sexiste de ceux qui la voient comme féministe. Cependant, ces débats n'ont pas empêché Barbie de devenir une véritable icône populaire, bien au contraire. Elle a inspiré des maisons de couture telles que Moschino, Balmain, ainsi que des artistes qui la vénèrent, comme Arielle Dombasle et Andy Warhol, ou qui la critiquent, à l'instar de Luisa Callegari et Lio.

Barbie, de Barbie Land au monde réel

Dans le film de Gerwig, Barbie Land est un pays idyllique et rose où toutes les Barbies vivent en totale liberté et bonheur. Elles occupent des postes prestigieux tels que physiciennes, juges, présidentes, et sont les principales figures d'autorité. Pendant ce temps, les Ken, quant à eux, passent leur temps à "plager" au bord de l'eau, c'est-à-dire qu'ils ne font rien d'autre que se prélasser sans responsabilités particulières.

L'affiche du film souligne clairement la différence entre Barbie, qui peut tout faire (She's everything), et Ken, qui se contente d'être lui-même, sans exercer d'activité spécifique (He's just Ken).

Bien que la Barbie protagoniste (interprétée par Margot Robbie) incarne parfaitement le cliché de la poupée, souvent qualifiée de "Barbie stéréotypée", les autres Barbies présentent toutes des caractéristiques différentes en termes de taille, de poids, de race ou de handicap, reflétant ainsi la diversité des poupées de la gamme "Barbie Fashionistas" lancée par Mattel en 2016.

Un jour, Barbie est confrontée à des pensées sombres et morbides qui la poussent à abandonner sa vie parfaite à Barbie Land afin de retrouver la fillette qui joue avec elle dans le monde réel et qui semble traverser des difficultés. Si elle ne prend pas cette décision, elle risque d'être maltraitée et de devenir une "Barbie Bizarre".

Partant seule dans sa voiture rose, Barbie est rejointe par Ken (Ryan Gosling) qui s'incruste maladroitement dans ce périple. Une fois dans le monde réel, Barbie est confrontée aux violences sexistes et sexuelles (VSS), et elle prend conscience de la manière dont son corps est réifié à travers le regard masculin. De son côté, Ken découvre un système patriarcal qui le valorise en tant qu'homme, et il décide de l'instaurer à Barbie Land.

Soutenue par Gloria, sa propriétaire retrouvée, Barbie se voit contrainte d'apprendre à "utiliser ses charmes" et exploiter la "faiblesse des hommes" afin de reconquérir Barbie Land. Elle parvient à manipuler Ken et ses acolytes, puis fait le choix de devenir humaine pour vivre dans le monde réel.

Quand Barbie devient femme

Le fondement "féministe" du film réside dans l'empowerment des Barbies, qui démontrent qu'elles peuvent occuper n'importe quel poste sans abandonner leur féminité, leur intérêt pour la mode, le maquillage ou le rose. Cet argument est déjà utilisé pour promouvoir la poupée et contrer les critiques qui la considèrent comme un modèle stéréotypé de féminité, véhiculant un idéal corporel irréaliste susceptible de créer des complexes chez les filles.

En conciliant la féminité avec des compétences généralement associées au masculin, Barbie semble être une alliée potentielle du féminisme. Cependant, Mattel continue également de mettre en avant la féminité de la poupée en adaptant fréquemment ses outils de travail et ses tenues pour les rendre plus "féminins" – cela implique souvent l'ajout de rose – notamment lorsqu'elle occupe des postes scientifiques ou techniques.

Ainsi, être féminine semble être la compétence principale de Barbie, ce qui réduit l'importance des véritables compétences requises dans l'exercice de son métier, tout en renforçant le caractère exceptionnel de la présence des femmes dans certaines carrières.

En mettant en évidence la féminité distinctive de Barbie, Mattel insiste sur son appartenance au groupe des "femmes", différencié et opposé à celui des "hommes" représenté par Ken. Dans le monde réel, ces deux catégories sociales entretiennent des relations de genre hiérarchisées, où les hommes sont considérés comme supérieurs aux femmes, ce qui est souvent justifié par des prétendues différences "naturelles" liées au sexe. Cependant, une telle justification ne devrait pas s'appliquer dans l'univers de Barbie, car les poupées sont dépourvues d'appareils génitaux, ce qui donne lieu à plusieurs scènes comiques dans le film. Par conséquent, il est impossible de fonder l'opposition entre femmes et hommes sur des différences anatomiques sexuelles dans le monde de Barbie.

La réalisatrice a réservé une surprise en clôturant son œuvre par un rendez-vous gynécologique de Barbie, devenue humaine. Bien que cette scène finale soit comique, elle tend à naturaliser la féminité de Barbie et à réduire les relations sociales entre les Barbie et les Ken, calquées sur celles entre femmes et hommes, à une spécificité biologique. Cependant, selon la sociologue féministe Colette Guillaumin, les inégalités entre femmes et hommes ne sont pas déterminées par la biologie, mais résultent des rapports sociaux subis. Par conséquent, elles relèvent d'un problème de société et de droits (tels que la lutte contre les VSS et l'égalité salariale), indépendamment du sexe.

En conclusion, le film Barbie réalisé par Greta Gerwig a réussi à réinventer cette poupée emblématique de Mattel tout en promouvant des idées féministes subtiles. Grâce à une approche audacieuse et pleine d'ironie, le film a généré un véritable engouement, propulsant le phénomène "Barbiecore" dans le monde de la mode et de la décoration. En remettant en question les stéréotypes de genre et en mettant en avant l'empowerment des femmes, Barbie devient plus qu'une simple poupée, elle devient une source d'inspiration pour des générations de jeunes filles, ouvrant la voie vers un avenir plus égalitaire et inclusif.



Salma LABTAR




Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC En savoir plus sur cet auteur
Jeudi 27 Juillet 2023
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