Avoir et Être, le dilemme de la vie !




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Par Ali Bouallou

Avoir quelque chose est une notion presque naturelle car vivre sans rien avoir est de l’ordre de l’improbable pour ne pas dire l’impossible.

Je dis presque naturelle car il y a l’envie ou le désir d’avoir, et la réalisation effective de l’acte d’avoir. Ce n’est pas parce que l’on en veut que l’on y arrive ! Plusieurs facteurs endogènes et exogènes à l’individu entrent en jeu dans le fait d’avoir.

Dans la vie courante, disposer d’un certain nombre de choses, voire de plaisirs éphémères, relève de l’accomplissement de soi et de l’accession à un bonheur relatif.

Cette « duperie de soi » est telle que l’individu croit en permanence que le fait d’avoir de manière continue, voire organisée, participe à son bonheur. Cette erreur d’appréciation perdure tant que les passions prennent le dessus sur la raison.

Il s’agit d‘avoir depuis le début de cette réflexion mais avoir quoi finalement !? des biens matériels ? un capital personnel immatériel, positif ou négatif ? de quoi parle-t-on ?

Tout individu raisonné se doit de garantir un équilibre serein entre les besoins essentiels d’une vie descente, à soi et ses proches, et les valeurs immatérielles, ce que j’ai appelé capital personnel immatériel.

Il s’agit de l’ensemble des qualités humaines, innées ou apprises, qu’une personne éprouve à l’égard de sa communauté. Elles peuvent être positives (honnêteté, sincérité, respect d’autrui, curiosité intellectuelle…) ou bien négatives (sournoiserie, hypocrisie, malhonnêteté, avidité…).      

Cet équilibre, entre les besoins et les valeurs, est rompu lorsque l’individu transforme ses besoins primordiaux en passions et sa quête de l’Avoir utile en frénésie de l’Avoir futile, l’Avoir pour le paraitre, l’Avoir pour une certaine illusion de la vérité.       

A ce stade de l’Avoir, l’individu n’est que ce qu’il a, ou ce dont il dispose, et rien d’autre. Autrement dit, s’il perd ce qu’il a, ce dont il dispose, il n’est plus rien.     

A force de préserver le culte de l’Avoir, l’individu vit dans l’illusion et l’artifice, et s’éloigne complètement de la vraie condition humaine et de la conscience collective.

Une prise de conscience de l’excès d’Avoir ne peut survenir que si l’individu est doté  d’au moins deux valeurs immatérielles importantes à savoir la curiosité intellectuelle et la volonté. Sans ces deux attributs, l’individu passera sa vie durant à Avoir sans Être, sans âme !  

Le passage de l’Avoir à l’Être peut alors débuter pour une introspection intérieure afin de mettre en avant une nouvelle vérité, celle du vrai accomplissement de soi.

Si le concept d’Avoir est principalement lié au matériel, celui d’Être est totalement spirituel. Il est associé aux valeurs immatérielles mentionnées plus haut et qui décident des relations interpersonnelles.

Cette lutte de contraires, comme dirait Nietzsche, aboutit à un retour à la nature primordiale de l’Être et à son humanisme. C’est le dévoilement d’une existence, de l’être-vrai selon Heidegger.

Ce dévoilement ou surgissement se révèle dans l’amour d’autrui, la morale et l’éthique, le respect de l’ordre et des convenances, …Socrate résume tout cela dans le Souverain Bien.
Le dévoilement puise son éclosion dans deux principes, l’identité et l’individualité. 

L’Être est déterminé par l’identité de l’individu, son dynamisme et sa propension à s’ouvrir sur ce qui n’est pas évident et sur ce qui est dispersé dans le temps et l’espace.

L’identité de l’Être marque l’unicité. Elle marque la rupture avec la ressemblance et prône la différence. Elle permet, une fois raffermie, d’affranchir l’individu de tous les asservissements qu’imposent le matérialisme et le consumérisme.

Après l’identité, l’individualité entre en jeu pour assoir l’homme en devenir dans sa puissance propre, celle du corps et de l’esprit.

Certains comme Spinoza voient ce diptyque sous le mode de l’unité (monisme). D’autres comme Descartes sous le mode de la dualité (parallélisme).

En tout état de cause, l’Être n’est donc pas seulement un esprit mais également un corps singulier dont il faut soigner et entretenir l’essence afin de faire face à tous les évènements prévus et imprévus de l’existence. 

Un corps fort s’intègre à la mère nature. Ses dimensions physique et émotionnelle participent à l’harmonie de l’Être. Son étendue résiste au temps et à son usure. Il obéit ainsi aux lois de la nature.

Un corps faible, par contre, se désintègre au contact de la nature. Aucune de ses dimensions ne résiste à ses méandres. Il en devient presque dépendant voire soumis. Un corps faible devient donc l’esclave de la nature.  

Un corps faible ou fort ne doit nullement empêcher la pensée de contempler, de créer et de s’émerveiller. Un esprit alerte participe à l’harmonie du corps, quelque soit ses attributs, et à l’émergence de l’Être.

La connaissance du corps est donc essentielle à la connaissance de soi prélude au chemin d’évolution et à l’accroissement de soi.

L’idée que l’on se fait du corps humain est identifiée par Spinoza à l’essence de l’esprit humain et à ses attributs spirituel et intellectuel.

L’esprit représente à mon sens la dignité essentielle de l’homme par laquelle il interroge la physique et la métaphysique pour comprendre Dieu, les sciences et l’univers. C’est aussi par l’esprit que l’homme interroge sa condition et celle de ses semblables dans une démarche universaliste et consciencieuse. 

Le but d’une démarche spirituelle est la connaissance objective ancrée dans un champ d’immanence et de transcendance. Ainsi, l’esprit orné de volonté peut tout se permettre sans limite ni contrainte.

Si l’Avoir, ou le fait de posséder, a ses limites, l’Être, ou le fait de développer son esprit, est sans limite ! Les marges de manœuvre sont grandes et les chantiers de réflexion sont abondants. Il faut juste Avoir la volonté pour Être l’homme pensant que l’on souhaite être.

Il ne s’agit nullement de cesser d’Avoir mais plutôt de rendre à l’Être la place qui devrait être la sienne au sein de la communauté. Un Être responsable, valeureux, conscient des défis sociétaux est un Être qui servira au mieux sa communauté par le sens de l’engagement constant, par l’action utile et enfin par la transmission intergénérationnelle.

Un bon Être est un citoyen qui ne peut disposer sans partager et qui ne peut apprendre sans transmettre.    
              


Samedi 8 Octobre 2022

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